Chapitre 8 : L’idéalisme dans tous ses états
Pour une vraie théorie marxiste de la connaissance
« Le fidéisme contemporain ne répudie nullement
la science ; il n’en répudie que les « prétentions excessives »,
à savoir la prétention de découvrir la vérité objective. S’il existe une vérité
objective (comme le pensent les matérialistes), si les sciences de la nature,
reflétant le monde extérieur dans « l’expérience » humaine, sont les
seules capables de nous donner la vérité objective, tout fidéisme doit être
absolument rejeté. »
Lénine (œuvres complètes, tome XIII)
La notion léniniste de « philosophie spontanée
des savants » (PSS) que reprend Althusser dans un essai dont il a déjà été
question, reste pertinente dans l’analyse concrète de la crise.
Ainsi, le blocage conceptuel des pratiques biologiques que
nous venons de mettre en évidence se double d’un blocage idéologique de la
philosophie des sciences à un niveau supérieur. Dans les périodes de crise
(crise des irrationnelles dans les mathématiques grecques, crise de la physique
moderne à la fin du XIXe siècle, crise des mathématiques modernes et
de la logique du début du XXe siècle, crise de la biologie
aujourd’hui) un double mouvement se fait jour : les philosophes idéalistes
lancent leurs offensives opportunistes contre
Nous expliquerons dans ce chapitre à la lumière de
l’histoire des philosophies des sciences, le processus suivant : Une fois
le nouveau paradigme matérialiste installé au niveau supérieur de
Profondément marqué par cette contradiction typique,
l’enseignement des sciences dans ses développement récents est un symptôme
évident de la crise scientifique ; nous l’avons examiné à ce titre au
cours du chapitre précédent. Voici ce qu’en dit d’une façon plus générale
l’Althusser de « Philosophie et philosophie spontanée des savants » :
« La connexion entre la culture littéraire (…) et
l’action idéologique de masse exercée par l’église, par l’Etat, par le droit,
par les formes du régime politique, etc. sont la plupart du temps masquées.
Mais elles apparaissent au jour dans les crises politiques et idéologiques, où
par exemple les réformes de l’enseignement sont ouvertement reconnues comme des
révolutions dans les méthodes d’action sur les masses. On voit alors très clairement que l’enseignement est directement en rapport avec
l’idéologie dominante, et que sa conception, son orientation et son contrôle
sont un enjeu important de la lutte des classes. (…)
Mais les sciences, elles aussi, font l’objet d’un
enseignement. Les lettres (…) ne sont donc pas l’unique « matière »
de formation « culturelle » c’est à dire idéologique. L’enseignement
des sciences est aussi le lieu d’une semblable formation
« culturelle », quoique sous une forme infiniment moins visible, et
beaucoup plus subtile. Mais la façon dont on enseigne les sciences exactes
elles mêmes implique un certain rapport idéologique avec leur existence, et
leur contenu[1].
Il n’y a pas d’enseignement de savoir pur qui ne soit en même temps un
savoir-faire, c’est à dire en définitive un
savoir-comment-se-comporter-vis-à-vis-de-ce-savoir : de sa fonction
théorique et sociale. Ce savoir-comment-… induit une attitude politique vis-à-vis
de l’objet du savoir, du savoir comme objet, et de sa place dans la société.
Tout enseignement scientifique véhicule, qu’il le veuille ou non, une idéologie
de la science et de ses résultats, c’est à dire un certain savoir-se-comporter
vis à vis de la science, de ses résultats, reposant sur une certaine idée de la
place de la science dans la société existante, et sur une certaine idée du rôle
des intellectuels spécialisés dans la connaissance scientifique, donc de la
division du travail manuel et intellectuel.
Percevoir l’idéologie véhiculée par l’enseignement, ses
programmes, ses formes, ses pratiques, etc. non seulement en lettres mais en
sciences, rien n’est plus difficile pour des intellectuels[2]. (…) Leur pratique,
qu’ils exercent dans un cadre défini par des lois qu’ils ne dominent pas,
produit ainsi spontanément une idéologie dans laquelle ils vivent sans avoir de
raisons de la percer. Mais il y a plus encore. Leur idéologie propre,
l’idéologie de leur pratique, ne dépend pas seulement de leur pratique
propre : elle dépend de surcroît et en dernier ressort du système
idéologique dominant de la société dans laquelle ils vivent. C’est en
définitive ce système idéologique qui gouverne les formes mêmes de leur
idéologie de la science[3] et des lettres. Ce qui
semble se passer devant eux se passe en réalité, pour l’essentiel, derrière
leur dos. »
Nous verrons qu’Althusser ignore délibérément en quoi
consiste la contribution d’une philosophie matérialiste dans la production des
connaissances scientifiques elles mêmes.
Lorsqu’il écrit ces
lignes, la biologie moléculaire est en pleine révolution. Nous sommes alors
bien loin de la crise néo-darwinienne. La relative timidité d’Althusser vis à
vis de l’idéologie scientifique et de son enseignement, jugés plus impalpables
que ceux des Lettres par exemple, n’étonnera donc personne. Elle n’a plus lieu
d’être aujourd’hui.
Dominique Lecourt, philosophe des sciences ex-althusserien[4],
nous livre un document particulièrement opportun, pièce à
conviction de cette « lutte des
classes dans la théorie ». Il
s’agit d’un rapport commandé en
1999 par Claude Allègre, ministre de l’Education Nationale de l’époque. Avec
les craintes légitimes d’un philosophe « matérialiste » emporté dans
la tourmente d’une crise des sciences de la nature sans précédent, ce texte de
quatre vingt pages fait état 1) d’un manque grandissant d’épistémologie dans
les programmes d’enseignement scientifique supérieur, 2) des stratégies susceptibles
de combler cette lacune dans un avenir proche… On gardera donc à l’esprit les
« innovations » des nouveaux programmes de SVT.
La valeur « progressiste » de la science qui a
largement prévalu aux XIXe et XXe siècles s’efface
aujourd’hui alors qu’un dénigrement général et grandissant des sciences
s’installe avec la menace nucléaire, les OGM, le clonage humain, l’effet de
serre, dans l’opinion publique. Enregistrant la baisse du nombre des
inscriptions dans les filières scientifiques, Lecourt fait le constat suivant :
« Ce vaste débat social autour de la science ne trouve guère d’écho
dans l’enseignement scientifique. Les étudiants peuvent ainsi avoir le
sentiment d’un profond hiatus entre la science qu’ils apprennent et la société
où ils seront appelés à mettre en œuvre les compétences qu’ils auront acquises
au terme d’études extrêmement lourdes.
En tous cas l’enseignement des sciences tel qu’il est
aujourd’hui conçu ne leur apporte pas les instruments intellectuels nécessaires
à faire face aux questions qui ne manqueront pas de leur être posées. Tout se
passe comme si par réaction, la pédagogie des sciences dans l’enseignement
supérieur s’était raidie. Une image purement calculatoire et opérative de
l’activité scientifique tend à s’imposer aux chercheurs eux-mêmes. Ses
finalités s’affichent simplement utilitaires. Parce que la science est conçue
comme un instrument de puissance et une réserve de certitudes, son enseignement
vise essentiellement à la maîtrise technique et récompense souvent non les
esprits les plus inventifs mais les plus dociles. »
A travers les conclusions qu’il tire, on pressent les
motivations implicites et embarrassées du nouveau programme de terminales S en
SVT : « C’est bien le contenu et les modalités de l’enseignement
scientifique qu’ils mettent en cause [les enseignants-chercheurs
interrogés], bien en amont de l’enseignement supérieur. (…) Le projet
d’implanter ou de développer un enseignement de philosophie des sciences dans
les cursus scientifiques répond ainsi à une véritable urgence. S’il y est
intégré à part entière et, si l’on veille à ce que son contenu soit en prise
directe sur les matières scientifiques enseignées, il permettra de remettre en
pleine lumière la grande oubliée du scientisme comme de l’anti-science :
la pensée scientifique. Si un véritable travail commun s’institue à cette fin
entre philosophes et scientifiques, on peut s’attendre à ce que se produise une
profonde rénovation de l’enseignement supérieur. Et l’on redécouvrira que cette
forme de la pensée communique avec toutes les autres (technique, artistique,
politique, éthique …). »
Lecourt voit enfin dans la spécificité française l’occasion
d’intégrer un tel projet : « Peut être
Voyons donc comment notre épistémologue parvient à pointer
les symptômes actuels de la crise des sciences de la nature, et de la biologie
en particulier, en attribuant à l’histoire des idées plutôt qu’à celle de la
pratique scientifique elle même, toute la responsabilité[5] :
« Nos collègues sont victimes d’une « conception cumulative »
de l’enseignement qui est un véritable leurre. Un leurre d’autant plus
dangereux qu’il règne déjà en maître dans les classes terminales et, plus
encore, dans les classes préparatoires aux grandes écoles. Mais enseigner les
sciences, cela se résume t-il à transmettre la plus grande quantité de
connaissances établies, au risque de figer théories et concepts ? N’est ce
pas plutôt à l’esprit de la recherche qu’il convient de faire accéder le plus
grand nombre d’élèves ? Et l’essentiel n’est-il pas de faire ensuite
saisir aux étudiants ce que sont les démarches intellectuelles qui permettent
d’acquérir toujours de nouvelles connaissances ? Ne doit-on pas, au
premier chef, initier les jeunes esprits à une certaine manière de s’y prendre
avec l’inconnu, de s’ouvrir à l’imprévu, laquelle distingue la pensée scientifique
des autres formes de pensée ? » Lecourt se souvient un instant de
sa formation marxiste : « Cette pratique de l’enseignement renvoie
à une idée de la science dont les présupposés philosophiques se révèlent
erronés : le progrès d’une science ne se fait jamais par simple
accumulation, il procède par rectifications et coordinations successives qui
permettent de rattacher un nombre toujours plus restreint de principes. Ne
doit-on pas s’attacher à montrer aux étudiants ce mouvement de la connaissance ?
Et s’il s’accélère, comme on se plait souvent à le souligner, c’est parce que
l’esprit scientifique sait, selon des procédures bien réglées, se délester de
la charge de ses raisonnements périmés. »
Le diagnostic est particulièrement juste : « Ce
que Jean-Marc Levy-Leblond faisait observer à propos de la physique,
Pierre-Henri Gouyon, professeur de génétique à l’université de Paris-sud-Orsay,
le souligne à propos de l’enseignement de la biologie. Le leurre cumulatif y a
pris un tour particulier du fait de l’histoire récente des sciences du vivant.
On sait que ces disciplines ont connu au milieu du XXe siècle une
révolution qui leur a permis d’acquérir soudain des capacités explicatives et
prédictives ; elles sont alors définitivement sorties de leur préhistoire empirique.
