Chapitre 8 : L’idéalisme dans tous ses états

Pour une vraie théorie marxiste de la connaissance

 

 

 

« Le fidéisme contemporain ne répudie nullement la science ; il n’en répudie que les « prétentions excessives », à savoir la prétention de découvrir la vérité objective. S’il existe une vérité objective (comme le pensent les matérialistes), si les sciences de la nature, reflétant le monde extérieur dans « l’expérience » humaine, sont les seules capables de nous donner la vérité objective, tout fidéisme doit être absolument rejeté. »

                                     Lénine (œuvres complètes, tome XIII)

 

 

 

La notion léniniste de « philosophie spontanée des savants » (PSS) que reprend Althusser dans un essai dont il a déjà été question, reste pertinente dans l’analyse concrète de la crise. La PSS est composée de deux éléments indissociables ; l’élément inférieur implicite, matérialiste, postule l’existence objective de la matière et la possibilité d’une appropriation absolue de celle ci par la pensée ; il légitime la pratique scientifique. L’élément supérieur, idéaliste, « vision du monde » qu’on dirait aujourd’hui paradigmatique, domine l’élément inférieur. Althusser dénonçait la nécessaire exploitation de cette contradiction interne à la PSS par les philosophes, allant jusqu’à définir la philosophie toute entière comme « lutte des classes dans la théorie ».

Ainsi, le blocage conceptuel des pratiques biologiques que nous venons de mettre en évidence se double d’un blocage idéologique de la philosophie des sciences à un niveau supérieur. Dans les périodes de crise (crise des irrationnelles dans les mathématiques grecques, crise de la physique moderne à la fin du XIXe siècle, crise des mathématiques modernes et de la logique du début du XXe siècle, crise de la biologie aujourd’hui) un double mouvement se fait jour : les philosophes idéalistes lancent leurs offensives opportunistes contre la PSS matérialiste –mais non dialectique- désormais inopérante, tandis que les scientifiques et philosophes matérialistes tentent un renversement progressiste de l’idéologie dominante ossifiée.

Nous expliquerons dans ce chapitre à la lumière de l’histoire des philosophies des sciences, le processus suivant : Une fois le nouveau paradigme matérialiste installé au niveau supérieur de la PSS, celui ci prend en se développant une forme idéaliste de plus en plus déclarée… forme qu’il contenait déjà en germe dès son apparition. Ainsi les philosophies empiriste, positiviste, criticiste, néopositiviste, structuraliste furent successivement « exploitées » en retour par les scientifiques comme « substitut idéologique d’une base théorique qui leur manque » (Althusser). Le matérialisme dialectique quant à lui ne peut qu’être repoussé, antidote de toute crise scientifique mais aussi poison pour la classe dominante assumant depuis longtemps déjà la direction de la recherche.

Profondément marqué par cette contradiction typique, l’enseignement des sciences dans ses développement récents est un symptôme évident de la crise scientifique ; nous l’avons examiné à ce titre au cours du chapitre précédent. Voici ce qu’en dit d’une façon plus générale l’Althusser de « Philosophie et philosophie spontanée des savants » :

« La connexion entre la culture littéraire (…) et l’action idéologique de masse exercée par l’église, par l’Etat, par le droit, par les formes du régime politique, etc. sont la plupart du temps masquées. Mais elles apparaissent au jour dans les crises politiques et idéologiques, où par exemple les réformes de l’enseignement sont ouvertement reconnues comme des révolutions dans les méthodes d’action sur les masses. On voit alors très clairement que l’enseignement est directement en rapport avec l’idéologie dominante, et que sa conception, son orientation et son contrôle sont un enjeu important de la lutte des classes. (…)

Mais les sciences, elles aussi, font l’objet d’un enseignement. Les lettres (…) ne sont donc pas l’unique « matière » de formation « culturelle » c’est à dire idéologique. L’enseignement des sciences est aussi le lieu d’une semblable formation « culturelle », quoique sous une forme infiniment moins visible, et beaucoup plus subtile. Mais la façon dont on enseigne les sciences exactes elles mêmes implique un certain rapport idéologique avec leur existence, et leur contenu[1]. Il n’y a pas d’enseignement de savoir pur qui ne soit en même temps un savoir-faire, c’est à dire en définitive un savoir-comment-se-comporter-vis-à-vis-de-ce-savoir : de sa fonction théorique et sociale. Ce savoir-comment-… induit une attitude politique vis-à-vis de l’objet du savoir, du savoir comme objet, et de sa place dans la société. Tout enseignement scientifique véhicule, qu’il le veuille ou non, une idéologie de la science et de ses résultats, c’est à dire un certain savoir-se-comporter vis à vis de la science, de ses résultats, reposant sur une certaine idée de la place de la science dans la société existante, et sur une certaine idée du rôle des intellectuels spécialisés dans la connaissance scientifique, donc de la division du travail manuel et intellectuel.

Percevoir l’idéologie véhiculée par l’enseignement, ses programmes, ses formes, ses pratiques, etc. non seulement en lettres mais en sciences, rien n’est plus difficile pour des intellectuels[2]. (…) Leur pratique, qu’ils exercent dans un cadre défini par des lois qu’ils ne dominent pas, produit ainsi spontanément une idéologie dans laquelle ils vivent sans avoir de raisons de la percer. Mais il y a plus encore. Leur idéologie propre, l’idéologie de leur pratique, ne dépend pas seulement de leur pratique propre : elle dépend de surcroît et en dernier ressort du système idéologique dominant de la société dans laquelle ils vivent. C’est en définitive ce système idéologique qui gouverne les formes mêmes de leur idéologie de la science[3] et des lettres. Ce qui semble se passer devant eux se passe en réalité, pour l’essentiel, derrière leur dos. »

Nous verrons qu’Althusser ignore délibérément en quoi consiste la contribution d’une philosophie matérialiste dans la production des connaissances scientifiques elles mêmes.

Lorsqu’il écrit  ces lignes, la biologie moléculaire est en pleine révolution. Nous sommes alors bien loin de la crise néo-darwinienne. La relative timidité d’Althusser vis à vis de l’idéologie scientifique et de son enseignement, jugés plus impalpables que ceux des Lettres par exemple, n’étonnera donc personne. Elle n’a plus lieu d’être aujourd’hui.

 

A.   Méandres et impasses de l’épistémologie moderne

 

Dominique Lecourt, philosophe des sciences ex-althusserien[4], nous livre un document particulièrement opportun, pièce  à  conviction  de  cette « lutte  des  classes  dans  la  théorie ».   Il  s’agit  d’un rapport commandé en 1999 par Claude Allègre, ministre de l’Education Nationale de l’époque. Avec les craintes légitimes d’un philosophe « matérialiste » emporté dans la tourmente d’une crise des sciences de la nature sans précédent, ce texte de quatre vingt pages fait état 1) d’un manque grandissant d’épistémologie dans les programmes d’enseignement scientifique supérieur, 2) des stratégies susceptibles de combler cette lacune dans un avenir proche… On gardera donc à l’esprit les « innovations » des nouveaux programmes de SVT.

La valeur « progressiste » de la science qui a largement prévalu aux XIXe et XXe siècles s’efface aujourd’hui alors qu’un dénigrement général et grandissant des sciences s’installe avec la menace nucléaire, les OGM, le clonage humain, l’effet de serre, dans l’opinion publique. Enregistrant la baisse du nombre des inscriptions dans les filières scientifiques, Lecourt fait le constat suivant : « Ce vaste débat social autour de la science ne trouve guère d’écho dans l’enseignement scientifique. Les étudiants peuvent ainsi avoir le sentiment d’un profond hiatus entre la science qu’ils apprennent et la société où ils seront appelés à mettre en œuvre les compétences qu’ils auront acquises au terme d’études extrêmement lourdes.

En tous cas l’enseignement des sciences tel qu’il est aujourd’hui conçu ne leur apporte pas les instruments intellectuels nécessaires à faire face aux questions qui ne manqueront pas de leur être posées. Tout se passe comme si par réaction, la pédagogie des sciences dans l’enseignement supérieur s’était raidie. Une image purement calculatoire et opérative de l’activité scientifique tend à s’imposer aux chercheurs eux-mêmes. Ses finalités s’affichent simplement utilitaires. Parce que la science est conçue comme un instrument de puissance et une réserve de certitudes, son enseignement vise essentiellement à la maîtrise technique et récompense souvent non les esprits les plus inventifs mais les plus dociles. »

A travers les conclusions qu’il tire, on pressent les motivations implicites et embarrassées du nouveau programme de terminales S en SVT : « C’est bien le contenu et les modalités de l’enseignement scientifique qu’ils mettent en cause [les enseignants-chercheurs interrogés], bien en amont de l’enseignement supérieur. (…) Le projet d’implanter ou de développer un enseignement de philosophie des sciences dans les cursus scientifiques répond ainsi à une véritable urgence. S’il y est intégré à part entière et, si l’on veille à ce que son contenu soit en prise directe sur les matières scientifiques enseignées, il permettra de remettre en pleine lumière la grande oubliée du scientisme comme de l’anti-science : la pensée scientifique. Si un véritable travail commun s’institue à cette fin entre philosophes et scientifiques, on peut s’attendre à ce que se produise une profonde rénovation de l’enseignement supérieur. Et l’on redécouvrira que cette forme de la pensée communique avec toutes les autres (technique, artistique, politique, éthique …). »

Lecourt voit enfin dans la spécificité française l’occasion d’intégrer un tel projet : « Peut être la France se trouve t-elle en définitive paradoxalement bien placée du fait de l’histoire propre de son enseignement philosophique pour prendre la tête d’un mouvement de grande portée institutionnelle autant qu’intellectuelle. Le premier effet d’un tel mouvement serait de restaurer l’idée même d’Université moderne qui n’a jamais pu s’implanter dans notre pays et qui subit une crise profonde depuis plus de trente ans à l’échelle internationale ». C’est en effet  en France que l’épistémologie, pour des raisons que nous rappellerons, s’est préservée de l’influence néo-positiviste anglo-saxonne pour ouvrir avec Bachelard la voie d’un rationalisme auquel Althusser et ses disciples (dont Lecourt) ne furent pas étrangers.

Voyons donc comment notre épistémologue parvient à pointer les symptômes actuels de la crise des sciences de la nature, et de la biologie en particulier, en attribuant à l’histoire des idées plutôt qu’à celle de la pratique scientifique elle même, toute la responsabilité[5] : « Nos collègues sont victimes d’une « conception cumulative » de l’enseignement qui est un véritable leurre. Un leurre d’autant plus dangereux qu’il règne déjà en maître dans les classes terminales et, plus encore, dans les classes préparatoires aux grandes écoles. Mais enseigner les sciences, cela se résume t-il à transmettre la plus grande quantité de connaissances établies, au risque de figer théories et concepts ? N’est ce pas plutôt à l’esprit de la recherche qu’il convient de faire accéder le plus grand nombre d’élèves ? Et l’essentiel n’est-il pas de faire ensuite saisir aux étudiants ce que sont les démarches intellectuelles qui permettent d’acquérir toujours de nouvelles connaissances ? Ne doit-on pas, au premier chef, initier les jeunes esprits à une certaine manière de s’y prendre avec l’inconnu, de s’ouvrir à l’imprévu, laquelle distingue la pensée scientifique des autres formes de pensée ? » Lecourt se souvient un instant de sa formation marxiste : « Cette pratique de l’enseignement renvoie à une idée de la science dont les présupposés philosophiques se révèlent erronés : le progrès d’une science ne se fait jamais par simple accumulation, il procède par rectifications et coordinations successives qui permettent de rattacher un nombre toujours plus restreint de principes. Ne doit-on pas s’attacher à montrer aux étudiants ce mouvement de la connaissance ? Et s’il s’accélère, comme on se plait souvent à le souligner, c’est parce que l’esprit scientifique sait, selon des procédures bien réglées, se délester de la charge de ses raisonnements périmés. »

Le diagnostic est particulièrement juste : « Ce que Jean-Marc Levy-Leblond faisait observer à propos de la physique, Pierre-Henri Gouyon, professeur de génétique à l’université de Paris-sud-Orsay, le souligne à propos de l’enseignement de la biologie. Le leurre cumulatif y a pris un tour particulier du fait de l’histoire récente des sciences du vivant. On sait que ces disciplines ont connu au milieu du XXe siècle une révolution qui leur a permis d’acquérir soudain des capacités explicatives et prédictives ; elles sont alors définitivement sorties de leur préhistoire empirique. Mais il semble que les vieux démons de la description qui y régnaient aient trouvé à survivre, par simple transposition, au niveau moléculaire. Ainsi s’expliqueraient les emplois du temps monstrueux qui accablent les étudiants contraints à apprendre par cœur une masse de formules et de connaissances qui ne leur seront d’aucune utilité. Et cela, alors même que la théorie de l’évolution qui occupe une place centrale dans la pensée biologique et qui devrait, selon François Jacob, y être présentée avant tout autre concept, n’est guère enseigné. » L’idéalisme revenant au galop, la cause identifiée est étonnement simple : « Elle met en cause la conception de l’enseignement scientifique qui a prévalu depuis plusieurs décennies. »

On se souvient qu’Althusser définissait la philosophie toute entière par son rapport d’exploitation vis à vis de la science, l’encourageant ou lui faisant obstacle selon les pays et les époques. En se penchant sur la science « malade », Lecourt ne tarde pas à illustrer cette « fonction » primordiale du philosophe : « L’objection la plus forte dont nombre de nos collègues se sont fait l’écho (pour la déplorer) consiste maintenant à dire qu’un tel enseignement serait inutile. A quoi servirait donc la philosophie des sciences ? Cette nouvelle objection porte, elle aussi, l’écho d’une conception philosophique de la science : celle qui a le plus lourdement pesé sur l’idéologie des scientifiques à la fin du XIXe siècle et pendant la première moitié du XXe siècle. Selon cette conception, la science « positive » n’aurait plus rien à voir avec la philosophie dont elle aurait aujourd’hui heureusement achevé de récuser la tutelle.  Le  seul  intérêt  de  la  philosophie  des sciences consisterait à tirer les leçons épistémologiques de cette émancipation au bénéfice des disciplines qui n’auraient pas encore réussi à s’affranchir complètement des chimères de la métaphysique. »

Mais il s’agit d’aider les scientifiques à être plus matérialistes, à se dégager plus facilement de cette très idéaliste PSS. Bien entendu, l’inspiration althussérienne s’arrête ici. Le remède que préconise Lecourt est beaucoup plus en vogue que le matérialisme dialectique… l’« ouverture d’esprit » ! Il fallait y penser…

Les scientifiques « éprouvent, souvent non sans raison, le sentiment que d’autres se parent de leurs titres pour soutenir des positions idéologiques qui relèvent d’un ordre de rationalité qui n’est pas le leur. Gilles Châtelet en a fait la démonstration brillante et exaspérée à propos de quelques exploitations récentes de la théorie du chaos par les économistes et les politologues. (…) une philosophie des sciences attentive à l’histoire de la pensée scientifique apparaît ainsi toujours susceptible d’ouvrir l’esprit des chercheurs à l’éventualité d’autres voies de recherche que celles qui, à un moment donné, mobilisent leur communauté. Elle constitue le meilleur garde-fou contre les effets négatifs des phénomènes de mode propres au monde de la recherche. Elle les invite à exercer leur esprit critique contre les vérités qui tendent à se transformer en dogmes parce que la communauté scientifique, comme toute communauté humaine, réclame pour fonctionner des valeurs d’adhésion. »

Eternel débat… Qu’est ce que la vraie science ? Comment affirme t-on la légitimité théorique des sciences face aux spéculations idéologiques, aux déviations dogmatiques de tout ordre ? Pour le savant moderne qui se veut d’abord et avant tout subjectiviste et relativiste, on sent que la réponse ne sera pas simple.

Exemple-type ; la scientificité de la théorie darwinienne de l’évolution : « La théorie de l’évolution n’est pas seulement une théorie, c’est un fait. Mais qu’est-ce qu’un fait, sinon ce qui a été –ou est- observé ? Et qui a pu constater l’origine de la vie ? (…) débat irritant et sans issue dans lequel les biologistes se laissent prendre à un véritable piège philosophique. » Réponse de notre philosophe : « Il suffit de déplacer la question pour y voir clair : la théorie de l’évolution est certes une théorie, mais une théorie scientifique qui coordonne un grand nombre de faits et qui ouvre à la recherche des pistes toujours fécondes. La Genèse est sans doute une « théorie », mais en un sens très différent puisqu’elle ne vise pas à guider la production de connaissances nouvelles (…) ». Ainsi ce qui distingue la science des pseudo-sciences, ce n’est pas son objectivité mais son caractère non-idéologique ! On voudrait donc nous faire croire qu’une théorie n’est pas idéologique parce qu’elle est agnostique et opposée à toute synthèse « totalisante » (ce sont précisément les « qualités » que se prête la science officielle, c’est à dire idéologiquement dominante) !

Situation comique ; Lecourt poursuit son analyse en mettant les scientifiques en garde contre l’indéterminisme, cette idéologie idéaliste qui a maintes fois montré son influence délétère sur le progrès scientifique : « Il en va de même des interprétations « indéterministes » du dit principe d’incertitude. Si la physique n’a jamais affaire, en scrutant les structures intimes de la matière, qu’au « pouvoir de l’esprit » lui même, on trouvera dans la physique dite la plus dure des arguments en faveur de la télépathie, de la psychokinèse ou de la cristallo-thérapie… On a vu ainsi ressurgir une nouvelle version des spéculations immatérialistes qui s’étaient emparées de quelques uns des meilleurs physiciens au XIXe siècle au cours de la crise de la physique moderne consécutive à la formulation du second principe de la thermodynamique et de ses interprétations énergétistes ». L’avenir proche de la recherche en biologie est précisément marqué par cet indéterminisme : En ce qui concerne Kupiec et Sonigo, « matérialistes » résolus tout autant qu’indéterministes, Monsieur Lecourt protégera t-il la science du danger subversif de leurs thèses, ou au contraire nous en chantera t-il ses louanges ?

Nous n’approuverons pas les philosophes donnant, comme Lecourt, des leçons de matérialisme aux savants en les mettant en garde contre leurs dangereuses « spéculations ». Pas plus que les savants, tels que Kupiec et Sonigo, dont la lutte contre les philosophies métaphysiques consiste à élaborer de nouvelles théories aussi matérialistes en apparence que spiritualistes[6] en profondeur.

Car telle est l’impasse de l’épistémologie officielle : Cette « lutte des classes dans la théorie » ressemble aujourd’hui à un cercle vicieux idéalisme / empirisme, insurmontable sans matérialisme dialectique.

Constat de départ : Tout au long du XXe siècle, la stérilité de la contribution –pourtant indispensable- des philosophes au processus d’objectivation des sciences de la nature, résulte manifestement de leur allergie unanime au monisme et à l’ontologie matérialiste…

 

Les précurseurs

 

Tirant les leçons du « scandale » des oppositions systématiques de la Raison pure avec elle même, Emmanuel Kant annonçait, après Hume, une renonciation définitive aux « choses en soi », comme préalable nécessaire à l’étude scientifique des « phénomènes », c’est à dire des « choses pour nous », des choses telles qu’elles nous apparaissent subjectivement.

Ce criticisme fruit d’un idéalisme raffiné par l’empirisme vulgaire, que récuseront en rationalistes Hegel puis Marx et Engels, animera néanmoins toute l’histoire de l’épistémologie occidentale au XXe siècle.

Deux questions majeures : La matière existe t-elle objectivement? Si oui, peut-on la connaître absolument? A la première, Kant répond par l’affirmative, contre la plupart des philosophes idéalistes de son temps. En revanche, le problème de la connaissance objective, autrement dit le problème de la vérité, du rationalisme scientifique (« les choses sont intelligibles ») sera partant de Kant, l’objet d’un rejet quasi-unanime.

C’est à travers cette double question que se développera au cours du XXe siècle plusieurs courants philosophiquement distincts, s’opposant ou s’interpénétrant, se desséchant plus ou moins vite dans des impasses qu’en dernière instance la pratique scientifique quant à elle ignorera.

On ne s’étonnera pas des censures tacites ou explicites dont les œuvres d’Hegel puis de Marx et Engels seront victimes dans l’occident capitaliste moderne : Marx nous enseigne en effet que « sous son aspect rationnel, la dialectique est un scandale et une abomination pour les classes dirigeantes et leurs idéologues parce que dans la conception positive des choses existantes, elle inclut du même coup l’intelligence de leur négation fatale, de leur destruction nécessaire » ! Voici donc l’histoire d’une lutte implicite mais résolue contre une pensée dialectique toujours latente…

L’œuvre de Kant inaugure l’histoire de cette longue et interminable agonie de l’épistémologie contemporaine… marquée tout de même par quelques rebondissement que nous résumerons.

Les  philosophes  les  plus  idéalistes  auront  tôt  fait  de  quitter  la  scène  de  l’épistémologie, à  la suite d’Heidegger par exemple qui accusa la science post-kantienne d’« oublier l’être » des choses. Comme « la science ne pense pas », ils penseront donc sans la science…

Postulant un entendement fondamentalement limité, les autres s’évertueront à ranimer le discours scientifique par divers expériences de constructivisme… Pas d’être : « Tout est construit », et bientôt ; Tout n’est que paradigme et langage. Ce relativisme métaphysique jadis pourfendu par les néopositivistes du début du siècle, finira –on pourrait dire grâce à eux- par définir la scientificité elle même !

Au départ, Kant apparaît donc comme un philosophe matérialiste qui, constatant l’historicité des sciences, de la raison elle même, sort de son relativisme l’objectif de « délimiter » la science, toute science « spéculative » étant par nature vouée à l’échec. C’est à ce titre, nous aurons l’occasion d’y revenir, que l’empirisme est une forme raffinée de l’idéalisme, une théorie de l’absence de théorie.

Kant était l’égérie de l’empirisme scientifique, Mach fut ensuite celui du néopositivisme. L’offensive de Lénine contre l’« empiriocriticiste » n’empêchera pas le triomphe de ce dernier auprès des philosophes et des savants tout au long du XXe siècle. Mach tente de résoudre le dilemme de l’inconnaissable kantien par un monisme assez improbable : Choses et sensations seraient identiquement « neutres », autrement dit « idéalement » équivalents. Déproblématisant ainsi la question dualiste, il rend sa légitimité à la logique scientifique « contre » la métaphysique, et invite la science à étudier non des « causes », comme le préconisait Kant, mais des « lois » à établir (Comte). Nous sommes ici au seuil du constructivisme moderne.