Mais il semble que les vieux démons de la description qui y régnaient aient
trouvé à survivre, par simple transposition, au niveau moléculaire. Ainsi
s’expliqueraient les emplois du temps monstrueux qui accablent les étudiants
contraints à apprendre par cœur une masse de formules et de connaissances qui
ne leur seront d’aucune utilité. Et cela, alors même que la théorie de
l’évolution qui occupe une place centrale dans la pensée biologique et qui
devrait, selon François Jacob, y être présentée avant tout autre concept, n’est
guère enseigné. » L’idéalisme revenant au galop, la cause identifiée
est étonnement simple : « Elle met en cause la conception de
l’enseignement scientifique qui a prévalu depuis plusieurs décennies. »
On se souvient qu’Althusser définissait la philosophie toute
entière par son rapport d’exploitation vis à vis de la science, l’encourageant
ou lui faisant obstacle selon les pays et les époques. En se penchant sur la
science « malade », Lecourt ne tarde pas à illustrer cette « fonction »
primordiale du philosophe : « L’objection la plus forte dont
nombre de nos collègues se sont fait l’écho (pour la déplorer) consiste
maintenant à dire qu’un tel enseignement serait inutile. A quoi servirait donc
la philosophie des sciences ? Cette nouvelle objection porte, elle aussi,
l’écho d’une conception philosophique de la science : celle qui a le plus
lourdement pesé sur l’idéologie des scientifiques à la fin du XIXe
siècle et pendant la première moitié du XXe siècle. Selon cette
conception, la science « positive » n’aurait plus rien à voir avec la
philosophie dont elle aurait aujourd’hui heureusement achevé de récuser la
tutelle. Le seul
intérêt de la
philosophie des sciences
consisterait à tirer les leçons épistémologiques de cette émancipation au
bénéfice des disciplines qui n’auraient pas encore réussi à s’affranchir
complètement des chimères de la métaphysique. »
Mais il s’agit d’aider les scientifiques à être plus
matérialistes, à se dégager plus facilement de cette très idéaliste PSS. Bien
entendu, l’inspiration althussérienne s’arrête ici. Le remède que préconise
Lecourt est beaucoup plus en vogue que le matérialisme dialectique…
l’« ouverture d’esprit » ! Il fallait y penser…
Les scientifiques « éprouvent, souvent non sans
raison, le sentiment que d’autres se parent de leurs titres pour soutenir des
positions idéologiques qui relèvent d’un ordre de rationalité qui n’est pas le
leur. Gilles Châtelet en a fait la démonstration brillante et exaspérée à
propos de quelques exploitations récentes de la théorie du chaos par les
économistes et les politologues. (…) une philosophie des sciences attentive à
l’histoire de la pensée scientifique apparaît ainsi toujours susceptible
d’ouvrir l’esprit des chercheurs à l’éventualité d’autres voies de recherche
que celles qui, à un moment donné, mobilisent leur communauté. Elle constitue
le meilleur garde-fou contre les effets négatifs des phénomènes de mode propres
au monde de la recherche. Elle les invite à exercer leur esprit critique contre
les vérités qui tendent à se transformer en dogmes parce que la communauté
scientifique, comme toute communauté humaine, réclame pour fonctionner des
valeurs d’adhésion. »
Eternel débat… Qu’est ce que la vraie science ?
Comment affirme t-on la légitimité théorique des sciences face aux spéculations
idéologiques, aux déviations dogmatiques de tout ordre ? Pour le savant
moderne qui se veut d’abord et avant tout subjectiviste et relativiste, on sent
que la réponse ne sera pas simple.
Exemple-type ; la scientificité de la théorie
darwinienne de l’évolution : « La théorie de l’évolution n’est pas
seulement une théorie, c’est un fait. Mais qu’est-ce qu’un fait, sinon ce qui a
été –ou est- observé ? Et qui a pu constater l’origine de la vie ?
(…) débat irritant et sans issue dans lequel les biologistes se laissent
prendre à un véritable piège philosophique. » Réponse de notre
philosophe : « Il suffit de déplacer la question pour y voir
clair : la théorie de l’évolution est certes une théorie, mais une théorie
scientifique qui coordonne un grand nombre de faits et qui ouvre à la recherche
des pistes toujours fécondes.
Situation comique ; Lecourt poursuit son analyse en
mettant les scientifiques en garde contre l’indéterminisme, cette idéologie idéaliste
qui a maintes fois montré son influence délétère sur le progrès
scientifique : « Il en va de même des interprétations
« indéterministes » du dit principe d’incertitude. Si la physique n’a
jamais affaire, en scrutant les structures intimes de la matière, qu’au
« pouvoir de l’esprit » lui même, on trouvera dans la physique dite
la plus dure des arguments en faveur de la télépathie, de la psychokinèse ou de
la cristallo-thérapie… On a vu ainsi ressurgir une nouvelle version des
spéculations immatérialistes qui s’étaient emparées de quelques uns des
meilleurs physiciens au XIXe siècle au cours de la crise de la
physique moderne consécutive à la formulation du second principe de la
thermodynamique et de ses interprétations énergétistes ».
L’avenir proche de la recherche en biologie est précisément marqué par cet
indéterminisme : En ce qui concerne Kupiec et Sonigo,
« matérialistes » résolus tout autant qu’indéterministes, Monsieur
Lecourt protégera t-il la science du danger subversif de leurs thèses, ou au
contraire nous en chantera t-il ses louanges ?
Nous n’approuverons pas les philosophes donnant, comme
Lecourt, des leçons de matérialisme aux savants en les mettant en garde contre
leurs dangereuses « spéculations ». Pas plus que les savants, tels
que Kupiec et Sonigo, dont la lutte contre les philosophies métaphysiques
consiste à élaborer de nouvelles théories aussi matérialistes en apparence que
spiritualistes[6] en profondeur.
Car telle est l’impasse de l’épistémologie officielle :
Cette « lutte des classes dans la théorie » ressemble aujourd’hui à
un cercle vicieux idéalisme / empirisme, insurmontable sans matérialisme
dialectique.
Constat de départ : Tout au long du XXe
siècle, la stérilité de la contribution –pourtant indispensable- des
philosophes au processus d’objectivation des sciences de la nature, résulte
manifestement de leur allergie unanime au monisme et à l’ontologie
matérialiste…
Les précurseurs
Tirant les leçons du « scandale » des oppositions
systématiques de
Ce criticisme fruit d’un idéalisme raffiné par l’empirisme
vulgaire, que récuseront en rationalistes Hegel puis Marx et Engels, animera
néanmoins toute l’histoire de l’épistémologie occidentale au XXe
siècle.
Deux questions majeures : La matière existe t-elle
objectivement? Si oui, peut-on la connaître absolument? A la première, Kant
répond par l’affirmative, contre la plupart des philosophes idéalistes de son
temps. En revanche, le problème de la connaissance objective, autrement dit le
problème de la vérité, du rationalisme scientifique (« les choses sont
intelligibles ») sera partant de Kant, l’objet d’un rejet quasi-unanime.
C’est à travers cette double question que se développera au
cours du XXe siècle plusieurs courants philosophiquement distincts, s’opposant
ou s’interpénétrant, se desséchant plus ou moins vite dans des impasses qu’en
dernière instance la pratique scientifique quant à elle ignorera.
On ne s’étonnera pas des censures tacites ou explicites dont
les œuvres d’Hegel puis de Marx et Engels seront victimes dans l’occident
capitaliste moderne : Marx nous enseigne en effet que « sous son
aspect rationnel, la dialectique est un scandale et une abomination pour les
classes dirigeantes et leurs idéologues parce que dans la conception positive
des choses existantes, elle inclut du même coup l’intelligence de leur négation
fatale, de leur destruction nécessaire » ! Voici donc l’histoire
d’une lutte implicite mais résolue contre une pensée dialectique toujours
latente…
L’œuvre de Kant inaugure l’histoire de cette longue et
interminable agonie de l’épistémologie contemporaine… marquée tout de même par
quelques rebondissement que nous résumerons.
Les philosophes les
plus idéalistes auront
tôt fait de
quitter la scène
de l’épistémologie, à la suite d’Heidegger par exemple qui accusa la
science post-kantienne d’« oublier l’être » des choses. Comme
« la science ne pense pas », ils penseront donc sans la science…
Postulant un entendement fondamentalement limité, les autres
s’évertueront à ranimer le discours scientifique par divers expériences de
constructivisme… Pas d’être : « Tout est construit », et
bientôt ; Tout n’est que paradigme et langage. Ce relativisme métaphysique
jadis pourfendu par les néopositivistes du début du siècle, finira –on pourrait
dire grâce à eux- par définir la scientificité elle même !
Au départ, Kant apparaît donc comme un philosophe
matérialiste qui, constatant l’historicité des sciences, de la raison elle
même, sort de son relativisme l’objectif de « délimiter » la science,
toute science « spéculative » étant par nature vouée à l’échec. C’est
à ce titre, nous aurons l’occasion d’y revenir, que l’empirisme est une forme
raffinée de l’idéalisme, une théorie de l’absence de théorie.
Kant était l’égérie de l’empirisme scientifique, Mach fut
ensuite celui du néopositivisme. L’offensive de Lénine contre
l’« empiriocriticiste » n’empêchera pas le triomphe de ce dernier
auprès des philosophes et des savants tout au long du XXe siècle. Mach tente de
résoudre le dilemme de l’inconnaissable kantien par un monisme assez
improbable : Choses et sensations seraient identiquement
« neutres », autrement dit « idéalement » équivalents.
Déproblématisant ainsi la question dualiste, il rend sa légitimité à la logique
scientifique « contre » la métaphysique, et invite la science à
étudier non des « causes », comme le préconisait Kant, mais des
« lois » à établir (Comte). Nous sommes ici au seuil du
constructivisme moderne.
Cette recherche des lois plutôt que des causes naturelles ne
fait de Mach qu’un disciple-dissident d’Auguste Comte ; sa critique du
mécanisme positiviste l’amène à rejeter le caractère supposément inductif de la
science. Il retourne le problème de la construction du savoir 1) en plaçant
l’imagination au devant du processus, abolissant dialectiquement les frontières
entre instinct et intelligence, 2) en affublant l’histoire des sciences d’un
évolutionnisme « darwinien » : une « complexification
graduelle » du savoir se fonde sur l’« adaptation de la pensée aux
faits et des pensées entre elles » par un principe d’« économie de
pensée ». Nous avons là un programme continuiste, gradualiste, positiviste
autant que déductif : « Rassembler un maximum de faits sous un
minimum de lois ». Mach jette ainsi les bases d’un « positivisme
logique » mieux connu sous l’appellation néopositivisme, que le célèbre
Cercle de Vienne formalisera à l’extrême au début du siècle.
Si de prime abord, le monisme de Mach peut séduire le
marxiste, n’oublions pas qu’il se fonde sur une
« psycho-physiologie » abandonnant le relativisme (dialectique) avec
le subjectivisme (kantien), fortement inspiré par le monisme immatérialiste de
Berkeley (Rien n’existe que la pensée !). Si Lénine décria l’influence de
Mach sur la philosophie russe, sur Bogdanov et son empiriomonisme en
particulier, les épistémologues actuels continuent à louer son héritage en
niant d’ailleurs son influence déterminante et historique sur le néopositivisme
du Cercle de Vienne, dont l’échec retentissant est aujourd’hui attesté par
tous.
Ce courant radical apparut dans les années trente comme une
révolution philosophique sans précédent. Avec une certaine virulence
anti-métaphysique, des philosophes tels que Wittgenstein, Carnap et Neurath
annoncent la fin du néo-kantisme et la réconciliation tant attendue des
« sciences de l’esprit » et des « sciences de la matière »[7].
L’émergence de la nouvelle logique mathématique à cette
époque radicalisera l’entreprise du Cercle : formaliser une
« langue » universelle capable d’énoncer la vérité rationnellement,
appelant l’unification de toutes les sciences contre la métaphysique, sous la
bannière de ce nouveau langage apte à distinguer la vérité de l’erreur par sa
seule logique interne. Wittgenstein appelle une « conception scientifique
du monde », dénonçant la métaphysique des oppositions esprit / matière,
choses en soi / choses pour nous, affirmant enfin le crépuscule de la
philosophie, l’aube de la vraie science. C’est le début du fameux projet
« physicaliste »[8].
Si Mach apparaît comme le précurseur de ce monisme
formalisateur, les adeptes du Cercle de Vienne s’en démarquent au sujet du
statut inductif de la science. Rompant également avec Kant, c’est un
« sensualisme » constructiviste qu’impose Carnap au courant, désormais
qualifié d’« Empirisme logique » (autre synonyme du néopositivisme),
empirisme « armé » par la logique.
A la base de la doctrine : « Le sens d’une
proposition, c’est sa méthode de vérification » (Wittgenstein). Ainsi
un énoncé « doué de sens » donne une connaissance du réel s’il est
mis en correspondance avec un donné empirique immédiat. Point de dialectique
ici ; les contradictions ne nous apprendrons rien du réel. Tel est le
physicalisme de Wittgenstein et Carnap : La logique formelle, que nous intégrons
comme territoire local et relatif dans la logique dialectique, est étendue et
substituée à cette dernière.