Cette recherche des lois plutôt que des causes naturelles ne fait de Mach qu’un disciple-dissident d’Auguste Comte ; sa critique du mécanisme positiviste l’amène à rejeter le caractère supposément inductif de la science. Il retourne le problème de la construction du savoir 1) en plaçant l’imagination au devant du processus, abolissant dialectiquement les frontières entre instinct et intelligence, 2) en affublant l’histoire des sciences d’un évolutionnisme « darwinien » : une « complexification graduelle » du savoir se fonde sur l’« adaptation de la pensée aux faits et des pensées entre elles » par un principe d’« économie de pensée ». Nous avons là un programme continuiste, gradualiste, positiviste autant que déductif : « Rassembler un maximum de faits sous un minimum de lois ». Mach jette ainsi les bases d’un « positivisme logique » mieux connu sous l’appellation néopositivisme, que le célèbre Cercle de Vienne formalisera à l’extrême au début du siècle.

 

Du positivisme logique au néo-pragmatisme

 

Si de prime abord, le monisme de Mach peut séduire le marxiste, n’oublions pas qu’il se fonde sur une « psycho-physiologie » abandonnant le relativisme (dialectique) avec le subjectivisme (kantien), fortement inspiré par le monisme immatérialiste de Berkeley (Rien n’existe que la pensée !). Si Lénine décria l’influence de Mach sur la philosophie russe, sur Bogdanov et son empiriomonisme en particulier, les épistémologues actuels continuent à louer son héritage en niant d’ailleurs son influence déterminante et historique sur le néopositivisme du Cercle de Vienne, dont l’échec retentissant est aujourd’hui attesté par tous.

Ce courant radical apparut dans les années trente comme une révolution philosophique sans précédent. Avec une certaine virulence anti-métaphysique, des philosophes tels que Wittgenstein, Carnap et Neurath annoncent la fin du néo-kantisme et la réconciliation tant attendue des « sciences de l’esprit » et des « sciences de la matière »[7].

L’émergence de la nouvelle logique mathématique à cette époque radicalisera l’entreprise du Cercle : formaliser une « langue » universelle capable d’énoncer la vérité rationnellement, appelant l’unification de toutes les sciences contre la métaphysique, sous la bannière de ce nouveau langage apte à distinguer la vérité de l’erreur par sa seule logique interne. Wittgenstein appelle une « conception scientifique du monde », dénonçant la métaphysique des oppositions esprit / matière, choses en soi / choses pour nous, affirmant enfin le crépuscule de la philosophie, l’aube de la vraie science. C’est le début du fameux projet « physicaliste »[8].

Si Mach apparaît comme le précurseur de ce monisme formalisateur, les adeptes du Cercle de Vienne s’en démarquent au sujet du statut inductif de la science. Rompant également avec Kant, c’est un « sensualisme » constructiviste qu’impose Carnap au courant, désormais qualifié d’« Empirisme logique » (autre synonyme du néopositivisme), empirisme « armé » par la logique.

A la base de la doctrine : « Le sens d’une proposition, c’est sa méthode de vérification » (Wittgenstein). Ainsi un énoncé « doué de sens » donne une connaissance du réel s’il est mis en correspondance avec un donné empirique immédiat. Point de dialectique ici ; les contradictions ne nous apprendrons rien du réel. Tel est le physicalisme de Wittgenstein et Carnap : La logique formelle, que nous intégrons comme territoire local et relatif dans la logique dialectique, est étendue et substituée à cette dernière.

Jugée trop radicale, cette méthode qui invitait l’homme de la rue à bannir de son vocabulaire tout ce qui put ressembler de prés ou de loin à une métaphore, sera assoupli par Neurath, ce dernier préférant une « vérité-cohérence interne »[9] à la « vérité-correspondance au réel » des énoncés scientifiques.

En cherchant à unifier en ce sens les sciences par le langage, le physicalisme de Neurath sera également le point de départ des conceptions « inter-subjectivistes »[10]… L’essor de la logique mathématique met bien vite en péril ce projet du Cercle qu’il avait pourtant suscité. Le logicien Gödel, qui en était d’ailleurs l’un des membres, établit l’impossibilité d’une axiomatique finie unifiant toutes les mathématiques : le néopositivisme radical ne survivra pas longtemps à son célèbre théorème.

C’est aux Etats Unis que Carnap et Neurath poursuivirent leur projet sous un angle plus modéré. Quine en sera le continuateur critique. Conservant du projet initial l’aspect empiriste, il en développe un « relativisme ontologique » assez séduisant : inspiré de Duhem qui dénonçait à la fois les aspects inductif (nécessité d’une théorie préalable) et déductif (existence de vérités contradictoires objectives) de la théorie ondulatoire / corpusculaire de la lumière, Quine élargit cette thèse à toute la connaissance (thèse de Duhem / Quine) : une « expérience cruciale » ne teste jamais une théorie entière. Contre le double dogme inductiviste / déductiviste de l’empirisme, son relativisme consiste à définir la science comme une « expérience sensible collective », autrement dit une théorie de l’intersubjectivité digne de Neurath : Point de vérité absolue, mais un accord de principe sur ce qui est perçu de la même façon par tout le monde. Quine croit ainsi sortir d’un dangereux solipsisme par une pirouette…

Première impasse du néopositivisme… L’intersubjectivité de Quine est en fait plus qu’une simple pirouette ; elle ouvre la voie au concert des critiques maladroites à l’encontre du Cercle de Vienne dans la deuxième moitié du XXe siècle. Rorty préfère à la vérité objective la notion d’« acceptabilité garantie ». Putnam tente de  réhabiliter l’objectivisme par un « réalisme interne » où la vérité devient modestement « l’acceptation rationnelle à la limite de l’enquête scientifique ». Davidson sombre dans les méandres de l’« interprétation radicale » du langage et de la « théorie psychologiste de la croyance ».

L’empirisme est définitivement mort… rien ne vient le remplacer ! Une fois de plus la matière disparaît, seule subsiste cette « croyance » en l’intersubjectivité désormais inapte à distinguer une science de la plus fantaisiste des sectes. Pire : rien ne distingue cette intersubjectivité du plus vulgaire solipsisme (rien n’existe que moi-même), si ce n’est l’inavouable postulat ontologique que la subjectivité d’autrui existe objectivement indépendamment de moi et m’est absolument connaissable (pour que je puisse m’y conformer) !

Suite logique : Le tristement célèbre courant « post-moderniste » des philosophes actuels, manipulant et détournant le savoir scientifique sans le comprendre pour sombrer dans un scepticisme absolu. On comprend les philosophes matérialistes d’aujourd’hui (Lecourt, Debray, Dagognet, Tort, …) qui, pour ranimer les dernières braises de l’épistémologie, tentent de réhabiliter Mach (qui n’aurait rien à voir avec les néopositivistes !) ou Wittgenstein (qui aurait pris conscience très tôt de l’impasse dans laquelle le Cercle de Vienne allait se fourvoyer, Carnap ayant « mal compris » son œuvre !) faute de pouvoir réhabiliter, bien sûr, directement Hegel, Marx et Engels !

Ce dernier nous fournira justement un lumineux résumé par anticipation de cette histoire de l’empirisme, dans sa Dialectique de la nature : « Le plus sûr chemin de la science de la nature au mysticisme n’est pas l’impétueux foisonnement théorique de la philosophie de la nature mais l’empirisme le plus plat, dédaignant toute théorie, se méfiant de toute pensée (…). En fait, on ne méprise pas impunément la dialectique. Quel que soit le dédain que l’on nourrisse pour toute pensée théorique, on ne peut tout de même pas mettre en liaison deux faits de la nature ou comprendre le rapport existant entre eux sans pensée théorique. Mais alors la question est seulement de savoir si, dans ce cas, on pense juste ou non, et le mépris de la théorie est évidemment le plus sûr moyen de penser de façon naturaliste, c’est à dire de penser faux. Or selon une vieille loi bien connue de la dialectique, la pensée fausse, poussée jusqu’à sa conclusion logique, aboutit régulièrement au contraire de son point de départ. Et voilà comment se paie le mépris empirique de la dialectique : il conduit quelques uns des empiristes les plus terre à terre à la plus saugrenue de toutes les superstitions, au spiritisme moderne ».

 

Du post-positivisme à l’hyper-relativisme

 

Parallèlement à Quine, un jeune membre quelque peu dissident du Cercle sera l’initiateur d’une refondation plus « faible » du néopositivisme ; Karl Popper. Rompant avec l’inductionnisme persistant des Viennois les plus radicaux, celui ci renoue avec la spéculation scientifique, son aspect déductiviste, et inscrit le droit de la science non plus dans son caractère logique, inductif et construit, mais au contraire dans son caractère « falsifiable »[11].

Sous ce dernier aspect, Popper est donc une sorte de « néopositiviste négativiste » ! Ce qui distingue un énoncé scientifique des élucubrations sectaires, c’est sa réfutabilité par l’expérience. Dans cette ultime tentative empiriste, darwinisme ou marxisme se trouvent désavoués en tant que science, puisque l’histoire –leur objet- n’est pas expérimentable ! Seules les sciences expérimentales restent donc légitimes !

La fameuse thèse de Duhem-Quine discréditera Popper aux yeux de la plupart des épistémologues matérialistes d’aujourd’hui… C’est pourtant à partir de  lui, ou  plutôt « contre »  lui, que  s’organise  une  fronde « post-positiviste » résolument anti-réductionniste et remettant en selle la spéculation scientifique, cette fois contre l’empirisme même. « Tout fait est imprégné de théorie » : Même le faillibilisme de Popper est donc récusé au profit d’un relativisme de plus en plus assumé et arrogant. Si, pour Popper, la réfutabilité remplaçait la certitude dans le discours scientifique, le holisme anarchisant de Lakatos, Feyerabend et Kuhn renvoie désormais les deux positions dos à dos, annonçant le grand retour de la métaphysique[12] : si tout discourt scientifique s’articule sur des théories spéculatives, le projet d’une unification de toutes les sciences devient le plus grand mythe à combattre.

Articulant la thèse de Duhem-Quine et l’anti-inductivisme de Popper, on résumera la science à un « programme de recherche » (Lakatos), une « théorie globale » (Feyerabend), un « paradigme » inévitablement voué à des échecs successifs (Kuhn). Désormais coupée de la pratique en quelque sorte, seule subsiste en science la « compétition » darwinienne entre théories scientifiques, sans perspectives de « progrès » ! Nouveau scepticisme donc…

Si le rationalisme anti-métaphysique des premières heures du néopositivisme[13] disparaît ici, le projet de Kuhn désormais plus sociologique que philosophique, tient en une réinterprétation originale de l’histoire des sciences : la science n’est « popperienne » que pendant les crises, elle est en revanche conservatrice et idéologiquement dominée entre les crises[14] (paradigme). Si tout paradigme est voué à sa prochaine négation révolutionnaire, la science n’est qu’une succession contradictoire de théories profondément incommensurables et relatives. Cette séduisante « dialectique » ne doit pas effacer le caractère profondément dualiste et anti-progressiste de l’œuvre de Kuhn ; sans « négation de la négation », c’est une impasse épistémologique qu’il finira lui même par concéder…

 

De l’école française au structuralisme

 

Le réalisme inconséquent des Putnam et Rorty, comme l’anti-réalisme des Lakatos, Feyerabend, Kuhn semblaient pouvoir être dépassés par un troisième courant positiviste, le plus prometteur sans doute aux yeux des marxistes : celui de l’« épistémologie française »… Mais une fois encore ce courant génèrera un rejet « post-moderne » radical de l’empirisme puis logiquement un nouveau scepticisme antiscientifique, philosophiquement aussi ridicule que dangereux, autrement dit son contraire même…

L’épistémologie française présente dès le XIXe siècle des spécificités historiques qui expliqueront la relative imperméabilité du courant bachelardien vis à vis du néopositivisme contemporain, très bien accueilli par ailleurs dans le monde anglo-saxon traditionnellement empiriste : Au XIXe siècle le pays d’Auguste Comte développa des thèses positivistes non assimilables par nature à l’empirisme. Pour connaître il faut observer, mais pour observer il faut activer une théorie quelconque…

Le degré de mépris qu’affiche la philosophie bourgeoise vis à vis d’une théorie est souvent l’indicateur de sa valeur réelle pour un marxiste conséquent. Bachelard est considéré en général comme le philosophe des sciences le plus naïf, voire le plus simpliste. Un philosophe pour bacheliers en quelque sorte… Il est vrai que son rationalisme radical peut apparaître d’abord assez désarmant. Son œuvre incarne néanmoins l’une des  formes les plus abouties de la dialectique en philosophie  des  sciences au XXe siècle,  même  s’il reste essentiellement constructiviste, c’est à dire dualiste. Bien avant Kuhn, Bachelard considère sérieusement l’histoire des sciences comme une succession de ruptures épistémologiques assimilables à des révolutions scientifiques.

Contre Kant et dans la lignée de Hegel, bien loin de sombrer dans le scepticisme de Kuhn, le « poète-philosophe » cherche dans cette histoire les bases d’une « philosophie du non » : Une révolution scientifique ne balaye pas entièrement la science antérieure mais la dépasse, à l’instar de la géométrie non euclidienne qui englobe la géométrie euclidienne en la relativisant, ou de la physique quantique au delà de la mécanique newtonienne ; il n’y a pas de « lois universelles de la nature » mais des « lois physiques » régulièrement reconstruites sur des bases plus larges, garantissant le progrès scientifique. A cette « négation de la négation »[15] ne manque finalement, et c’est peu de le dire, que le monisme matérialiste. Si cette philosophie fut ensuite entretenue par Canguilhem puis aujourd’hui, non sans quelque romantisme suspect, François Dagognet, plus intéressants seront ses rapports complexes avec le courant structuraliste français de Foucault et d’Althusser.

Dans la deuxième moitié du XXe siècle, la structuralisme est un courant multiforme, autant philosophique que scientifique né d’inspirations marxiste, bachelardienne, cybernétique et penché sur les sciences humaines en particulier.

D’un côté il reçoit l’héritage d’une résurgence formaliste et constructiviste du projet viennois : la cybernétique de Piaget, Thom et Wiener est, après et malgré l’impasse épistémologique du positivisme logique, une volonté directement scientifique de comprendre les systèmes complexes. Nombreuses ont été les références à cette école au cours de notre exposé… indiquons simplement ici que sous sa forme « physicaliste », l’essai de Théorie Générale des Systèmes « GST » (Von Bertalanffy) se conclut très vite par l’échec puis l’oubli, tandis que l’éclatement en tendances monodisciplinaires fut plus tenace ; en sciences cognitives (Wiener), en mathématiques (Thom), en psychologie (Piaget), en sociologie, liguistique, ethnologie (structuralisme).

De l’autre côté, l’héritage de Bachelard et Canguilhem se traduit chez Foucault par une conception discontinuiste de l’histoire des sciences et par la notion d’idéologie scientifique, assimilable au paradigme de Kuhn. Le rationalisme constructiviste radical de la cybernétique est continuiste, celui de l’épistémologie historique française est discontinuiste. Les Foucault, Levy Strauss, Althusser lui même, intégreront ce dernier dans une vision criticiste affirmant l’insondabilité des modèles scientifiques antérieurs. Le structuralisme se penchera dés lors sur les systèmes (mécanisme) linguistiques, ethnologiques, etc. en laissant de côté les notions fondamentales de processus et de saut qualitatif. Un exemple évident ; le travail de Claude Lévy Strauss, ethnologue matérialiste mais par trop mécaniste, porte en partie sur les prétendus « invariants anthropiques », retour inavoué à la notion idéaliste de nature humaine. Si le structuralisme se proposait de dévoiler le caractère profondément idéologique des systèmes philosophiques (Althusser en est l’emblème), il n’échappera pas lui même à ce dévoilement…

Dans un style moins ampoulé, on pourrait traduire sans trahir la notion d’invariant anthropique par « il y aura toujours des riches et des pauvres » ou « l’Homme est fait pour faire la guerre » ! Etait-il besoin de tant d’années de réflexion théoriques pour aboutir à ces lumineuses et originales conclusions ?

La vision dialectique des structuralistes, celle d’Althusser en particulier, se bornera à penser la « complexité » du monde à travers une vision dualiste (anti-moniste) et cyclique de la matière (rejet de la catégorie de « négation de la négation »). Détaché de l’historicisme qui faisait par ailleurs tout l’intérêt de l’épistémologie bachelardienne, le mouvement structuraliste revient sur un criticisme kantien (inconnaissabilité d’un monde « complexe et déjà-donné ») qui lui sera fatal (constructivisme versant finalement dans le scepticisme et le « rejet du progrès », de la modernité émancipatrice). Un puissant courant post-moderne ouvert par les littératures aussi confuses que ridicules des Lacan, Deleuze ou Derrida, s’installera enfin sur les cendres du structuralisme en France. Ce dernier, jusque là plus ou moins à l’abri des développements contemporains du néopositivisme anglo-saxon, rayonne encore aujourd’hui à l’étranger, aux Etats Unis en particulier, tandis qu’un certain désaveu récent le rend paradoxalement silencieux en France.

La question du rapport du savoir et du pouvoir, autrement dit de la science à la politique, au delà même de la philosophie, question chère à Foucault autant qu’à Althusser, prend une résonance particulière à ce stade de notre étude.

L’intégration contradictoire du néopositivisme (cybernétique) et de l’épistémologie française à l’intérieur du structuralisme répond en effet à certains égards à des questions d’ordre politique. Le matérialisme continuiste et anti-métaphysique du Cercle de Vienne, impitoyablement réprimé à partir des années trente par les nazis saoulés d’Heidegger comme « science judéo-bolchévique dégénérée », incarnait souvent un engagement de gauche, en la personne de Neurath notamment, qui se déclarait ouvertement marxiste. Les apparentes affinités de Bachelard avec la Dialectique de la nature d’Engels seront explicitées avec enthousiasme par Althusser[16].

C’est à l’intérieur du structuralisme que se reconnaîtront un certain nombre d’intellectuels de gauche sous la direction de ce dernier. Si ce piège a fonctionné un moment, comme fourvoiement du marxisme moderne, une analyse matérialiste dialectique se doit aujourd’hui de faire la part des choses, à l’abri des séductions faciles.

 

Le courant « post-moderne »

 

L’épistémologie du XXe siècle se développe en un triple mouvement de recherche « implicitement » dialectique, au sens où le monisme néopositiviste luttait contre la métaphysique tout en déniant l’efficience d’une analyse dialectique des ruptures épistémologiques, au sens où l’historicisme dialectique du post-positivisme comme de l’école française, rompant avec ce continuisme naïf s’égarait en même temps dans un dualisme insurmontable. Bref, en philosophie comme en science, les lois du matérialisme dialectique ne sont reconnues que séparément, c’est à dire stérilement.

Trois fois discréditée dans son projet d’alliance théorique avec la « pensée scientifique » par des causes interne (allergie à Hegel, Marx et Engels) et externe (le progrès scientifique progressant et niant régulièrement les freins de sa superstructure idéologique : dualisme, solipsisme, scepticisme, nihilisme), la philosophie prend aujourd’hui la forme d’un éclatement opportuniste engagé dans le discrédit toujours insatisfait du progrès émancipateur, cherchant dans la pratique scientifique elle même[17], mais en commettant d’inévitables erreurs, les bases d’un relativisme radicalement hostile  au  projet  scientifique. Toute « philosophie de l’émancipation »  est  désormais fustigée comme « pensée globalisante », source désignée du totalitarisme[18] !

Mais le post-modernisme, profondément ancré dans une désespérante atomisation de la pensée, allait bientôt subir un coup fatal dans les années quatre-vingt dix avec l’« affaire Sokal » ; une sorte de retour de manivelle très instructif. Précisons-le …

Espérant sonner le glas des « pensées trop claires », le post-modernisme est la bannière délavée de tous les verbiages pseudo-littéraires d’aujourd’hui. Ils ne s’accordent entre eux que sur un tragi-comique hyper-relativisme[19], un scepticisme résolument anti-scientifique et la légitimité exclusive des réflexions les plus ponctuelles et déconnectées ! Passant d’analyses philosophiques à des analyses de type journalistique, ils blanchissent tout ce qui passe pour pré- ou anti-marxiste, réhabilitent sans distinction les Kant, Mach, Nietzsche, Heidegger[20], les réaccommodant à l’individualisme radical et à la « pensée libre », en somme tout ce qui peut ressembler à de la désinvolture voire à de la démission intellectuelle… à la pensée qui démissionne d’elle même…

Faute de contradicteurs, les post-modernes tiennent le devant de la scène intellectuelle grâce à une puissante discipline idéologique des médias en Europe comme aux Etats Unis, autant qu’à l’opacité péremptoire de leur prose. Cette fraîche impunité les incita progressivement dès les années quatre-vingt à agrémenter leurs « essais » d’une multitude de références à la logique mathématique[21], à la physique quantique, à la cybernétique, dont la complexité résonnait en apparence avec la leur. Nombreux furent les scientifiques « convertis » qui risquèrent à leur tour de telles élucubrations philosophiques dans les revues post-modernes de l’époque.

Social Text, la plus célèbre et la plus internationalement reconnue des revues américaines post-modernes, accueillit dans ses colonnes en 1996 un éminent physicien de l’époque ; Alan Sokal. Ce dernier y publiait un long article[22] rivalisant avec ceux du milieu dans son extrême ésotérisme et mêlant comme il était de mise allusions à Gödel, Einstein, Schrödinger et révérences courtoises à Derrida, Lacan, Deleuze, … La publication eut vite un écho retentissant en Amérique comme en Europe, et fut accueillie par un concert de louanges des deux côtés de l’atlantique : Le post-modernisme comptait désormais un nouvel adepte, et non des moindres. On qualifia même l’article de révolutionnaire, tant il semblait ouvrir la voie à cette réconciliation tant attendue entre « sciences dures » et sciences humaines relativistes.