Jugée trop radicale, cette méthode qui invitait l’homme de
la rue à bannir de son vocabulaire tout ce qui put ressembler de prés ou de
loin à une métaphore, sera assoupli par Neurath, ce dernier préférant une
« vérité-cohérence interne »[9]
à la « vérité-correspondance au réel » des énoncés scientifiques.
En cherchant à unifier en ce sens les sciences par le
langage, le physicalisme de Neurath sera également le point de départ des
conceptions « inter-subjectivistes »[10]…
L’essor de la logique mathématique met bien vite en péril ce projet du Cercle
qu’il avait pourtant suscité. Le logicien Gödel, qui en était d’ailleurs l’un
des membres, établit l’impossibilité d’une axiomatique finie unifiant toutes
les mathématiques : le néopositivisme radical ne survivra pas longtemps à
son célèbre théorème.
C’est aux Etats Unis que Carnap et Neurath poursuivirent
leur projet sous un angle plus modéré. Quine en sera le continuateur critique.
Conservant du projet initial l’aspect empiriste, il en développe un
« relativisme ontologique » assez séduisant : inspiré de Duhem
qui dénonçait à la fois les aspects inductif (nécessité d’une théorie préalable)
et déductif (existence de vérités contradictoires objectives) de la théorie
ondulatoire / corpusculaire de la lumière, Quine élargit cette thèse à toute la
connaissance (thèse de Duhem / Quine) : une « expérience
cruciale » ne teste jamais une théorie entière. Contre le double dogme
inductiviste / déductiviste de l’empirisme, son relativisme consiste à définir
la science comme une « expérience sensible collective », autrement
dit une théorie de l’intersubjectivité digne de Neurath : Point de vérité
absolue, mais un accord de principe sur ce qui est perçu de la même façon par
tout le monde. Quine croit ainsi sortir d’un dangereux solipsisme par une
pirouette…
Première impasse du néopositivisme… L’intersubjectivité de
Quine est en fait plus qu’une simple pirouette ; elle ouvre la voie au
concert des critiques maladroites à l’encontre du Cercle de Vienne dans la
deuxième moitié du XXe siècle. Rorty préfère à la vérité objective
la notion d’« acceptabilité garantie ». Putnam tente de réhabiliter l’objectivisme par un
« réalisme interne » où la vérité devient modestement
« l’acceptation rationnelle à la limite de l’enquête scientifique ».
Davidson sombre dans les méandres de l’« interprétation radicale » du
langage et de la « théorie psychologiste de la croyance ».
L’empirisme est définitivement mort… rien ne vient le
remplacer ! Une fois de plus la matière disparaît, seule subsiste cette
« croyance » en l’intersubjectivité désormais inapte à distinguer une
science de la plus fantaisiste des sectes. Pire : rien ne distingue cette
intersubjectivité du plus vulgaire solipsisme (rien n’existe que moi-même), si
ce n’est l’inavouable postulat ontologique que la subjectivité d’autrui existe
objectivement indépendamment de moi et m’est absolument connaissable (pour
que je puisse m’y conformer) !
Suite logique : Le tristement célèbre courant
« post-moderniste » des philosophes actuels, manipulant et détournant
le savoir scientifique sans le comprendre pour sombrer dans un scepticisme
absolu. On comprend les philosophes matérialistes d’aujourd’hui (Lecourt,
Debray, Dagognet, Tort, …) qui, pour ranimer les dernières braises de
l’épistémologie, tentent de réhabiliter Mach (qui n’aurait rien à voir avec les
néopositivistes !) ou Wittgenstein (qui aurait pris conscience très tôt de
l’impasse dans laquelle le Cercle de Vienne allait se fourvoyer, Carnap ayant
« mal compris » son œuvre !) faute de pouvoir réhabiliter, bien
sûr, directement Hegel, Marx et Engels !
Ce dernier nous fournira justement un lumineux résumé par
anticipation de cette histoire de l’empirisme, dans sa Dialectique de la
nature : « Le plus sûr chemin de la science de la nature au
mysticisme n’est pas l’impétueux foisonnement théorique de la philosophie de la
nature mais l’empirisme le plus plat, dédaignant toute théorie, se méfiant de
toute pensée (…). En fait, on ne méprise pas impunément la dialectique. Quel
que soit le dédain que l’on nourrisse pour toute pensée théorique, on ne peut
tout de même pas mettre en liaison deux faits de la nature ou comprendre le
rapport existant entre eux sans pensée théorique. Mais alors la question est
seulement de savoir si, dans ce cas, on pense juste ou non, et le mépris de la
théorie est évidemment le plus sûr moyen de penser de façon naturaliste, c’est
à dire de penser faux. Or selon une vieille loi bien connue de la dialectique,
la pensée fausse, poussée jusqu’à sa conclusion logique, aboutit régulièrement
au contraire de son point de départ. Et voilà comment se paie le mépris
empirique de la dialectique : il conduit quelques uns des empiristes les
plus terre à terre à la plus saugrenue de toutes les superstitions, au
spiritisme moderne ».
Du post-positivisme à l’hyper-relativisme
Parallèlement à Quine, un jeune membre quelque peu dissident
du Cercle sera l’initiateur d’une refondation plus « faible » du
néopositivisme ; Karl Popper. Rompant avec l’inductionnisme persistant des
Viennois les plus radicaux, celui ci renoue avec la spéculation scientifique,
son aspect déductiviste, et inscrit le droit de la science non plus dans son
caractère logique, inductif et construit, mais au contraire dans son caractère
« falsifiable »[11].
Sous ce dernier aspect, Popper est donc une sorte de
« néopositiviste négativiste » ! Ce qui distingue un énoncé
scientifique des élucubrations sectaires, c’est sa réfutabilité par
l’expérience. Dans cette ultime tentative empiriste, darwinisme ou marxisme se
trouvent désavoués en tant que science, puisque l’histoire –leur objet- n’est
pas expérimentable ! Seules les sciences expérimentales restent donc
légitimes !
La fameuse thèse de Duhem-Quine discréditera Popper aux yeux
de la plupart des épistémologues matérialistes d’aujourd’hui… C’est pourtant à
partir de lui, ou plutôt « contre » lui, que
s’organise une fronde « post-positiviste »
résolument anti-réductionniste et remettant en selle la spéculation
scientifique, cette fois contre l’empirisme même. « Tout fait est imprégné
de théorie » : Même le faillibilisme de Popper est donc récusé au
profit d’un relativisme de plus en plus assumé et arrogant. Si, pour Popper, la
réfutabilité remplaçait la certitude dans le discours scientifique, le holisme
anarchisant de Lakatos, Feyerabend et Kuhn renvoie désormais les deux positions
dos à dos, annonçant le grand retour de la métaphysique[12] :
si tout discourt scientifique s’articule sur des théories spéculatives, le
projet d’une unification de toutes les sciences devient le plus grand mythe à
combattre.
Articulant la thèse de Duhem-Quine et l’anti-inductivisme de
Popper, on résumera la science à un « programme de recherche » (Lakatos),
une « théorie globale » (Feyerabend), un « paradigme »
inévitablement voué à des échecs successifs (Kuhn). Désormais coupée de la
pratique en quelque sorte, seule subsiste en science la
« compétition » darwinienne entre théories scientifiques, sans
perspectives de « progrès » ! Nouveau scepticisme donc…
Si le rationalisme anti-métaphysique des premières heures du
néopositivisme[13] disparaît ici, le projet
de Kuhn désormais plus sociologique que philosophique, tient en une
réinterprétation originale de l’histoire des sciences : la science n’est
« popperienne » que pendant les crises, elle est en revanche
conservatrice et idéologiquement dominée entre les crises[14]
(paradigme). Si tout paradigme est voué à sa prochaine négation
révolutionnaire, la science n’est qu’une succession contradictoire de théories
profondément incommensurables et relatives. Cette séduisante
« dialectique » ne doit pas effacer le caractère profondément
dualiste et anti-progressiste de l’œuvre de Kuhn ; sans « négation de
la négation », c’est une impasse épistémologique qu’il finira lui même par
concéder…
De l’école française au structuralisme
Le réalisme inconséquent des Putnam et Rorty, comme
l’anti-réalisme des Lakatos, Feyerabend, Kuhn semblaient pouvoir être dépassés
par un troisième courant positiviste, le plus prometteur sans doute aux yeux
des marxistes : celui de l’« épistémologie française »… Mais une
fois encore ce courant génèrera un rejet « post-moderne » radical de
l’empirisme puis logiquement un nouveau scepticisme antiscientifique,
philosophiquement aussi ridicule que dangereux, autrement dit son contraire
même…
L’épistémologie française présente dès le XIXe
siècle des spécificités historiques qui expliqueront la relative imperméabilité
du courant bachelardien vis à vis du néopositivisme contemporain, très bien
accueilli par ailleurs dans le monde anglo-saxon traditionnellement
empiriste : Au XIXe siècle le pays d’Auguste Comte développa
des thèses positivistes non assimilables par nature à l’empirisme. Pour
connaître il faut observer, mais pour observer il faut activer une théorie
quelconque…
Le degré de mépris qu’affiche la philosophie bourgeoise vis
à vis d’une théorie est souvent l’indicateur de sa valeur réelle pour un
marxiste conséquent. Bachelard est considéré en général comme le philosophe des
sciences le plus naïf, voire le plus simpliste. Un philosophe pour bacheliers
en quelque sorte… Il est vrai que son rationalisme radical peut apparaître
d’abord assez désarmant. Son œuvre incarne néanmoins l’une des formes les plus abouties de la dialectique en
philosophie des sciences au XXe siècle, même
s’il reste essentiellement constructiviste, c’est à dire dualiste. Bien
avant Kuhn, Bachelard considère sérieusement l’histoire des sciences comme une
succession de ruptures épistémologiques assimilables à des révolutions
scientifiques.
Contre Kant et dans la lignée de Hegel, bien loin de sombrer
dans le scepticisme de Kuhn, le « poète-philosophe » cherche dans
cette histoire les bases d’une « philosophie du non » : Une
révolution scientifique ne balaye pas entièrement la science antérieure mais la
dépasse, à l’instar de la géométrie non euclidienne qui englobe la géométrie
euclidienne en la relativisant, ou de la physique quantique au delà de la
mécanique newtonienne ; il n’y a pas de « lois universelles de la
nature » mais des « lois physiques » régulièrement reconstruites
sur des bases plus larges, garantissant le progrès scientifique. A cette
« négation de la négation »[15]
ne manque finalement, et c’est peu de le dire, que le monisme matérialiste. Si
cette philosophie fut ensuite entretenue par Canguilhem puis aujourd’hui, non
sans quelque romantisme suspect, François Dagognet, plus intéressants seront
ses rapports complexes avec le courant structuraliste français de Foucault et
d’Althusser.
Dans la deuxième moitié du XXe siècle, la
structuralisme est un courant multiforme, autant philosophique que scientifique
né d’inspirations marxiste, bachelardienne, cybernétique et penché sur les
sciences humaines en particulier.
D’un côté il reçoit l’héritage d’une résurgence formaliste
et constructiviste du projet viennois : la cybernétique de Piaget, Thom et
Wiener est, après et malgré l’impasse épistémologique du positivisme logique,
une volonté directement scientifique de comprendre les systèmes complexes.
Nombreuses ont été les références à cette école au cours de notre exposé…
indiquons simplement ici que sous sa forme « physicaliste », l’essai
de Théorie Générale des Systèmes « GST » (Von Bertalanffy) se conclut
très vite par l’échec puis l’oubli, tandis que l’éclatement en tendances
monodisciplinaires fut plus tenace ; en sciences cognitives (Wiener), en
mathématiques (Thom), en psychologie (Piaget), en sociologie, liguistique,
ethnologie (structuralisme).
De l’autre côté, l’héritage de Bachelard et Canguilhem se
traduit chez Foucault par une conception discontinuiste de l’histoire des
sciences et par la notion d’idéologie scientifique, assimilable au paradigme de
Kuhn. Le rationalisme constructiviste radical de la cybernétique est
continuiste, celui de l’épistémologie historique française est discontinuiste.
Les Foucault, Levy Strauss, Althusser lui même, intégreront ce dernier dans une
vision criticiste affirmant l’insondabilité des modèles scientifiques
antérieurs. Le structuralisme se penchera dés lors sur les systèmes (mécanisme)
linguistiques, ethnologiques, etc. en laissant de côté les notions
fondamentales de processus et de saut qualitatif. Un exemple évident ; le
travail de Claude Lévy Strauss, ethnologue matérialiste mais par trop
mécaniste, porte en partie sur les prétendus « invariants
anthropiques », retour inavoué à la notion idéaliste de nature humaine. Si
le structuralisme se proposait de dévoiler le caractère profondément
idéologique des systèmes philosophiques (Althusser en est l’emblème), il
n’échappera pas lui même à ce dévoilement…
Dans un style moins ampoulé, on pourrait traduire sans
trahir la notion d’invariant anthropique par « il y aura toujours des
riches et des pauvres » ou « l’Homme est fait pour faire la
guerre » ! Etait-il besoin de tant d’années de réflexion théoriques
pour aboutir à ces lumineuses et originales conclusions ?
La vision dialectique des structuralistes, celle
d’Althusser en particulier, se bornera à penser la « complexité » du
monde à travers une vision dualiste (anti-moniste) et cyclique de la matière
(rejet de la catégorie de « négation de la négation »). Détaché de
l’historicisme qui faisait par ailleurs tout l’intérêt de l’épistémologie
bachelardienne, le mouvement structuraliste revient sur un criticisme kantien
(inconnaissabilité d’un monde « complexe et déjà-donné ») qui lui
sera fatal (constructivisme versant finalement dans le scepticisme et le
« rejet du progrès », de la modernité émancipatrice). Un puissant
courant post-moderne ouvert par les littératures aussi confuses que ridicules
des Lacan, Deleuze ou Derrida, s’installera enfin sur les cendres du
structuralisme en France. Ce dernier, jusque là plus ou moins à l’abri des
développements contemporains du néopositivisme anglo-saxon, rayonne encore
aujourd’hui à l’étranger, aux Etats Unis en particulier, tandis qu’un certain
désaveu récent le rend paradoxalement silencieux en France.
La question du rapport du savoir et du pouvoir, autrement
dit de la science à la politique, au delà même de la philosophie, question
chère à Foucault autant qu’à Althusser, prend une résonance particulière à ce
stade de notre étude.
L’intégration contradictoire du néopositivisme
(cybernétique) et de l’épistémologie française à l’intérieur du structuralisme
répond en effet à certains égards à des questions d’ordre politique. Le
matérialisme continuiste et anti-métaphysique du Cercle de Vienne,
impitoyablement réprimé à partir des années trente par les nazis saoulés
d’Heidegger comme « science judéo-bolchévique dégénérée », incarnait
souvent un engagement de gauche, en la personne de Neurath notamment, qui se
déclarait ouvertement marxiste. Les apparentes affinités de Bachelard avec la Dialectique
de la nature d’Engels seront explicitées avec enthousiasme par Althusser[16].
C’est à l’intérieur du structuralisme que se reconnaîtront
un certain nombre d’intellectuels de gauche sous la direction de ce dernier. Si
ce piège a fonctionné un moment, comme fourvoiement du marxisme moderne, une
analyse matérialiste dialectique se doit aujourd’hui de faire la part des
choses, à l’abri des séductions faciles.
Le courant « post-moderne »
L’épistémologie du XXe siècle se développe en un
triple mouvement de recherche « implicitement » dialectique, au sens
où le monisme néopositiviste luttait contre la métaphysique tout en déniant
l’efficience d’une analyse dialectique des ruptures épistémologiques, au sens
où l’historicisme dialectique du post-positivisme comme de l’école française,
rompant avec ce continuisme naïf s’égarait en même temps dans un dualisme
insurmontable. Bref, en philosophie comme en science, les lois du matérialisme
dialectique ne sont reconnues que séparément, c’est à dire stérilement.
Trois fois discréditée dans son projet d’alliance théorique
avec la « pensée scientifique » par des causes interne (allergie à
Hegel, Marx et Engels) et externe (le progrès scientifique progressant et niant
régulièrement les freins de sa superstructure idéologique : dualisme,
solipsisme, scepticisme, nihilisme), la philosophie prend aujourd’hui la forme
d’un éclatement opportuniste engagé dans le discrédit toujours insatisfait du
progrès émancipateur, cherchant dans la pratique scientifique elle même[17],
mais en commettant d’inévitables erreurs, les bases d’un relativisme radicalement
hostile au projet
scientifique. Toute « philosophie de l’émancipation » est
désormais fustigée comme « pensée globalisante », source
désignée du totalitarisme[18] !
Mais le post-modernisme,
profondément ancré dans une désespérante atomisation de la pensée, allait
bientôt subir un coup fatal dans les années quatre-vingt dix avec
l’« affaire Sokal » ; une sorte de retour de manivelle très
instructif. Précisons-le …
Espérant sonner le glas des
« pensées trop claires », le post-modernisme est la bannière délavée
de tous les verbiages pseudo-littéraires d’aujourd’hui. Ils ne s’accordent
entre eux que sur un tragi-comique hyper-relativisme[19],
un scepticisme résolument anti-scientifique et la légitimité exclusive des
réflexions les plus ponctuelles et déconnectées ! Passant d’analyses
philosophiques à des analyses de type journalistique, ils blanchissent tout ce
qui passe pour pré- ou anti-marxiste, réhabilitent sans distinction les Kant,
Mach, Nietzsche, Heidegger[20],
les réaccommodant à l’individualisme radical et à la « pensée
libre », en somme tout ce qui peut ressembler à de la désinvolture voire à
de la démission intellectuelle… à la pensée qui démissionne d’elle même…
Faute de contradicteurs, les
post-modernes tiennent le devant de la scène intellectuelle grâce à une
puissante discipline idéologique des médias en Europe comme aux Etats Unis,
autant qu’à l’opacité péremptoire de leur prose. Cette fraîche impunité les
incita progressivement dès les années quatre-vingt à agrémenter leurs
« essais » d’une multitude de références à la logique mathématique[21],
à la physique quantique, à la cybernétique, dont la complexité résonnait en
apparence avec la leur. Nombreux furent les scientifiques
« convertis » qui risquèrent à leur tour de telles élucubrations
philosophiques dans les revues post-modernes de l’époque.
Social Text, la plus
célèbre et la plus internationalement reconnue des revues américaines
post-modernes, accueillit dans ses colonnes en 1996 un éminent physicien de
l’époque ; Alan Sokal. Ce dernier y publiait un long article[22]
rivalisant avec ceux du milieu dans son extrême ésotérisme et mêlant comme il
était de mise allusions à Gödel, Einstein, Schrödinger et révérences courtoises
à Derrida, Lacan, Deleuze, … La publication eut vite un écho retentissant en
Amérique comme en Europe, et fut accueillie par un concert de louanges des deux
côtés de l’atlantique : Le post-modernisme comptait désormais un nouvel
adepte, et non des moindres. On qualifia même l’article de révolutionnaire,
tant il semblait ouvrir la voie à cette réconciliation tant attendue entre
« sciences dures » et sciences humaines relativistes.
Quelques mois plus tard, Sokal
annonçait dans une autre revue que son fameux article n’était autre qu’un très
grossier canular destiné à ridiculiser les partisans du post-modernisme sur
leur propre terrain : Le texte articulait par d’authentiques références à
la rhétorique creuse des « philosophes officiels » des énoncés aussi
vides de sens que riches en termes « savants » ! On ne pouvait
prévoir résultat plus heureux. Le crédit démesuré accordé à ce texte, ses
commentaires enthousiastes, furent alors autant d’aveux sur la vacuité et la
désinvolture des textes précédemment parus des grands auteurs officiels.
Notre espiègle rationaliste publia
en 1997 avec Jean Bricmont, collègue physicien, un livre éclairant les tenants
et les aboutissants de cette polémique encore vive aujourd’hui. En voici l’une
des réflexions les plus intéressantes : « Pour nous et pour tous
ceux qui se situent politiquement à gauche, le post-modernisme a des
conséquences négatives spécifiques. Premièrement, la focalisation sur le
langage et l’élitisme lié à l’usage d’un jargon prétentieux contribuent à
enfermer les intellectuels dans des débats stériles et à les isoler des
mouvements sociaux qui se passent en dehors de leur tour d’ivoire. Les
étudiants progressistes qui arrivent sur les campus américains peuvent
facilement être déroutés par l’idée que ce qu’il y a de plus radical (même
politiquement) est le scepticisme intégral et l’analyse du discours.
Deuxièmement, la persistance d’idées confuses et de discours obscurs dans
certaines parties de la gauche a tendance à discréditer la gauche toute
entière ; et la droite ne se prive pas d’utiliser démagogiquement cette
opportunité. Mais le plus important, c’est que toute possibilité d’une critique
sociale qui pourrait tenter de toucher ceux qui ne sont pas convaincus d’avance
devient logiquement impossible, à cause des partis pris subjectivistes (en
pratique, un certain nombre d’individus qui utilisent le langage postmoderne
s’opposent aux discours racistes ou sexistes en invoquant des arguments
parfaitement rationnels : nous pensons simplement qu’il y a une
incohérence entre leur pratique et leur philosophie, ce qui n’est peut être pas
trop grave). Si tout discours n’est que le récit ou narration, et si aucun
discours n’est plus objectif ou plus véridique qu’un autre, alors il faut
admettre les pires préjugés racistes et sexistes et les théories
socio-économique les plus réactionnaires comme « également
valables », du moins comme description ou analyse du monde réel (à
supposer qu’on admette l’existence de celui-ci). Manifestement le relativisme
est une base extrêmement faible sur laquelle fonder une critique sociale de
l’ordre établi. Si les intellectuels, en particulier ceux qui se situent à
gauche, veulent apporter une contribution positive à l’évolution de la
société, ils peuvent le faire surtout en clarifiant les idées ambiantes et en
démystifiant les discours dominants, pas en ajoutant leurs propres
mystifications. Une pensée ne devient pas « critique » simplement en
s’attribuant ce titre, mais en vertu de son contenu.»
On voit clairement à travers ce
texte quelle est toujours la question centrale de cette « lutte des
classes dans la théorie » : celle de la légalité moniste du discours
scientifique contre le « tout se vaut »…
B.
Déviations actuelles du matérialisme dialectique
Les positions politiques de Sokal
peuvent choquer, même et peut-être surtout chez les scientifiques « de
gauche » eux mêmes… Comment diable peut-on mélanger ainsi science et
politique ?! Paradoxalement, lorsque des savants nous ensevelissent sous
une prose « libérale » ontologique (Kupiec et Sonigo), l’idéologie
pourtant évidente à la seconde lecture passe souvent inaperçue à la première.
Nous sommes tellement habitués à recevoir les « idées » que distille
quotidiennement la bourgeoisie dans les moindres recoins de la vie sociale, que
tout discours hétérodoxe inspire immédiatement la suspicion : Ces marxistes
sont d’incurables dogmatiques ! Méfions-nous des discours
« totalitaires » ! L’agnosticisme, l’éclectisme, telles sont nos
garanties les plus sûres contre ce « cancer » qu’est la pensée
engagée !…
Sur les campus, l’activité des
renégats post-althussériens, comme d’ailleurs celle des trotskistes et autres
anarchistes actuels, loin de proposer de réelles alternatives, renforceront au
contraire ce type de positions chez les futurs scientifiques.