Quelques mois plus tard, Sokal annonçait dans une autre revue que son fameux article n’était autre qu’un très grossier canular destiné à ridiculiser les partisans du post-modernisme sur leur propre terrain : Le texte articulait par d’authentiques références à la rhétorique creuse des « philosophes officiels » des énoncés aussi vides de sens que riches en termes « savants » ! On ne pouvait prévoir résultat plus heureux. Le crédit démesuré accordé à ce texte, ses commentaires enthousiastes, furent alors autant d’aveux sur la vacuité et la désinvolture des textes précédemment parus des grands auteurs officiels.

Notre espiègle rationaliste publia en 1997 avec Jean Bricmont, collègue physicien, un livre éclairant les tenants et les aboutissants de cette polémique encore vive aujourd’hui. En voici l’une des réflexions les plus intéressantes : « Pour nous et pour tous ceux qui se situent politiquement à gauche, le post-modernisme a des conséquences négatives spécifiques. Premièrement, la focalisation sur le langage et l’élitisme lié à l’usage d’un jargon prétentieux contribuent à enfermer les intellectuels dans des débats stériles et à les isoler des mouvements sociaux qui se passent en dehors de leur tour d’ivoire. Les étudiants progressistes qui arrivent sur les campus américains peuvent facilement être déroutés par l’idée que ce qu’il y a de plus radical (même politiquement) est le scepticisme intégral et l’analyse du discours. Deuxièmement, la persistance d’idées confuses et de discours obscurs dans certaines parties de la gauche a tendance à discréditer la gauche toute entière ; et la droite ne se prive pas d’utiliser démagogiquement cette opportunité. Mais le plus important, c’est que toute possibilité d’une critique sociale qui pourrait tenter de toucher ceux qui ne sont pas convaincus d’avance devient logiquement impossible, à cause des partis pris subjectivistes (en pratique, un certain nombre d’individus qui utilisent le langage postmoderne s’opposent aux discours racistes ou sexistes en invoquant des arguments parfaitement rationnels : nous pensons simplement qu’il y a une incohérence entre leur pratique et leur philosophie, ce qui n’est peut être pas trop grave). Si tout discours n’est que le récit ou narration, et si aucun discours n’est plus objectif ou plus véridique qu’un autre, alors il faut admettre les pires préjugés racistes et sexistes et les théories socio-économique les plus réactionnaires comme « également valables », du moins comme description ou analyse du monde réel (à supposer qu’on admette l’existence de celui-ci). Manifestement le relativisme est une base extrêmement faible sur laquelle fonder une critique sociale de l’ordre établi. Si les intellectuels, en particulier ceux qui se situent à gauche, veulent apporter une contribution positive à l’évolution de la société, ils peuvent le faire surtout en clarifiant les idées ambiantes et en démystifiant les discours dominants, pas en ajoutant leurs propres mystifications. Une pensée ne devient pas « critique » simplement en s’attribuant ce titre, mais en vertu de son contenu

On voit clairement à travers ce texte quelle est toujours la question centrale de cette « lutte des classes dans la théorie » : celle de la légalité moniste du discours scientifique contre le « tout se vaut »…

 

B.   Déviations actuelles du matérialisme dialectique

 

Les positions politiques de Sokal peuvent choquer, même et peut-être surtout chez les scientifiques « de gauche » eux mêmes… Comment diable peut-on mélanger ainsi science et politique ?! Paradoxalement, lorsque des savants nous ensevelissent sous une prose « libérale » ontologique (Kupiec et Sonigo), l’idéologie pourtant évidente à la seconde lecture passe souvent inaperçue à la première. Nous sommes tellement habitués à recevoir les « idées » que distille quotidiennement la bourgeoisie dans les moindres recoins de la vie sociale, que tout discours hétérodoxe inspire immédiatement la suspicion : Ces marxistes sont d’incurables dogmatiques ! Méfions-nous des discours « totalitaires » ! L’agnosticisme, l’éclectisme, telles sont nos garanties les plus sûres contre ce « cancer » qu’est la pensée engagée !…

Sur les campus, l’activité des renégats post-althussériens, comme d’ailleurs celle des trotskistes et autres anarchistes actuels, loin de proposer de réelles alternatives, renforceront au contraire ce type de positions chez les futurs scientifiques.

Citons le croustillant débat entre le renégat Régis Debray[23] et l’anarchiste Jean Bricmont[24], publié en 2004 sous le titre « A l’ombre des Lumières ». D’un côté le rejeton du structuralisme althussérien défend un positivisme restreint, anti-moniste et post-moderne axé sur les structures de l’acquisition matérielle des connaissances (« médiologie ») et sur la mise en évidence des « invariants anthropiques ». De l’autre côté, pour défendre la légalité du discours et du progrès scientifique, l’allié de Sokal prône l’anarchie poppérienne radicale dont le scepticisme a finalement aussi peu de poids que les figures de style du post-moderne.

C’est par exemple pour sauvegarder la légitimité scientifique que Bricmont prend parti pour la démarcation étanche, péremptoire et finalement métaphysique entre « sciences dures » et sciences humaines, contre Debray. Par dessus le monisme ontologique honni à l’unanimité, l’« inconnaissable » dualiste prêché par les Popper post-positivistes comme par les Kant néo-positivistes leur permettra même si tout les oppose en apparence, de se serrer finalement la main. Une belle leçon de démocratie !

Pour un marxiste conséquent rappelons le, préférer le monisme constructiviste du Cercle de Vienne au dualisme dialectique du post-positivisme, ou réciproquement serait une erreur. Ce qu’il faut voir au delà des séductions ponctuelles, c’est l’opiniâtreté de l’ensemble des épistémologues modernes, quelque soit leur camp, à rejeter avec horreur le monisme matérialiste dialectique, à employer pour ce faire des trésors de stratégie théorique, consciente ou inconsciente, pour mêler consensus, opposition et « neutralisation » de la théorie marxiste de la connaissance.

 

a.      La pensée structurale a-historique

 

Il est aujourd’hui évident qu’il y aura toujours des guerres, qu’aucune société idéale n’est vraiment concevable, encore moins possible. La nature humaine est quelque chose de fixe, et les marxistes doivent en tirer les conséquences, c’est à dire admettre l’impossibilité du socialisme tout en conservant ces valeurs qui les rendaient si sympathiques. Finalement, après avoir été l’inspirateur des idéologies de droite et d’extrême droite au XXe siècle, Darwin n’est-il pas au fond l’inspirateur potentiel d’une « nouvelle gauche », celle qui ne se fait plus d’illusions, mais qui décèle par exemple dans la nature comme chez l’Homme une « valeur sélective » à la coopération elle même ?

Telle est dans ses grandes lignes le plaidoyer pour une nouvelle « gauche darwinienne » que Peter Singer, l’un des philosophes anglo-saxons actuels les plus influents, a publié en 1999.

Révolution de la pensée ? Point final du leurre moniste qui a tant envenimé les léninistes depuis un siècle ? Bond en avant de la spirale post-post-moderne ? En réalité rien de bien nouveau… tout au plus quelques soubresauts de ce bon vieil empiriocriticisme gauchisant, paré de concepts du dernier cri. Que sont devenus les intellectuels de gauche, disciples de Sartre ou d’Althusser ? Des Debray, des Chomsky, des Singer…

Une relecture de « Matérialisme et Empiriocriticisme » de Lénine ou de « Matérialisme militant » de Plekhanov suffirait à ridiculiser ces adorateurs de l’« invariant anthropique » et de l’« inter-subjectivité ». Pour les premiers intéressés, c’est à dire les anthropologues eux mêmes, la notion d’invariant anthropique est bien plus problématique qu’il n’y paraît. Philippe Descola par exemple précise : « Comment concilier le fait que l’espèce humaine possède un équipement biologique et cognitif sans grandes variations internes avec le constat qu’elle emploie cet équipement de manière extrêmement variable ? (…) La tâche de l’anthropologie est de mettre au jour des régularités dans ce foisonnement de particularismes (…) ». Les données ethnologiques rendent cette tâche particulièrement ardue. Loin d’unifier une cosmologie qui serait universelle et intemporelle, les « invariants anthropiques » correspondent à une classification régionale plus ou moins large et n’échappent pas en ce sens à la règle de l’évolution historique avec changements qualitatifs et développement inégal : « Et même si le naturalisme est maintenant en passe d’étendre à la majeure partie de la planète sa grille de lecture des choses, il faut souligner avec force que notre cosmologie est une production historique récente, non un étalon éternel que les Modernes auraient su accoucher du ciel des Idées ».

Descola ajoute t-il philosophiquement quelque chose à la vieille théorie schizophrène de Mach, partagé entre le souci « anti-métaphysique » du relativisme et l’impasse de l’anti-monisme qui lui est invariablement subordonné, quand il conclue : « Or, si notre cosmologie est historiquement unique, apte à accommoder toutes les autres et équipée, pour ce faire, d’outils explicatifs incomparables, ne serait-ce pas tout simplement parce qu’elle est vraie, parce que le partage qu’elle établit entre l’universalité objective des lois de la matière et de la vie et la diversité subjective des institutions humaines est celui qui correspond le mieux à la nature des choses ? C’est là une question à laquelle un anthropologue ne saurait répondre. Non pas par scepticisme ou adhésion à un relativisme de principe, mais parce qu’il s’agit d’une croyance. On ne peut tenir pour vraie une théorie si l’on entend par là qu’elle rend compte mieux et plus complètement que toute autre théorie de la structure et du mode d’action des éléments de la matière. Il  n’y a aucun sens, en revanche, à tenir pour vraie ou fausse une cosmologie comme la nôtre qui n’est qu’une manière parmi d’autres de distribuer des propriétés et d’opérer des regroupements ontologiques parmi les existants. Le fait qu’elle ait servi de matrice à l’émergence et au développement de la pensée scientifique, qu’elle l’ait même, dans une certaine mesure, rendue possible, n’en fait pas pour autant une certitude scientifique » (Qu’est-ce que la diversité de la vie ? Editions O. Jacob, 2003). Détachée de la pratique, l’épistémologie atteint ici le plus haut degré de monstruosité logique.

 

Posons donc clairement la question de l’objectivisme moniste.

Les classiques du marxisme nous enseignent qu’il existe bien une distinction contradictoire entre l’objet et le sujet, entre la « chose en soi » et le « moi ». Si nous ne connaissons la chose que par les actions qu’elle exerce sur nous, couleur, odeur, texture, etc. ces aspects sont effectivement des représentations dans le cerveau de l’Homme (les choses pour nous, ces « hiéroglyphes », selon l’expression de Plekhanov) et non des propriétés objectives de la chose. Mach a donc raison sur ce point : un objet ne manifeste une couleur que si quelqu’un la regarde. En revanche, il serait absurde d’ôter à cet objet la propriété de reproduire cet effet, la couleur, à chaque fois que nous reposons le regard sur lui. C’est cette propriété qui appartient en propre à l’objet et ne saurait être qualifiée de subjective. La couleur est donc une sensation indissociable du sujet, mais fondée sur cette propriété objective de la chose en soi, en donnant prise sur elle.

C’est en taxant cette conclusion élémentaire de métaphysique que Mach tombe du même coup dans l’idéalisme : l’intersubjectivité, en tant que déproblématisation de l’ontologie qui fonde l’harmonie possible des Hommes sur leurs connaissances de la matière, n’est qu’un avatar malheureux du solipsisme. N’est ce pas rejeter la « chose en soi » et sa connaissabilité tout en admettant pourtant un « autrui-chose en soi » et la connaissabilité de son jugement à accorder au mien ?