Citons le croustillant débat entre
le renégat Régis Debray[23]
et l’anarchiste Jean Bricmont[24],
publié en 2004 sous le titre « A l’ombre des Lumières ». D’un
côté le rejeton du structuralisme althussérien défend un positivisme restreint,
anti-moniste et post-moderne axé sur les structures de l’acquisition matérielle
des connaissances (« médiologie ») et sur la mise en évidence des
« invariants anthropiques ». De l’autre côté, pour défendre la
légalité du discours et du progrès scientifique, l’allié de Sokal prône
l’anarchie poppérienne radicale dont le scepticisme a finalement aussi peu de
poids que les figures de style du post-moderne.
C’est par exemple pour sauvegarder
la légitimité scientifique que Bricmont prend parti pour la démarcation
étanche, péremptoire et finalement métaphysique entre
« sciences dures » et sciences humaines, contre Debray. Par
dessus le monisme ontologique honni à l’unanimité,
l’« inconnaissable » dualiste prêché par les Popper post-positivistes
comme par les Kant néo-positivistes leur permettra même si tout les oppose en
apparence, de se serrer finalement la main. Une belle leçon de
démocratie !
Pour un marxiste conséquent
rappelons le, préférer le monisme constructiviste du Cercle de Vienne au
dualisme dialectique du post-positivisme, ou réciproquement serait une erreur.
Ce qu’il faut voir au delà des séductions ponctuelles, c’est l’opiniâtreté de
l’ensemble des épistémologues modernes, quelque soit leur camp, à rejeter avec
horreur le monisme matérialiste dialectique, à employer pour ce faire des
trésors de stratégie théorique, consciente ou inconsciente, pour mêler
consensus, opposition et « neutralisation » de la théorie marxiste de
la connaissance.
a.
La pensée structurale a-historique
Il est aujourd’hui évident qu’il y
aura toujours des guerres, qu’aucune société idéale n’est vraiment concevable,
encore moins possible. La nature humaine est quelque chose de fixe, et les
marxistes doivent en tirer les conséquences, c’est à dire admettre
l’impossibilité du socialisme tout en conservant ces valeurs qui les rendaient
si sympathiques. Finalement, après avoir été l’inspirateur des idéologies de
droite et d’extrême droite au XXe siècle, Darwin n’est-il pas au
fond l’inspirateur potentiel d’une « nouvelle gauche », celle qui ne
se fait plus d’illusions, mais qui décèle par exemple dans la nature comme chez
l’Homme une « valeur sélective » à la coopération elle même ?
Telle est dans ses grandes lignes
le plaidoyer pour une nouvelle « gauche darwinienne » que Peter
Singer, l’un des philosophes anglo-saxons actuels les plus influents, a publié
en 1999.
Révolution de la pensée ?
Point final du leurre moniste qui a tant envenimé les léninistes depuis un
siècle ? Bond en avant de la spirale post-post-moderne ? En réalité
rien de bien nouveau… tout au plus quelques soubresauts de ce bon vieil
empiriocriticisme gauchisant, paré de concepts du dernier cri. Que sont devenus
les intellectuels de gauche, disciples de Sartre ou d’Althusser ? Des
Debray, des Chomsky, des Singer…
Une relecture de
« Matérialisme et Empiriocriticisme » de Lénine ou de
« Matérialisme militant » de Plekhanov suffirait à ridiculiser ces
adorateurs de l’« invariant anthropique » et de
l’« inter-subjectivité ». Pour les premiers intéressés, c’est à dire
les anthropologues eux mêmes, la notion d’invariant anthropique est bien plus
problématique qu’il n’y paraît. Philippe Descola par exemple précise :
« Comment concilier le fait que l’espèce humaine possède un équipement
biologique et cognitif sans grandes variations internes avec le constat qu’elle
emploie cet équipement de manière extrêmement variable ? (…) La tâche de
l’anthropologie est de mettre au jour des régularités dans ce foisonnement de
particularismes (…) ». Les données ethnologiques rendent cette tâche
particulièrement ardue. Loin d’unifier une cosmologie qui serait universelle et
intemporelle, les « invariants anthropiques » correspondent à une
classification régionale plus ou moins large et n’échappent pas en ce sens à la
règle de l’évolution historique avec changements qualitatifs et
développement inégal : « Et même si le naturalisme est maintenant
en passe d’étendre à la majeure partie de la planète sa grille de lecture des
choses, il faut souligner avec force que notre cosmologie est une production
historique récente, non un étalon éternel que les Modernes auraient su
accoucher du ciel des Idées ».
Descola ajoute t-il
philosophiquement quelque chose à la vieille théorie schizophrène de Mach,
partagé entre le souci « anti-métaphysique » du relativisme et
l’impasse de l’anti-monisme qui lui est invariablement subordonné, quand il
conclue : « Or, si notre cosmologie est historiquement
unique, apte à accommoder toutes les autres et équipée, pour ce faire, d’outils
explicatifs incomparables, ne serait-ce pas tout simplement parce qu’elle est
vraie, parce que le partage qu’elle établit entre l’universalité objective des
lois de la matière et de la vie et la diversité subjective des institutions
humaines est celui qui correspond le mieux à la nature des choses ? C’est
là une question à laquelle un anthropologue ne saurait répondre. Non pas par
scepticisme ou adhésion à un relativisme de principe, mais parce qu’il s’agit
d’une croyance. On ne peut tenir pour vraie une théorie si l’on entend par là
qu’elle rend compte mieux et plus complètement que toute autre théorie de la
structure et du mode d’action des éléments de la matière. Il n’y a aucun sens, en revanche, à tenir pour
vraie ou fausse une cosmologie comme la nôtre qui n’est qu’une manière parmi
d’autres de distribuer des propriétés et d’opérer des regroupements ontologiques
parmi les existants. Le fait qu’elle ait servi de matrice à l’émergence et au
développement de la pensée scientifique, qu’elle l’ait même, dans une certaine
mesure, rendue possible, n’en fait pas pour autant une certitude scientifique »
(Qu’est-ce que la diversité de la vie ? Editions O. Jacob, 2003).
Détachée de la pratique, l’épistémologie atteint ici le plus haut degré de
monstruosité logique.
Posons donc clairement la question
de l’objectivisme moniste.
Les classiques du marxisme nous
enseignent qu’il existe bien une distinction contradictoire entre l’objet et le
sujet, entre la « chose en soi » et le « moi ». Si nous ne
connaissons la chose que par les actions qu’elle exerce sur nous, couleur,
odeur, texture, etc. ces aspects sont effectivement des représentations dans le
cerveau de l’Homme (les choses pour nous, ces « hiéroglyphes », selon
l’expression de Plekhanov) et non des propriétés objectives de la chose. Mach a
donc raison sur ce point : un objet ne manifeste une couleur que si
quelqu’un la regarde. En revanche, il serait absurde d’ôter à cet objet la propriété
de reproduire cet effet, la couleur, à chaque fois que nous reposons
le regard sur lui. C’est cette propriété qui appartient en propre à l’objet et
ne saurait être qualifiée de subjective. La couleur est donc une sensation
indissociable du sujet, mais fondée sur cette propriété objective de la chose
en soi, en donnant prise sur elle.
C’est en taxant cette conclusion
élémentaire de métaphysique que Mach tombe du même coup dans l’idéalisme :
l’intersubjectivité, en tant que déproblématisation de l’ontologie qui fonde
l’harmonie possible des Hommes sur leurs connaissances de la matière, n’est
qu’un avatar malheureux du solipsisme. N’est ce pas rejeter la « chose en
soi » et sa connaissabilité tout en admettant pourtant un
« autrui-chose en soi » et la connaissabilité de son jugement à
accorder au mien ?
L’Homme appartient en effet à la
matière, tout comme les « choses pour nous », dédoublement des
« choses en soi » dans son cerveau. Telle est la base du monisme et
l’incontournable distinction entre « dualité » objet-sujet et
« dualisme » matière-esprit…
Allons plus loin. Aucun miracle ne
nous donne la matière comme connaissance absolue et définitive par nos seuls
sens (empirisme). C’est la pratique, action de l’Homme matériel sur son milieu
matériel, qui fonde et développe le savoir scientifique. Ce savoir, fruit d’un
travail humain, va bien au delà de ce que nous donnent nos expériences
quotidiennes individuelles. Il est donc relatif à ce travail tout en étant
absolu dans le cadre délimité par la pratique à un moment donné de l’histoire
des sciences. Cette relativité n’a rien à voir avec celle que nos philosophes
invoquent au nom du post-modernisme.
Quine la conçoit ainsi :
« Supposé que nous travaillons dans une théorie et donc que nous
traitions de ses objets. Nous le faisons en employant les variables de cette
théorie, variables dont les valeurs sont ces objets, quoiqu’il n’y ait pas de
sens ultime dans lequel cet univers puisse avoir été spécifié. Le langage de
notre théorie comprend des prédicats par lesquels nous distinguons des portions
de cet univers d’autres portions, et ces prédicats diffèrent entre eux
simplement par le rôle qu’ils jouent dans les lois de la théorie. A l’intérieur
de cette théorie prise comme théorie d’arrière plan, nous pouvons montrer
comment une théorie subordonnée, dont l’univers est une portion de l’univers
d’arrière plan, peut, moyennant une réinterprétation, être réduite à une autre
théorie subordonnée, dont l’univers est une portion plus petite de l’univers
d’arrière plan. Ce discours sur les théories subordonnées et leurs ontologies
possède un sens, mais uniquement par rapport à la théorie d’arrière plan, avec
son ontologie admise originellement, et en dernière instance incrustable »
(Relativité de l’ontologie et autres essais, Paris 1977, Aubier).
Comment ne pas voir ici l’application ontologique du théorème de Gödel dans un
sens dialectique assumé ? S’il apporte ici l’argument qu’on ne saurait
élaborer des connaissances sans théorie préalable, ce que le matérialisme
dialectique atteste contre l’empirisme vulgaire, Quine oublie
« simplement » que l’incrustation des théories (que nous
appellerons ; relativisation d’une théorie par une théorie plus générale
désormais absolue) les unes dans les autres suit, non seulement le
développement, le raffinement conceptuel de la pratique scientifique, mais
aussi, à partir de l’Homme, portion de la matière qu’il étudie, l’évolution
qualitative historique de cette matière même, donnée que seul le matérialisme
conséquent pose en amont… Nous ne reprocherons pas aux peintres de Lascaux de
n’avoir pas découvert la loi de la valeur propre aux sociétés marchandes. Nous
ne reprocherons pas à Marx de ne pas avoir théorisé les lois du capitalisme
monopoliste d’Etat (Lénine), pourtant incrustables aux lois générales –et
toujours objectives !- du capitalisme.
Héritière d’un structuralisme
initialement matérialiste, l’épistémologie contemporaine reste bornée à l’étude
des structures de la connaissance. C’est ainsi que Debray par exemple
s’applique à n’étudier finalement du savoir humain que ses modes de production,
ses techniques de diffusion, en oubliant sciemment ce qui le fonde -les
rapports de production-, confondant physique, religion, mass-médias dans une
seule et même pratique, niant tout le travail de corruption idéologique qui les
imprègne ponctuellement et plaçant au devant de tout l’apparente harmonie de
ces improbables invariants. Il suffit à Debray de pointer un comportement
particulièrement durable, voire permanent dès l’origine de l’Homme, pour le
postuler éternel… N’est ce pas là une croyance métaphysique, qui aurait bien
peu à reprocher à notre diabolique monisme ontologique ?
Laissons les nihilistes tourner en
rond et revenons à notre définition de la relativité ontologique. Engels nous
éclaire dans Feuerbach sur la contradiction relatif / absolu qui
sous-tend tout savoir scientifique. En amont de toute pratique scientifique, le
matérialisme dialectique, incorporant son propre lien dialectique avec la pratique,
est la seule théorie susceptible d’immuniser le savoir produit des égarements
idéalistes ultérieurs. Contre la métaphysique, cet angle d’attaque fait encore
surgir le problème de la validité des concepts fixes sensés couvrir une matière
changeante… Définissant le « poisson » par son milieu aquatique, son
caractère de vertébré et ses branchies par exemple, on s’aperçoit vite que
certains poissons vivent hors de l’eau, que d’autres n’ont pas de branchies et
respirent par la peau, voire par des poumons. A la suite d’Aristote, les
nominalistes objecteront que la catégorie de poisson n’a donc pas lieu d’être
objectivement. Mais si rien de quantitatif n’est définissable de façon stricte,
L’Humanité n’a pas d’existence objective non plus… il n’est alors même plus
question de parler sérieusement d’intersubjectivité !
Nous sommes nominalistes au sens où
nous affirmons que les choses n’ont pas d’essence idéale, immuable. Nous ne le
sommes pas en revanche au sens où nous affirmons que ces choses ont toutes un
mode d’existence, le mouvement, et sont donc susceptibles de répondre à des lois
générales (même si ces lois sont elles mêmes changeantes). Dans le cas du
poisson, nous avançons par exemple que cette catégorie a bien lieu d’être, et
ce objectivement, tandis que la nature fluente de la matière gêne la
définissabilité des aspects qu’elle manifeste dans la durée (ici l’évolution
biologique). Ces aspects sont, nous l’avons dit, objectifs mais
changeants. La qualité générale d’une chose ou d’un groupe de choses apparentées
est, c’est vrai, toujours provisoire, puisqu’en mouvement ; donc provisoirement
objectif et non absolument subjectif.
A la fixité des concepts, base
concrète du raisonnement humain, répond celle des visions du monde elles mêmes
dans l’histoire de l’Homme. Ainsi par exemple, nous savons tous que le
christianisme s’est imposé comme une conception progressiste et émancipatrice
dans la décadence romaine, que le capitalisme s’est assorti d’une vision
« libérale » progressiste dans la féodalité pourrissante, que le
nationalisme est une cause juste quand il fait face au colonialisme, que le
darwinisme fit progresser les sciences de la nature au moment où le fixisme
atteignait ses conclusions les plus absurdes. Objectivement progressistes dès
leur installation, ces visions du monde se changent avec le développement
historique, en théories ouvertement réactionnaires. Notons qu’ayant changé
progressivement de positions avec le temps, les partisans du début le restent
souvent pour des raisons bien différentes ensuite.
De telles visions du monde,
historiquement plus ou moins stables, ont-elles un caractère progressiste ou
réactionnaire ? La question est absurde hors du contexte historique ;
Elles sont historiquement tantôt objectivement progressistes, tantôt objectivement
réactionnaires, et ceci ne peut être admis qu’en assumant jusqu’au bout le
matérialisme dialectique. Une question brûlante se pose alors, dans cette
vision historiciste ; le matérialisme dialectique peut-il, en modifiant
ses propres principes par voie interne, devenir lui même réactionnaire ?
b.
Révisionnismes
Il existe dans l’histoire du
marxisme bien des déviations, bien des révisions. Qu’une telle philosophie soit
l’enjeu de tant de ré-accommodations, d’assaisonnements, à travers l’histoire
de son élaboration, n’est pas sans poser quelques questions…
Avant de répondre à celle-ci ;
« le matérialisme dialectique est-il voué à se nier
lui-même ? », nous nous pencherons sur deux exemples symptomatiques
de « désactivation » récente du matérialisme dialectique par des
intellectuels se réclamant du marxisme.
Le premier est celui d’Althusser.
Partant d’une tradition
incontestablement matérialiste, fortement influencé par Gramsci autant que par
Mao, son travail consistait à expliciter la philosophie « implicite »
et « inhérente » au Capital contre le « dogmatisme » du DiaMat
stalinien. Son diagnostic : Une rupture non consommée avec l’idéalisme
hégélien, surtout visible chez Engels, expliquant le destin
« mécaniste » voire « positiviste » du marxisme politique
au XXe siècle. C’est pour lui précisément la théorie marxiste de la
connaissance qui pêche dans cette « malheureuse » aventure : Le
matérialisme dialectique devait représenter un rempart « critique »
contre toute forme d’idéalisme en philosophie (c’est effectivement le
cas !), plutôt que l’ontologie métaphysique et « apologétique »
qu’il serait devenu en URSS. Le matérialisme dialectique qu’Althusser appelait
de ses vœux se destinait ainsi à n’être plus qu’une méthode. Privée de
toute théorie moniste de la connaissance, celle ci était moins une méthode pour
connaître (Lénine) qu’une méthode pour protéger toute position marxiste des
incursions idéalistes, la philosophie était, à juste titre d’ailleurs, perçue
comme un « champs de bataille », mais où les « positions »
prévalent sur les « vérités ».
Althusser assorti d’ailleurs ce
relativisme dualiste (anti-moniste) à un nominalisme radical qui, partant d’une
critique juste de l’essentialisme platonicien, finit par dénier toute
« qualité » générale aux aspects de la matière à un moment donné de
son développement : « J’irai plus loin [que Marx] : je
dirais que [le nominalisme] n’est pas seulement l’antichambre du
matérialisme, mais que c’est le matérialisme lui même » (Sur la
philosophie). Ce « déplacement » n’est pas mince ; il
disqualifie de fait tout énoncé dialectique en science en atomisant à la base
l’approche objective de l’Homme sur la matière. Cette forme raffinée de
relativisme nous est aujourd’hui bien familière : L’althussérisme n’est-il
pas lui même l’antichambre du post-modernisme « de gauche » dont
parlait Sokal ?
Notons qu’il s’est, même
tardivement, affublé d’un titre spécial ; le « matérialisme
aléatoire », stade suprême pourrait-on dire, du matérialisme
dialectique !… Tout finalisme taxé par avance d’idéalisme, cette
improbable philosophie du vide utilise l’argument juste de la
« non-antériorité du sens » pour affirmer le primat[25]
du contingent sur le nécessaire, du complexe sur le simple. L’influence maoïste
est ici particulièrement palpable (théorie du « déplacement »
aléatoire du caractère antagoniste / non-antagoniste des contradictions dans un
système de contradictions). A travers cette hégémonie très en vogue aujourd’hui
de la contingence et de la complexité, l’avatar ultime du « déplacement »
maoïste est enfin explicite : « Je pense qu’en toute philosophie
on peut découvrir des éléments idéalistes et matérialistes, avec la dominance
d’une des deux tendances sur l’autre dans une philosophie donnée. En d’autres
termes, il n’existe pas de division radicale et brutale puisque, dans une
philosophie qualifiée d’idéaliste, on peut rencontrer des éléments
matérialistes et vice-versa. Ce qui est certain, c’est qu’il n’y a pas de
philosophie absolument pure. Ce qu’il y a, ce sont des tendances ».
Arrêtons nous sur cette très spéculative symétrie entre idéalisme et
matérialisme.
Passons sur l’énigme dans laquelle
nous plonge Althusser en affirmant détecter, donc identifier la nature
tendanciellement idéaliste ou matérialiste d’une théorie sans partir d’un point
de vue[26]
précisément matérialiste sur cette nature. Si toute philosophie, enjeu d’une
contradiction antagoniste entre éléments idéalistes et matérialistes, n’est que
« tendanciellement » idéaliste ou matérialiste, il ne saurait en
effet exister de matérialisme plus radical que cette philosophie du vide, cette
« philosophie qui fait le vide autour d’elle ».
Nous avons entrepris de montrer
dans les chapitres précédents que l’existence d’éléments matérialistes (et
dialectiques) dans toutes les théories idéalistes de l’évolution biologique
témoigne, non pas de cette symétrie désactivant par avance toute théorie
scientifique alternative, mais bien d’une accommodation nécessaire puis d’une
« neutralisation » idéologique nécessaire des éléments scientifiques
rendant compte de la matière, précisément parce que celle ci procède
dialectiquement et parce que la science en fournit « malgré elle »
une connaissance objective (monisme) ! En d’autres termes, nous parvenons
à la même observation qu’Althusser en biologie –existence d’éléments
matérialistes au sein de théories idéalistes- mais pour créditer des positions
monistes diamétralement opposées aux siennes…
Le très récent Principes de la
dialectique de Jean Marie Brohm fournira notre deuxième exemple, image inversée
du premier.
Pour ce trotskiste, opposant de la
première heure à la tendance althussérienne dont l’influence
« stalinienne » serait selon lui encore palpable[27],
c’est précisément l’assimilation du matérialisme dialectique à une simple
méthode qui lui impose ce « dogmatisme » tant reproché.
S’il authentifie la découverte des
lois de la dialectique, Brohm n’oublie pas de se mettre dans l’air du temps par
quelques très prudents recours à l’œuvre de Mao et subordonne –comme
Althusser !- ces lois à l’hégémonie de la complexité et de la contingence.
Insistant sur la difficulté de « saisir » la matière fluente, animée
d’un indéchiffrable système de contradictions, le très maoïste
« déplacement » aléatoire des caractères dominant / secondaire et
antagoniste / non antagoniste au sein de tels systèmes complexes permet à notre
« gauchiste » une double argumentation : 1) Avaliser les lois de
la dialectique, c’est à dire la position moniste ontologique, 2) Refuser de les
appliquer aux sciences de la nature, pour ne pas tomber dans la
« contemplation » métaphysique d’une nature si opaque, d’une nature
dont on ne saurait produire autre chose qu’une science mécaniste, voire
techniciste.
D’une telle opération surgit
finalement la position sartrienne bien connue qui consiste à n’admettre le
matérialisme dialectique que dans le cadre de la praxis humaine. Comme Brohm,
qui n’est pas scientifique, ne reconnaît dans la science de la nature aucune
praxis humaine (mais au contraire une vaine contemplation), son matérialisme
dialectique se restreint à l’histoire de l’Homme (métaphysiquement plus que
« qualitativement » séparée de celle de la nature), c’est à dire au
seul matérialisme historique.
Ici encore, la dialectique est donc
moins une méthode pour connaître qu’une affirmation moniste restreinte,
niant ainsi son statut scientifique (statut d’où proviendrait le fameux
dogmatisme !). L’assimilation à une « méthode universelle »
détruirait la dialectique bien plus que n’importe quelle révision. Il cite
d’ailleurs très opportunément Georg Lukács : « L’orthodoxie en
matière de marxisme se réfère (…) exclusivement à la méthode. Elle implique la
conviction scientifique qu’avec le marxisme dialectique a été trouvée
la méthode de recherche juste, que cette méthode ne peut être développée,
perfectionnée et approfondie que dans le sens de ses fondateurs ».
Répondons immédiatement :
Cette méthode n’est développée, perfectionnée, etc. que dans le sens de ce
qui a été découvert par ses fondateurs. Ces lois ne sont de plus
universelles qu’au sens où l’univers lui même se développe : Universel est
loin de signifier immuable ! Que les Lukács et autres Brohm désirent
développer le matérialisme dialectique dans n’importe quel sens, et ce
pour la raison simple qu’il n’est pas un science, voilà qui n’est pas
incohérent… C’est en quelque sorte une lutte « de l’intérieur »
contre le matérialisme dialectique, pour le désactiver en une sorte
d’élucubration pseudo-philosophique pour intellectuels de salon.
Résumons-nous : Quand
Althusser « corrige » le matérialisme dialectique dans son égarement
« métaphysique » en lui imprimant un dualisme prudent et les vertus
d’une méthode d’autocorrection sans bases référentes (matérialisme aléatoire ou
philosophie du vide), Brohm tout aussi bienveillant vis à vis du matérialisme
dialectique, le corrige à l’inverse en n’admettant son caractère ontologique
que dans le cadre de la praxis humaine, c’est à dire pour lui du seul
matérialisme historique (où l’Homme « peut agir » sur la matière),
tout en déniant sa vocation méthodologique (« apprendre, toujours
apprendre, pour comprendre et agir » Lénine)…
Revenons à la question du
« développement » épistémologique du matérialisme dialectique.