L’Homme appartient en effet à la matière, tout comme les « choses pour nous », dédoublement des « choses en soi » dans son cerveau. Telle est la base du monisme et l’incontournable distinction entre « dualité » objet-sujet et « dualisme » matière-esprit…

Allons plus loin. Aucun miracle ne nous donne la matière comme connaissance absolue et définitive par nos seuls sens (empirisme). C’est la pratique, action de l’Homme matériel sur son milieu matériel, qui fonde et développe le savoir scientifique. Ce savoir, fruit d’un travail humain, va bien au delà de ce que nous donnent nos expériences quotidiennes individuelles. Il est donc relatif à ce travail tout en étant absolu dans le cadre délimité par la pratique à un moment donné de l’histoire des sciences. Cette relativité n’a rien à voir avec celle que nos philosophes invoquent au nom du post-modernisme.

Quine la conçoit ainsi : « Supposé que nous travaillons dans une théorie et donc que nous traitions de ses objets. Nous le faisons en employant les variables de cette théorie, variables dont les valeurs sont ces objets, quoiqu’il n’y ait pas de sens ultime dans lequel cet univers puisse avoir été spécifié. Le langage de notre théorie comprend des prédicats par lesquels nous distinguons des portions de cet univers d’autres portions, et ces prédicats diffèrent entre eux simplement par le rôle qu’ils jouent dans les lois de la théorie. A l’intérieur de cette théorie prise comme théorie d’arrière plan, nous pouvons montrer comment une théorie subordonnée, dont l’univers est une portion de l’univers d’arrière plan, peut, moyennant une réinterprétation, être réduite à une autre théorie subordonnée, dont l’univers est une portion plus petite de l’univers d’arrière plan. Ce discours sur les théories subordonnées et leurs ontologies possède un sens, mais uniquement par rapport à la théorie d’arrière plan, avec son ontologie admise originellement, et en dernière instance incrustable » (Relativité de l’ontologie et autres essais, Paris 1977, Aubier). Comment ne pas voir ici l’application ontologique du théorème de Gödel dans un sens dialectique assumé ? S’il apporte ici l’argument qu’on ne saurait élaborer des connaissances sans théorie préalable, ce que le matérialisme dialectique atteste contre l’empirisme vulgaire, Quine oublie « simplement » que l’incrustation des théories (que nous appellerons ; relativisation d’une théorie par une théorie plus générale désormais absolue) les unes dans les autres suit, non seulement le développement, le raffinement conceptuel de la pratique scientifique, mais aussi, à partir de l’Homme, portion de la matière qu’il étudie, l’évolution qualitative historique de cette matière même, donnée que seul le matérialisme conséquent pose en amont… Nous ne reprocherons pas aux peintres de Lascaux de n’avoir pas découvert la loi de la valeur propre aux sociétés marchandes. Nous ne reprocherons pas à Marx de ne pas avoir théorisé les lois du capitalisme monopoliste d’Etat (Lénine), pourtant incrustables aux lois générales –et toujours objectives !- du capitalisme.

Héritière d’un structuralisme initialement matérialiste, l’épistémologie contemporaine reste bornée à l’étude des structures de la connaissance. C’est ainsi que Debray par exemple s’applique à n’étudier finalement du savoir humain que ses modes de production, ses techniques de diffusion, en oubliant sciemment ce qui le fonde -les rapports de production-, confondant physique, religion, mass-médias dans une seule et même pratique, niant tout le travail de corruption idéologique qui les imprègne ponctuellement et plaçant au devant de tout l’apparente harmonie de ces improbables invariants. Il suffit à Debray de pointer un comportement particulièrement durable, voire permanent dès l’origine de l’Homme, pour le postuler éternel… N’est ce pas là une croyance métaphysique, qui aurait bien peu à reprocher à notre diabolique monisme ontologique ?

Laissons les nihilistes tourner en rond et revenons à notre définition de la relativité ontologique. Engels nous éclaire dans Feuerbach sur la contradiction relatif / absolu qui sous-tend tout savoir scientifique. En amont de toute pratique scientifique, le matérialisme dialectique, incorporant son propre lien dialectique avec la pratique, est la seule théorie susceptible d’immuniser le savoir produit des égarements idéalistes ultérieurs. Contre la métaphysique, cet angle d’attaque fait encore surgir le problème de la validité des concepts fixes sensés couvrir une matière changeante… Définissant le « poisson » par son milieu aquatique, son caractère de vertébré et ses branchies par exemple, on s’aperçoit vite que certains poissons vivent hors de l’eau, que d’autres n’ont pas de branchies et respirent par la peau, voire par des poumons. A la suite d’Aristote, les nominalistes objecteront que la catégorie de poisson n’a donc pas lieu d’être objectivement. Mais si rien de quantitatif n’est définissable de façon stricte, L’Humanité n’a pas d’existence objective non plus… il n’est alors même plus question de parler sérieusement d’intersubjectivité !

Nous sommes nominalistes au sens où nous affirmons que les choses n’ont pas d’essence idéale, immuable. Nous ne le sommes pas en revanche au sens où nous affirmons que ces choses ont toutes un mode d’existence, le mouvement, et sont donc susceptibles de répondre à des lois générales (même si ces lois sont elles mêmes changeantes). Dans le cas du poisson, nous avançons par exemple que cette catégorie a bien lieu d’être, et ce objectivement, tandis que la nature fluente de la matière gêne la définissabilité des aspects qu’elle manifeste dans la durée (ici l’évolution biologique). Ces aspects sont, nous l’avons dit, objectifs mais changeants. La qualité générale d’une chose ou d’un groupe de choses apparentées est, c’est vrai, toujours provisoire, puisqu’en mouvement ; donc provisoirement objectif et non absolument subjectif.

A la fixité des concepts, base concrète du raisonnement humain, répond celle des visions du monde elles mêmes dans l’histoire de l’Homme. Ainsi par exemple, nous savons tous que le christianisme s’est imposé comme une conception progressiste et émancipatrice dans la décadence romaine, que le capitalisme s’est assorti d’une vision « libérale » progressiste dans la féodalité pourrissante, que le nationalisme est une cause juste quand il fait face au colonialisme, que le darwinisme fit progresser les sciences de la nature au moment où le fixisme atteignait ses conclusions les plus absurdes. Objectivement progressistes dès leur installation, ces visions du monde se changent avec le développement historique, en théories ouvertement réactionnaires. Notons qu’ayant changé progressivement de positions avec le temps, les partisans du début le restent souvent pour des raisons bien différentes ensuite.

De telles visions du monde, historiquement plus ou moins stables, ont-elles un caractère progressiste ou réactionnaire ? La question est absurde hors du contexte historique ; Elles sont historiquement tantôt objectivement progressistes, tantôt objectivement réactionnaires, et ceci ne peut être admis qu’en assumant jusqu’au bout le matérialisme dialectique. Une question brûlante se pose alors, dans cette vision historiciste ; le matérialisme dialectique peut-il, en modifiant ses propres principes par voie interne, devenir lui même réactionnaire ?

 

b.      Révisionnismes

 

Il existe dans l’histoire du marxisme bien des déviations, bien des révisions. Qu’une telle philosophie soit l’enjeu de tant de ré-accommodations, d’assaisonnements, à travers l’histoire de son élaboration, n’est pas sans poser quelques questions…

Avant de répondre à celle-ci ; « le matérialisme dialectique est-il voué à se nier lui-même ? », nous nous pencherons sur deux exemples symptomatiques de « désactivation » récente du matérialisme dialectique par des intellectuels se réclamant du marxisme.

 

Le premier est celui d’Althusser.

Partant d’une tradition incontestablement matérialiste, fortement influencé par Gramsci autant que par Mao, son travail consistait à expliciter la philosophie « implicite » et « inhérente » au Capital contre le « dogmatisme » du DiaMat stalinien. Son diagnostic : Une rupture non consommée avec l’idéalisme hégélien, surtout visible chez Engels, expliquant le destin « mécaniste » voire « positiviste » du marxisme politique au XXe siècle. C’est pour lui précisément la théorie marxiste de la connaissance qui pêche dans cette « malheureuse » aventure : Le matérialisme dialectique devait représenter un rempart « critique » contre toute forme d’idéalisme en philosophie (c’est effectivement le cas !), plutôt que l’ontologie métaphysique et « apologétique » qu’il serait devenu en URSS. Le matérialisme dialectique qu’Althusser appelait de ses vœux se destinait ainsi à n’être plus qu’une méthode. Privée de toute théorie moniste de la connaissance, celle ci était moins une méthode pour connaître (Lénine) qu’une méthode pour protéger toute position marxiste des incursions idéalistes, la philosophie était, à juste titre d’ailleurs, perçue comme un « champs de bataille », mais où les « positions » prévalent sur les « vérités ».

Althusser assorti d’ailleurs ce relativisme dualiste (anti-moniste) à un nominalisme radical qui, partant d’une critique juste de l’essentialisme platonicien, finit par dénier toute « qualité » générale aux aspects de la matière à un moment donné de son développement : « J’irai plus loin [que Marx] : je dirais que [le nominalisme] n’est pas seulement l’antichambre du matérialisme, mais que c’est le matérialisme lui même » (Sur la philosophie). Ce « déplacement » n’est pas mince ; il disqualifie de fait tout énoncé dialectique en science en atomisant à la base l’approche objective de l’Homme sur la matière. Cette forme raffinée de relativisme nous est aujourd’hui bien familière : L’althussérisme n’est-il pas lui même l’antichambre du post-modernisme « de gauche » dont parlait Sokal ?

Notons qu’il s’est, même tardivement, affublé d’un titre spécial ; le « matérialisme aléatoire », stade suprême pourrait-on dire, du matérialisme dialectique !… Tout finalisme taxé par avance d’idéalisme, cette improbable philosophie du vide utilise l’argument juste de la « non-antériorité du sens » pour affirmer le primat[25] du contingent sur le nécessaire, du complexe sur le simple. L’influence maoïste est ici particulièrement palpable (théorie du « déplacement » aléatoire du caractère antagoniste / non-antagoniste des contradictions dans un système de contradictions). A travers cette hégémonie très en vogue aujourd’hui de la contingence et de la complexité, l’avatar ultime du « déplacement » maoïste est enfin explicite : « Je pense qu’en toute philosophie on peut découvrir des éléments idéalistes et matérialistes, avec la dominance d’une des deux tendances sur l’autre dans une philosophie donnée. En d’autres termes, il n’existe pas de division radicale et brutale puisque, dans une philosophie qualifiée d’idéaliste, on peut rencontrer des éléments matérialistes et vice-versa. Ce qui est certain, c’est qu’il n’y a pas de philosophie absolument pure. Ce qu’il y a, ce sont des tendances ». Arrêtons nous sur cette très spéculative symétrie entre idéalisme et matérialisme.

Passons sur l’énigme dans laquelle nous plonge Althusser en affirmant détecter, donc identifier la nature tendanciellement idéaliste ou matérialiste d’une théorie sans partir d’un point de vue[26] précisément matérialiste sur cette nature. Si toute philosophie, enjeu d’une contradiction antagoniste entre éléments idéalistes et matérialistes, n’est que « tendanciellement » idéaliste ou matérialiste, il ne saurait en effet exister de matérialisme plus radical que cette philosophie du vide, cette « philosophie qui fait le vide autour d’elle ».

Nous avons entrepris de montrer dans les chapitres précédents que l’existence d’éléments matérialistes (et dialectiques) dans toutes les théories idéalistes de l’évolution biologique témoigne, non pas de cette symétrie désactivant par avance toute théorie scientifique alternative, mais bien d’une accommodation nécessaire puis d’une « neutralisation » idéologique nécessaire des éléments scientifiques rendant compte de la matière, précisément parce que celle ci procède dialectiquement et parce que la science en fournit « malgré elle » une connaissance objective (monisme) ! En d’autres termes, nous parvenons à la même observation qu’Althusser en biologie –existence d’éléments matérialistes au sein de théories idéalistes- mais pour créditer des positions monistes diamétralement opposées aux siennes…

 

Le très récent Principes de la dialectique de Jean Marie Brohm fournira notre deuxième exemple, image inversée du premier.

Pour ce trotskiste, opposant de la première heure à la tendance althussérienne dont l’influence « stalinienne » serait selon lui encore palpable[27], c’est précisément l’assimilation du matérialisme dialectique à une simple méthode qui lui impose ce « dogmatisme » tant reproché.

S’il authentifie la découverte des lois de la dialectique, Brohm n’oublie pas de se mettre dans l’air du temps par quelques très prudents recours à l’œuvre de Mao et subordonne –comme Althusser !- ces lois à l’hégémonie de la complexité et de la contingence. Insistant sur la difficulté de « saisir » la matière fluente, animée d’un indéchiffrable système de contradictions, le très maoïste « déplacement » aléatoire des caractères dominant / secondaire et antagoniste / non antagoniste au sein de tels systèmes complexes permet à notre « gauchiste » une double argumentation : 1) Avaliser les lois de la dialectique, c’est à dire la position moniste ontologique, 2) Refuser de les appliquer aux sciences de la nature, pour ne pas tomber dans la « contemplation » métaphysique d’une nature si opaque, d’une nature dont on ne saurait produire autre chose qu’une science mécaniste, voire techniciste.

D’une telle opération surgit finalement la position sartrienne bien connue qui consiste à n’admettre le matérialisme dialectique que dans le cadre de la praxis humaine. Comme Brohm, qui n’est pas scientifique, ne reconnaît dans la science de la nature aucune praxis humaine (mais au contraire une vaine contemplation), son matérialisme dialectique se restreint à l’histoire de l’Homme (métaphysiquement plus que « qualitativement » séparée de celle de la nature), c’est à dire au seul matérialisme historique.

Ici encore, la dialectique est donc moins une méthode pour connaître qu’une affirmation moniste restreinte, niant ainsi son statut scientifique (statut d’où proviendrait le fameux dogmatisme !). L’assimilation à une « méthode universelle » détruirait la dialectique bien plus que n’importe quelle révision. Il cite d’ailleurs très opportunément Georg Lukács : « L’orthodoxie en matière de marxisme se réfère (…) exclusivement à la méthode. Elle implique la conviction scientifique qu’avec le marxisme dialectique a été trouvée la méthode de recherche juste, que cette méthode ne peut être développée, perfectionnée et approfondie que dans le sens de ses fondateurs ».

Répondons immédiatement : Cette méthode n’est développée, perfectionnée, etc. que dans le sens de ce qui a été découvert par ses fondateurs. Ces lois ne sont de plus universelles qu’au sens où l’univers lui même se développe : Universel est loin de signifier immuable ! Que les Lukács et autres Brohm désirent développer le matérialisme dialectique dans n’importe quel sens, et ce pour la raison simple qu’il n’est pas un science, voilà qui n’est pas incohérent… C’est en quelque sorte une lutte « de l’intérieur » contre le matérialisme dialectique, pour le désactiver en une sorte d’élucubration pseudo-philosophique pour intellectuels de salon.

 

Résumons-nous : Quand Althusser « corrige » le matérialisme dialectique dans son égarement « métaphysique » en lui imprimant un dualisme prudent et les vertus d’une méthode d’autocorrection sans bases référentes (matérialisme aléatoire ou philosophie du vide), Brohm tout aussi bienveillant vis à vis du matérialisme dialectique, le corrige à l’inverse en n’admettant son caractère ontologique que dans le cadre de la praxis humaine, c’est à dire pour lui du seul matérialisme historique (où l’Homme « peut agir » sur la matière), tout en déniant sa vocation méthodologique (« apprendre, toujours apprendre, pour comprendre et agir » Lénine)…

Revenons à la question du « développement » épistémologique du matérialisme dialectique.

Lukács a formidablement résumé le problème des philosophes révisionnistes des dernières décennies (y compris lui même !) : Il tient au caractère « apologétique » du marxisme soviétique, comme corpus figé de lois établies, dont il faudrait « libérer » ce matérialisme dialectique si coriace. Ce diagnostic mérite toute notre attention : Nous y répondrons point par point.

Le matérialisme dialectique a en effet une histoire bien longue (depuis l’Antiquité !), qui répond quoi qu’on en dise, à la praxis humaine : sa naissance en tant que science, c’est à dire en tant que méthode capable de fournir des connaissances objectives, date de l’œuvre de Marx et Engels qui accomplirent un renversement matérialiste de l’idéalisme objectif hégélien, le subordonnant au critère de la pratique.

Il contient dés lors les instruments de son développement, et n’échappe donc pas au principe premier du mouvement de la matière : fruits du travail humain, ces principes généraux sont par essence non finis (subordonnés à une pratique en développement) puisque appartenant à la matière, à l’intérieur de laquelle ils s’exercent.

Le DiaMat « soviétique » n’est en ce sens pas ossifiable (dogmatique), au sens où les sciences sont sans cesse appelées à réviser non pas son contenu mais sa forme (Engels), c’est à dire la formulation perfectible de ses principes. L’apologie radicale de la complexité et de la contingence ne saurait par décret réviser cette forme, et son contenu moins encore : On ne peut espérer aucun progrès scientifique d’une approche dogmatiquement indéterministe de la matière, complexité et contingence ne dépendant qu’en dernière instance du déterminisme véritablement matérialiste.

Si le matérialisme dialectique est appelé à se transformer à l’avenir, n’échappant pas à ses premiers principes, de deux choses l’une : 1) Soit cette transformation résulte de contradiction(s) antagoniste(s) pour devenir la négation de ses propres principes, 2) Soit elle résulte de contradiction(s) non antagoniste(s), ré-élaboration permanente et perfectible, fondée sur ses principes initiaux sans possibilité de nier leur vérité intrinsèque.

Dans le premier cas, aussi absurde soit-il, on prophétisera la mise au monde d’un idéalisme métaphysique sorti des flancs du matérialisme auto-détruit par sa dialectique ! En admettant une thèse absurde comme celle-ci, il faudra encore oublier que le matérialisme dialectique est précisément né de l’idéalisme il y a plus d’un siècle… Ceci est le problème des maoïstes et autres prosélytes de la dialectique « cyclique », pas le nôtre…

Dans le second cas, on observera que les références aux classiques du marxisme, loin d’être « apologétiques », sont des bases indispensables au développement théorique futur[28].

Encore faut-il admettre qu’un énoncé, qu’une connaissance, qu’une théorie soit à la fois absolument vraie et cependant relative à son cadre de validité : Deux remarques sur cet obstacle « psychologique ».

La première tient à la peur qu’éprouvent souvent les philosophes vis à vis des vérités « partielles ». Le matérialisme dialectique est en effet le fruit d’un travail collectif et historique, et non celui d’un seul génie surhumain éclairant miraculeusement l’Humanité présente et à venir : Il est lui même matière en développement au sein de la matière en développement. Le phantasme intellectuel consistant à vouloir « tout réinventer tout seul » suscite souvent bien des réticences face à ce constat, favorisant, expliquant même les déviations considérées plus haut. C’est ainsi qu’on arrive paradoxalement à devenir subjectiviste, voire sceptique, par déni du relativisme objectif (contradiction dynamique relatif / absolu).

La seconde tient également chez ces mêmes intellectuels, à un manque flagrant d’humilité, mais qui est souvent plus implicite que le simple subjectivisme : Il s’agit de l’anti-monisme. Le dualisme esprit / matière traduit en effet souvent chez l’intellectuel une surévaluation péremptoire de la complexité de sa propre conscience, de sa propre pensée, de son intelligence, que la complexité de la « nature » environnante ne saurait égaler…

Manque d’humilité disons-nous : Ajoutons pour terminer que c’est là la moindre des conséquences du révisionnisme petit-bourgeois dans la jeune histoire du matérialisme dialectique. Il n’échappe donc pas au diagnostic qu’Althusser proposait au sujet de la philosophie ; cette « lutte des classes dans la théorie »… avant de se retrouver lui même dans le camp adverse !

 

C.   Conclusion générale

 

Dépasser dialectiquement ce tabou de l’intelligibilité moniste du monde est une tâche particulièrement difficile : il s’agit d’admettre « humblement » que c’est l’histoire de la pratique scientifique qui détermine celle des idées et non l’inverse. Aussi riche soit-elle, toute la formation idéologique bourgeoise des intellectuels, même matérialistes, s’oppose à cette prise de conscience[29] et, quelle que soit sa forme dualiste, criticiste, nominaliste ou agnostique, le dogme métaphysique est aujourd’hui toujours aussi coriace qu’hier.

Pourtant, force est de constater que l’inexorable développement de la pratique scientifique ébranle régulièrement ce dogme de la communauté scientifique pour en installer des versions toujours plus raffinées, toujours plus implicitement « compromises » avec le matérialisme dialectique. Nous avons insisté sur l’extrême fragilité interne autant que sur la puissance anti-dialectique des théories de l’évolution qui se répartissent pour mieux les opposer métaphysiquement, les lois fondamentales de la dialectique. De cette contradiction facilement démasquée peut surgir une dissidence marxiste authentique dans la communauté scientifique. Cela ne veut pas dire qu’une telle dissidence doive apparaître nécessairement dans le contexte actuel…

D’une part, le fait que toutes les lois dialectiques soient pour ainsi dire réinventées (chacune à l’exclusion des autres) précisément par ceux qui devraient s’efforcer de les nier avec horreur, démasque aux yeux du marxiste honnête le caractère bourgeois de la science moderne tout en favorisant son engagement matérialiste dialectique.

D’autre part, cette facilité à démasquer les théories scientifiques actuelles n’est toutefois pas fortuite dans l’état actuel de la « lutte des classes dans la théorie » : elle montre à quel point sont faibles voire inexistantes les offensives marxistes actuelles sur ce front. Elle est le signe concret du degré d’impréparation des forces marxistes dans le milieu scientifique, qualitativement comme quantitativement.

 

En biologie, des thèses qui il y a dix ans suscitaient encore les foudres de l’orthodoxie sont aujourd’hui de plus en plus médiatisées, débattues avec force « démocratie », enseignées même, comme nous l’avons vu plus haut. La presse s’accorde à parler de plus en plus explicitement de « changement de paradigme », annonçant le triomphe d’une théorie improbable, baptisée dans la précipitation : « liberté biologique », « biologie intégrative », « théorie de la complexité », « synthèse évo-dévo », …

Ces théories sont en réalité, nous l’avons vu en détail, issues d’écoles bien différentes, plus opportunistes que véritablement unifiées. Nous avons également précisé en quoi il nous semble que la « liberté biologique » de Kupiec et Sonigo, la plus radicale, quoique tout aussi métaphysique que le dogme néo-darwinien, soit celle qui prévale dans le futur « paradigme » bourgeois.