Lukács a formidablement résumé le
problème des philosophes révisionnistes des dernières décennies (y compris lui
même !) : Il tient au caractère « apologétique » du
marxisme soviétique, comme corpus figé de lois établies, dont il faudrait
« libérer » ce matérialisme dialectique si coriace. Ce diagnostic
mérite toute notre attention : Nous y répondrons point par point.
Le matérialisme dialectique a en
effet une histoire bien longue (depuis l’Antiquité !), qui répond quoi
qu’on en dise, à la praxis humaine : sa naissance en tant que science,
c’est à dire en tant que méthode capable de fournir des connaissances
objectives, date de l’œuvre de Marx et Engels qui accomplirent un renversement
matérialiste de l’idéalisme objectif hégélien, le subordonnant au critère de la
pratique.
Il contient dés lors les
instruments de son développement, et n’échappe donc pas au principe premier du
mouvement de la matière : fruits du travail humain, ces principes généraux
sont par essence non finis (subordonnés à une pratique en développement)
puisque appartenant à la matière, à l’intérieur de laquelle ils s’exercent.
Le DiaMat
« soviétique » n’est en ce sens pas ossifiable (dogmatique), au sens
où les sciences sont sans cesse appelées à réviser non pas son contenu mais sa
forme (Engels), c’est à dire la formulation perfectible de ses principes.
L’apologie radicale de la complexité et de la contingence ne saurait par décret
réviser cette forme, et son contenu moins encore : On ne peut espérer
aucun progrès scientifique d’une approche dogmatiquement indéterministe de la
matière, complexité et contingence ne dépendant qu’en dernière instance du
déterminisme véritablement matérialiste.
Si le matérialisme dialectique est
appelé à se transformer à l’avenir, n’échappant pas à ses premiers principes,
de deux choses l’une : 1) Soit cette transformation résulte de
contradiction(s) antagoniste(s) pour devenir la négation de ses propres
principes, 2) Soit elle résulte de contradiction(s) non antagoniste(s),
ré-élaboration permanente et perfectible, fondée sur ses principes initiaux
sans possibilité de nier leur vérité intrinsèque.
Dans le premier cas, aussi absurde
soit-il, on prophétisera la mise au monde d’un idéalisme métaphysique sorti des
flancs du matérialisme auto-détruit par sa dialectique ! En admettant
une thèse absurde comme celle-ci, il faudra encore oublier que le matérialisme
dialectique est précisément né de l’idéalisme il y a plus d’un siècle… Ceci est
le problème des maoïstes et autres prosélytes de la dialectique
« cyclique », pas le nôtre…
Dans le second cas, on observera
que les références aux classiques du marxisme, loin d’être
« apologétiques », sont des bases indispensables au développement
théorique futur[28].
Encore faut-il admettre qu’un
énoncé, qu’une connaissance, qu’une théorie soit à la fois absolument vraie et
cependant relative à son cadre de validité : Deux remarques sur cet
obstacle « psychologique ».
La première tient à la peur
qu’éprouvent souvent les philosophes vis à vis des vérités
« partielles ». Le matérialisme dialectique est en effet le fruit
d’un travail collectif et historique, et non celui d’un seul génie surhumain
éclairant miraculeusement l’Humanité présente et à venir : Il est lui même
matière en développement au sein de la matière en développement. Le phantasme
intellectuel consistant à vouloir « tout réinventer tout seul »
suscite souvent bien des réticences face à ce constat, favorisant, expliquant
même les déviations considérées plus haut. C’est ainsi qu’on arrive
paradoxalement à devenir subjectiviste, voire sceptique, par déni du
relativisme objectif (contradiction dynamique relatif / absolu).
La seconde tient également chez ces
mêmes intellectuels, à un manque flagrant d’humilité, mais qui est souvent plus
implicite que le simple subjectivisme : Il s’agit de l’anti-monisme. Le
dualisme esprit / matière traduit en effet souvent chez l’intellectuel une
surévaluation péremptoire de la complexité de sa propre conscience, de sa
propre pensée, de son intelligence, que la complexité de la
« nature » environnante ne saurait égaler…
Manque d’humilité
disons-nous : Ajoutons pour terminer que c’est là la moindre des
conséquences du révisionnisme petit-bourgeois dans la jeune histoire du
matérialisme dialectique. Il n’échappe donc pas au diagnostic qu’Althusser
proposait au sujet de la philosophie ; cette « lutte des classes dans
la théorie »… avant de se retrouver lui même dans le camp adverse !
C.
Conclusion générale
Dépasser dialectiquement ce tabou
de l’intelligibilité moniste du monde est une tâche particulièrement
difficile : il s’agit d’admettre « humblement » que c’est
l’histoire de la pratique scientifique qui détermine celle des idées et non
l’inverse. Aussi riche soit-elle, toute la formation idéologique bourgeoise des
intellectuels, même matérialistes, s’oppose à cette prise de conscience[29]
et, quelle que soit sa forme dualiste, criticiste, nominaliste ou agnostique,
le dogme métaphysique est aujourd’hui toujours aussi coriace qu’hier.
Pourtant, force est de constater
que l’inexorable développement de la pratique scientifique ébranle
régulièrement ce dogme de la communauté scientifique pour en installer des
versions toujours plus raffinées, toujours plus implicitement
« compromises » avec le matérialisme dialectique. Nous avons insisté
sur l’extrême fragilité interne autant que sur la puissance anti-dialectique
des théories de l’évolution qui se répartissent pour mieux les opposer
métaphysiquement, les lois fondamentales de la dialectique. De cette
contradiction facilement démasquée peut surgir une dissidence marxiste
authentique dans la communauté scientifique. Cela ne veut pas dire qu’une telle
dissidence doive apparaître nécessairement dans le contexte actuel…
D’une part, le fait que toutes les
lois dialectiques soient pour ainsi dire réinventées (chacune à l’exclusion des
autres) précisément par ceux qui devraient s’efforcer de les nier avec horreur,
démasque aux yeux du marxiste honnête le caractère bourgeois de la science
moderne tout en favorisant son engagement matérialiste dialectique.
D’autre part, cette facilité à
démasquer les théories scientifiques actuelles n’est toutefois pas fortuite
dans l’état actuel de la « lutte des classes dans la théorie » :
elle montre à quel point sont faibles voire inexistantes les offensives
marxistes actuelles sur ce front. Elle est le signe concret du degré
d’impréparation des forces marxistes dans le milieu scientifique,
qualitativement comme quantitativement.
En biologie, des thèses qui il y a
dix ans suscitaient encore les foudres de l’orthodoxie sont aujourd’hui de plus
en plus médiatisées, débattues avec force « démocratie », enseignées
même, comme nous l’avons vu plus haut. La presse s’accorde à parler de plus en
plus explicitement de « changement de paradigme », annonçant le
triomphe d’une théorie improbable, baptisée dans la précipitation :
« liberté biologique », « biologie intégrative »,
« théorie de la complexité », « synthèse évo-dévo »,
…
Ces théories sont en réalité, nous
l’avons vu en détail, issues d’écoles bien différentes, plus opportunistes que
véritablement unifiées. Nous avons également précisé en quoi il nous semble que
la « liberté biologique » de Kupiec et Sonigo, la plus radicale,
quoique tout aussi métaphysique que le dogme néo-darwinien, soit celle qui
prévale dans le futur « paradigme » bourgeois.
C’est à travers cette crise de la
biologie, où la puissance encore maladroite du futur paradigme émerge en
s‘affranchissant chaque jour davantage du vieux dogme néodarwinien, que
l’analyse marxiste bénéficie d’une richesse argumentative inégalée. Nous avons
tenté une telle contribution, autant dans l’accusation du néo-darwinisme finissant,
une fois expurgé (sans nihilisme aucun !) son noyau sain, que dans la
critique du post-néodarwinisme naissant, théorie nouvelle, progressiste
aujourd’hui (autrement dit bien plus matérialiste que la précédente) et qu’il
faut soutenir, sans pour autant se faire d’illusions quant à son futur
caractère réactionnaire et idéaliste…
Notre contribution ne s’arrête pas
à cette analyse. Puisque c’est l’élargissement du cadre de validité du savoir
par les progrès (et les échecs) scientifiques qui détermine le développement
théorique au niveau supérieur, le matérialisme dialectique a aujourd’hui comme
hier son « mot à dire » sur les connaissances actuelles de la
biologie, élargies puis fortement relativisées depuis la révolution génétique
des années soixante : quel est le cadre de validité des concepts
fondateurs du néodarwinisme ?
La ré-appropriation de la théorie
darwinienne par le matérialisme dialectique consiste en premier lieu à établir
le nouveau cadre de validité du fameux couple hasard-sélection. Ce modèle qui
jusqu’ici ouvrait la voie à toutes les spéculations indéterministes peut être
en effet reconsidéré dans un cadre plus large, par une thèse déterministe qui
est son contraire même. En posant l’« auto-conservation impossible »
comme propriété fondamentale de la matière vivante, le hasard-sélection s’y
subordonne en effet en tant que stratégie « conservatrice » parmi
d’autres, aboutissant à son contraire, c’est à dire la création de nouvelles
espèces.
Que le hasard prévale sur la
micro-évolution reste tout à fait vrai, mais il faut ajouter qu’on ne saurait
en produire aucune caution indéterministe générale, au sens où ce hasard
devient une façon pour l’évolution de « détourner » ce qui détruit la
vie au profit de ce qui la fait durer ! Le développement du vivant vole au
mouvement destructeur qui l’anime ses propres « armes », la variation
aléatoire en premier chef.
Voilà en quoi ce qui est vrai, et
reste vrai, à l’échelle individuelle, devient en même temps la base d’une
vérité plus générale tout à fait contraire. Notre démonstration est passée
progressivement du niveau le plus simple de la matière vivante (cellule,
hérédité cellulaire) à son niveau le plus complexe (écosystèmes, hérédité
pluricellulaire), sachant qu’on ne saurait comprendre le développement du
vivant qu’en examinant les causes historiques de son apparition primitive
(auto-réplication moléculaire et contradiction de son extension spatiale –
temporelle).
Pour ce faire, une théorie de la
complexité a bien sa place dans ce modèle, non pas au titre d’explication
ultime à laquelle toutes les autres seraient subordonnées, mais à celui de
garantie scientifique de la direction historique et structurale de notre
développement théorique en biologie de l’évolution. En quoi l’organisme
pluricellulaire est-il en effet plus complexe ontologiquement que
l’unicellulaire ? En quoi peut-on affirmer que la difficulté d’approche de
l’un (chose pour nous) rend compte de sa complexité objective (chose en soi)
par rapport à l’autre ?
Nous avons posé qu’une représentation
donnée d’une chose est déterminée par une propriété que possède cette chose
objectivement. Ainsi la complexité de la représentation scientifique d’un objet
naît de la complexité des propriétés propres à cet objet. On dira qu’un objet
est plus complexe qu’un autre (qu’il englobe) par le nombre de propriétés
supplémentaires qu’il possède.
Mais la matière, qu’il s’agisse de
l’objet simple comme de l’objet complexe, est pourtant toujours
« inépuisable » (et non inconnaissable !), infiniment
connaissable, au sens où elle possède une infinité de propriétés. Ce paradoxe
n’est plus insurmontable, dans l’état actuel de la logique mathématique ;
il est en effet tout à fait acceptable d’affirmer qu’un infini est
quantitativement plus grand qu’un autre, même si cela heurte
l’entendement ! De sorte que l’objet complexe peut être doué d’une
infinité de propriétés plus grande que l’infinité des propriétés qui
caractérisent l’objet simple.
Voilà en quoi la base théorique que
nous proposons, axée sur la contradiction simple – complexe, n’est en rien
assimilable à cette « théorie de la complexité » que claironne
l’avant-garde scientifique dans tous les médias. Au lieu de spiritualiser
l’inaccessible et universelle Complexité qui dominerait la matière, nous ne pouvons
jamais parler du complexe sans parler du simple, ou du simple sans parler du
complexe.
Le néo-darwinisme comme le
post-néodarwinisme, sciences réductionniste/déterministe ou holiste/
indéterministe, sont contradictoires, opposées et qualitativement distinctes.
Le premier agonise pendant que le second tâtonne encore. Ils n’en sont pas
moins deux formes d’une même biologie bourgeoise, s’excluant mutuellement[30],
idéalisant nécessairement toute découverte nouvelle dans la matière pour
entretenir la domination idéologique bourgeoise avec et contre l’indispensable
développement de la science.
Si, pour affirmer la supériorité
théorique du matérialisme dialectique, nous distinguons science bourgeoise et
science prolétarienne, ce n’est absolument pas au sens où l’indiquait Bogdanov,
où dans une certaine mesure les lyssenkistes plus tard, c’est à dire comme une
séparation manichéenne entre science bourgeoise fausse et science prolétarienne
vraie, mais plutôt au sens où le passage historique de l’une à l’autre, en
théorie comme en pratique, doit consister en un saut qualitatif, un
« changement de paradigme » diront certains, au delà duquel la
science prolétarienne niera la science bourgeoise tout en se fondant sur elle.
L’histoire de cette science là, avec ses succès et ses erreurs, avec ses
connaissances et ses déviations, commença avec Mitchourine et Timiriazev et
s’interrompit en quelque sorte avec Lyssenko et Williams. Le présent essai est
une contribution idéologiquement utile aujourd’hui, pratiquement utile demain,
témoin de l’actuel temps mort de cette science « prolétarienne »[31].
Cette distinction choquait les
intellectuels occidentaux de droite comme de « gauche », comble du
« dogmatisme stalinien »… Grâce à Kuhn qui fait par ailleurs
l’unanimité, elle perd aujourd’hui toute connotation polémique, pour peu qu’on
se donne la peine d’étudier l’histoire des sciences, histoire aussi
discontinue, aussi révolutionnaire, aussi prolifique et prometteuse que
l’histoire des Hommes qui la détermine…
Août 2004.
[1] Althusser n’admet l’existence des crises
scientifiques qu’au niveau
« idéologique », c’est à dire au niveau de « ce qu’on affirme
dans la vulgarisation à partir des connaissances scientifiques », jamais
au niveau du développement des connaissances elles mêmes, c’est à dire de
« ce qu’on fait dire » à ces connaissances au moment de leur
conceptualisation. Rappelons que malgré un certain embarras, il ne va pas
jusque là pour ne pas « sombrer dans un dangereux discours
ontologique »…
[2] A l’évidence les choses ont bien changé depuis les
années soixante-dix. En biologie, cette perception est parfaitement réalisable
aujourd’hui, pour qui peut se défaire des idéologies bourgeoises à la mode.
Mais ce que nous découvrons s’avère embarrassant : Les théories
biologiques se prêtent volontiers à une exploitation idéologique bourgeoise
parce qu’elles ont été conçues et orientées dès l’origine en connexion
constante avec l’idéologie bourgeoise.
[3] Précisons donc, et c’est là tout le problème :
« les formes de la science elle-même ».
[4] Auteur de
« Lyssenko », préfacé par Althusser, ouvrage dont il a été question
dans le chapitre 4.
[5] C’est à ce
genre d’analyse qu’on reconnaît l’approche idéaliste, subjective d’une crise
par ailleurs tout à fait objective ; rien n’est dit sur les échecs, les
déboires techniques et théoriques de la pratique biologique récente.
[6] Rappelons
que déplacer la base du darwinisme du comportement moléculaire au comportement
cellulaire consiste à attaquer les réductionnistes mécanistes en réinstallant
un holisme vitaliste dans la théorie générale (la cellule est
« vivante », la molécule non).
[7] Dans la
mesure où ces deux sciences étaient elles mêmes inextricablement idéalistes à
cette époque, on comprendra une fois de plus : réconciliation du
matérialisme et de l’idéalisme.
[8] Qu’il ne
faut donc pas comprendre comme une forme d’impérialisme de la physique sur les
autres sciences de la nature, mais plutôt comme un tentative de rejet par la
science de la tutelle philosophique, dont Lecourt parlait plus haut.
[9] Rappelons
qu’Einstein, par ailleurs membre du Cercle, forgea une théorie de la relativité
qui dut attendre plus d’un demi siècle pour être étayée par des observations.
[10]
L’intersubjectivité étant le double honteux de l’objectivité moniste.
[11] Un théorie
dont aucune expérience réalisable ne pourrait remettre en cause la validité, ne
peut donc se prévaloir pour Popper, du titre de science.
[12] Ce retour est déjà lisible chez Popper ; Celui
ci affirme que « les vues métaphysiques sont consubstantielles à la
science »…
[13] Kuhn réhabilite Wittgenstein contre le
physicalisme !
[14] Si la
théorie des deux sciences, impardonnable péché des lyssenkistes, fait l’objet
d’un refus catégorique de la part des intellectuels marxistes occidentaux dans
les années soixante - soixante dix au nom d’un monisme inavoué, elle perdrait
sans doute ce caractère hautement scandaleux aux yeux des jeunes idolâtres du
« paradigme » !
[15] « La
généralisation par le non doit inclure ce qu’elle nie (…) en fait, tout l’essor
de la pensée scientifique depuis un siècle provient de telles généralisations
dialectiques avec enveloppement de ce qu’on nie » (La philosophie
du non, G.Bachelard, 1940).
[16] Et même
par Dominique Lecourt dans « Bachelard ou le jour et la nuit, un essai
du matérialisme dialectique ».
[17] Exemple
typique ; l’usage à contre sens du théorème d’incomplétude de Gödel comme
argument fondateur de l’hyper-relativisme moderne !
[18] C’est
oublier un peu vite que la pensée « totalitaire » du Cercle de Vienne
était jadis sujette aux foudres des nazis, que ces derniers transpiraient le
nietzschéisme et l’heideggerisme, aujourd’hui sublimés par le post-modernisme…
par le plus grand des hasards !
[19] Concepts abstraits comme objets concrets, tout est
« construit social » et n’a d’autre existence que ce qu’en accorde
modestement l’intersubjectivité.
[20] On manque de « finesse » intellectuelle
quand on affirme qu’Heidegger était nazi. Ce militant du parti hitlérien était
un philosophe si déroutant, si inclassable, qu’on aurait bien tort de lui
« coller une étiquette » !! On oubliera de même chez Nietzsche
son intarissable fiel antisémite et son culte du « surhomme »…
[21] Kurt Gödel démontre en 1931 qu’il existe des
propositions indécidables, c’est à dire dont on ne peut décider si elles sont
vraies ou fausses, dans toute théorie mathématique (le paradoxe du menteur qui
dit « je mens »). Il faut pour décider de certains énoncés
arithmétiques par exemple une « méta-arithmétique » qui transcende
l’arithmétique. Tout énoncé auto-référent comporte potentiellement des effets
paradoxaux dont on ne peut sortir qu’en élargissant (en relativisant) le champs
axiomatique.
Aubaine pour les relativistes, qui en sortent par
exemple ceci : « Il existe des assertions qui sont vraies et
cohérentes, mais qui ne peuvent être dérivées d’un ensemble fini d’axiomes »
(Briggs et Peat, L’univers miroir) –Gödel énonce l’inverse ; dans
un ensemble fini d’axiomes, certains énoncés sont indécidables- Un énoncé
« dont on ne peut dire s’il est vrai ou faux » qu’avec un
cadre axiomatique plus large devient pour le relativiste (subjectiviste) un
énoncé « qui n’est intrinsèquement ni vrai ni faux » !
Contresens évident de la dialectique relatif / absolu par confusion relatif /
subjectif. Gödel n’a jamais annoncé que l’arithmétique par exemple n’était ni
vraie ni fausse ; elle est vraie !
Notons que pour des philosophes plus sérieux, le
théorème de Gödel fonde légitimement le réalisme (la matière existe
objectivement) parce qu’il repose sur … le criticisme (on ne peut la
connaître) ! Ainsi, pour J.Petitot, « Je partage pour ma part la
thèse de Gödel selon laquelle de tels résultats d’incomplétude et de limitation
plaident en faveur d’une réalité des objets mathématiques, d’une manière certes
paradoxale en apparence, mais plus fine que la thèse platonicienne naïve. La réalité
dont il s’agit est très particulière. Elle est définie par son inaccessibilité
même et non par son existence substantielle. Il est essentiel de se convaincre
qu’il y a en effet deux manières de définir une réalité transcendante : ou
bien par son extériorité matérielle, ou bien par son inaccessibilité
informationnelle. Le platonisme en question ici est non naïf. C’est en quelque
sorte un platonisme négatif » (Science et Philosophie, pour quoi
faire ? Le Monde Edition) : Raffinement ultime de l’idéalisme
objectif de Kant…
[22] « Transgresser les frontières : Vers
une herméneutique transformative de la gravitation quantique », Social
Text printemps-été 1996 p 217-252.
[23] Debray était un « marxiste » célèbre dans
les années 70. Guevariste, il théorisait alors à l’extrême gauche sur la
guérilla révolutionnaire. Mitterrandiste actif dans les années 80, il fut
ensuite un collaborateur multicarte du gouvernement chiraquien.
[24] Bricmont a co-écrit le livre référence de
Sokal ; « Impostures intellectuelles ».
[25] Réponse au mécanisme, effectivement métaphysique, de
pseudo-marxistes tels que Bogdanov par un contre-argument diamétralement
opposé, mais posé comme un postulat, ou plutôt comme un contre-postulat donc
tout aussi métaphysique !
[26] En réalité, admettre que le caractère idéaliste ou
matérialiste d’un énoncé est identifiable par le philosophe, que cette
identification correspond même à sa « pratique philosophique », c’est
admettre que les positions matérialistes auxquelles on se réfère pour
tracer ces démarcations, aussi floues soient-elles, sont objectivement fondées
(théorie matérialiste dialectique avec des principes énonçables). Chez
Althusser, cette « Théorie », à laquelle il se référait d’ailleurs au
début, devient tellement implicite, anecdotique, inutile concrètement qu’elle
mute en un matérialisme « vide » de tout concept, à l’intérieur
duquel aucune pratique concrète n’est plus légitimement permise.
[27] Voir le livre collectif intitulé « Contre
Althusser », 1974, éditions 10/18, auquel Brohm a participé.
[28]
Témoin le présent essai, incrustation de la
biologie moderne dans la dialectique matérialiste par des découvertes que les
classiques n’auraient jamais soupçonné : Il montre secondairement la
prédictibilité (donc la scientificité) des lois de la dialectique.
[29] Un exemple parmi beaucoup d’autres, célèbre ;
celui d’Einstein. Choqué par l’impossibilité non seulement pratique mais aussi
théorique, d’une matière privée de mouvement dans l’univers, résultat pourtant
fondamental de sa théorie relativiste, Einstein inventa de toute pièce une
« constante cosmologique » rendant possible au moins théoriquement
l’immobilité de la matière, contournant ainsi l’inacceptable découverte !
Pendant qu’il se débattait avec les incohérences d’une telle correction, Hubble
observait quant à lui l’expansion de l’univers… C’est bien malgré lui
qu’Einstein se résigna à rejeter cet artifice de sa Relativité générale
quelques années plus tard…
[30]
C’est d’ailleurs cette exclusion mutuelle qui
rend le saut qualitatif hérédité cellulaire/hérédité pluricellulaire
incompréhensible par les uns et les autres…
[31] Il est évident que le qualificatif
« prolétarien » n’a de sens que face à la science bourgeoise. La
science promue par le socialisme accompagnera ensuite le développement d’une
société sans classe, donc sans prolétariat…