C’est à travers cette crise de la biologie, où la puissance encore maladroite du futur paradigme émerge en s‘affranchissant chaque jour davantage du vieux dogme néodarwinien, que l’analyse marxiste bénéficie d’une richesse argumentative inégalée. Nous avons tenté une telle contribution, autant dans l’accusation du néo-darwinisme finissant, une fois expurgé (sans nihilisme aucun !) son noyau sain, que dans la critique du post-néodarwinisme naissant, théorie nouvelle, progressiste aujourd’hui (autrement dit bien plus matérialiste que la précédente) et qu’il faut soutenir, sans pour autant se faire d’illusions quant à son futur caractère réactionnaire et idéaliste…

 

Notre contribution ne s’arrête pas à cette analyse. Puisque c’est l’élargissement du cadre de validité du savoir par les progrès (et les échecs) scientifiques qui détermine le développement théorique au niveau supérieur, le matérialisme dialectique a aujourd’hui comme hier son « mot à dire » sur les connaissances actuelles de la biologie, élargies puis fortement relativisées depuis la révolution génétique des années soixante : quel est le cadre de validité des concepts fondateurs du néodarwinisme ?

La ré-appropriation de la théorie darwinienne par le matérialisme dialectique consiste en premier lieu à établir le nouveau cadre de validité du fameux couple hasard-sélection. Ce modèle qui jusqu’ici ouvrait la voie à toutes les spéculations indéterministes peut être en effet reconsidéré dans un cadre plus large, par une thèse déterministe qui est son contraire même. En posant l’« auto-conservation impossible » comme propriété fondamentale de la matière vivante, le hasard-sélection s’y subordonne en effet en tant que stratégie « conservatrice » parmi d’autres, aboutissant à son contraire, c’est à dire la création de nouvelles espèces.

Que le hasard prévale sur la micro-évolution reste tout à fait vrai, mais il faut ajouter qu’on ne saurait en produire aucune caution indéterministe générale, au sens où ce hasard devient une façon pour l’évolution de « détourner » ce qui détruit la vie au profit de ce qui la fait durer ! Le développement du vivant vole au mouvement destructeur qui l’anime ses propres « armes », la variation aléatoire en premier chef.

Voilà en quoi ce qui est vrai, et reste vrai, à l’échelle individuelle, devient en même temps la base d’une vérité plus générale tout à fait contraire. Notre démonstration est passée progressivement du niveau le plus simple de la matière vivante (cellule, hérédité cellulaire) à son niveau le plus complexe (écosystèmes, hérédité pluricellulaire), sachant qu’on ne saurait comprendre le développement du vivant qu’en examinant les causes historiques de son apparition primitive (auto-réplication moléculaire et contradiction de son extension spatiale – temporelle).

Pour ce faire, une théorie de la complexité a bien sa place dans ce modèle, non pas au titre d’explication ultime à laquelle toutes les autres seraient subordonnées, mais à celui de garantie scientifique de la direction historique et structurale de notre développement théorique en biologie de l’évolution. En quoi l’organisme pluricellulaire est-il en effet plus complexe ontologiquement que l’unicellulaire ? En quoi peut-on affirmer que la difficulté d’approche de l’un (chose pour nous) rend compte de sa complexité objective (chose en soi) par rapport à l’autre ?

Nous avons posé qu’une représentation donnée d’une chose est déterminée par une propriété que possède cette chose objectivement. Ainsi la complexité de la représentation scientifique d’un objet naît de la complexité des propriétés propres à cet objet. On dira qu’un objet est plus complexe qu’un autre (qu’il englobe) par le nombre de propriétés supplémentaires qu’il possède.

Mais la matière, qu’il s’agisse de l’objet simple comme de l’objet complexe, est pourtant toujours « inépuisable » (et non inconnaissable !), infiniment connaissable, au sens où elle possède une infinité de propriétés. Ce paradoxe n’est plus insurmontable, dans l’état actuel de la logique mathématique ; il est en effet tout à fait acceptable d’affirmer qu’un infini est quantitativement plus grand qu’un autre, même si cela heurte l’entendement ! De sorte que l’objet complexe peut être doué d’une infinité de propriétés plus grande que l’infinité des propriétés qui caractérisent l’objet simple.

Voilà en quoi la base théorique que nous proposons, axée sur la contradiction simple – complexe, n’est en rien assimilable à cette « théorie de la complexité » que claironne l’avant-garde scientifique dans tous les médias. Au lieu de spiritualiser l’inaccessible et universelle Complexité qui dominerait la matière, nous ne pouvons jamais parler du complexe sans parler du simple, ou du simple sans parler du complexe.

 

Le néo-darwinisme comme le post-néodarwinisme, sciences réductionniste/déterministe ou holiste/ indéterministe, sont contradictoires, opposées et qualitativement distinctes. Le premier agonise pendant que le second tâtonne encore. Ils n’en sont pas moins deux formes d’une même biologie bourgeoise, s’excluant mutuellement[30], idéalisant nécessairement toute découverte nouvelle dans la matière pour entretenir la domination idéologique bourgeoise avec et contre l’indispensable développement de la science.

Si, pour affirmer la supériorité théorique du matérialisme dialectique, nous distinguons science bourgeoise et science prolétarienne, ce n’est absolument pas au sens où l’indiquait Bogdanov, où dans une certaine mesure les lyssenkistes plus tard, c’est à dire comme une séparation manichéenne entre science bourgeoise fausse et science prolétarienne vraie, mais plutôt au sens où le passage historique de l’une à l’autre, en théorie comme en pratique, doit consister en un saut qualitatif, un « changement de paradigme » diront certains, au delà duquel la science prolétarienne niera la science bourgeoise tout en se fondant sur elle. L’histoire de cette science là, avec ses succès et ses erreurs, avec ses connaissances et ses déviations, commença avec Mitchourine et Timiriazev et s’interrompit en quelque sorte avec Lyssenko et Williams. Le présent essai est une contribution idéologiquement utile aujourd’hui, pratiquement utile demain, témoin de l’actuel temps mort de cette science « prolétarienne »[31].

Cette distinction choquait les intellectuels occidentaux de droite comme de « gauche », comble du « dogmatisme stalinien »… Grâce à Kuhn qui fait par ailleurs l’unanimité, elle perd aujourd’hui toute connotation polémique, pour peu qu’on se donne la peine d’étudier l’histoire des sciences, histoire aussi discontinue, aussi révolutionnaire, aussi prolifique et prometteuse que l’histoire des Hommes qui la détermine…

Août 2004.



[1] Althusser n’admet l’existence des crises scientifiques  qu’au niveau « idéologique », c’est à dire au niveau de « ce qu’on affirme dans la vulgarisation à partir des connaissances scientifiques », jamais au niveau du développement des connaissances elles mêmes, c’est à dire de « ce qu’on fait dire » à ces connaissances au moment de leur conceptualisation. Rappelons que malgré un certain embarras, il ne va pas jusque là pour ne pas « sombrer dans un dangereux discours ontologique »…

[2] A l’évidence les choses ont bien changé depuis les années soixante-dix. En biologie, cette perception est parfaitement réalisable aujourd’hui, pour qui peut se défaire des idéologies bourgeoises à la mode. Mais ce que nous découvrons s’avère embarrassant : Les théories biologiques se prêtent volontiers à une exploitation idéologique bourgeoise parce qu’elles ont été conçues et orientées dès l’origine en connexion constante avec l’idéologie bourgeoise.

[3] Précisons donc, et c’est là tout le problème : « les formes de la science elle-même ».

[4] Auteur de « Lyssenko », préfacé par Althusser, ouvrage dont il a été question dans le chapitre 4.

[5] C’est à ce genre d’analyse qu’on reconnaît l’approche idéaliste, subjective d’une crise par ailleurs tout à fait objective ; rien n’est dit sur les échecs, les déboires techniques et théoriques de la pratique biologique récente.

[6] Rappelons que déplacer la base du darwinisme du comportement moléculaire au comportement cellulaire consiste à attaquer les réductionnistes mécanistes en réinstallant un holisme vitaliste dans la théorie générale (la cellule est « vivante », la molécule non).

[7] Dans la mesure où ces deux sciences étaient elles mêmes inextricablement idéalistes à cette époque, on comprendra une fois de plus : réconciliation du matérialisme et de l’idéalisme.

[8] Qu’il ne faut donc pas comprendre comme une forme d’impérialisme de la physique sur les autres sciences de la nature, mais plutôt comme un tentative de rejet par la science de la tutelle philosophique, dont Lecourt parlait plus haut.

[9] Rappelons qu’Einstein, par ailleurs membre du Cercle, forgea une théorie de la relativité qui dut attendre plus d’un demi siècle pour être étayée par des observations.

[10] L’intersubjectivité étant le double honteux de l’objectivité moniste.

[11] Un théorie dont aucune expérience réalisable ne pourrait remettre en cause la validité, ne peut donc se prévaloir pour Popper, du titre de science.

[12] Ce retour est déjà lisible chez Popper ; Celui ci affirme que « les vues métaphysiques sont consubstantielles à la science »…

[13] Kuhn réhabilite Wittgenstein contre le physicalisme !

[14] Si la théorie des deux sciences, impardonnable péché des lyssenkistes, fait l’objet d’un refus catégorique de la part des intellectuels marxistes occidentaux dans les années soixante - soixante dix au nom d’un monisme inavoué, elle perdrait sans doute ce caractère hautement scandaleux aux yeux des jeunes idolâtres du « paradigme » !

[15] « La généralisation par le non doit inclure ce qu’elle nie (…) en fait, tout l’essor de la pensée scientifique depuis un siècle provient de telles généralisations dialectiques avec enveloppement de ce qu’on nie » (La philosophie du non, G.Bachelard, 1940).

[16] Et même par Dominique Lecourt dans « Bachelard ou le jour et la nuit, un essai du matérialisme dialectique ».

[17] Exemple typique ; l’usage à contre sens du théorème d’incomplétude de Gödel comme argument fondateur de l’hyper-relativisme moderne !

[18] C’est oublier un peu vite que la pensée « totalitaire » du Cercle de Vienne était jadis sujette aux foudres des nazis, que ces derniers transpiraient le nietzschéisme et l’heideggerisme, aujourd’hui sublimés par le post-modernisme… par le plus grand des hasards !

[19] Concepts abstraits comme objets concrets, tout est « construit social » et n’a d’autre existence que ce qu’en accorde modestement l’intersubjectivité.

[20] On manque de « finesse » intellectuelle quand on affirme qu’Heidegger était nazi. Ce militant du parti hitlérien était un philosophe si déroutant, si inclassable, qu’on aurait bien tort de lui « coller une étiquette » !! On oubliera de même chez Nietzsche son intarissable fiel antisémite et son culte du « surhomme »…

[21] Kurt Gödel démontre en 1931 qu’il existe des propositions indécidables, c’est à dire dont on ne peut décider si elles sont vraies ou fausses, dans toute théorie mathématique (le paradoxe du menteur qui dit « je mens »). Il faut pour décider de certains énoncés arithmétiques par exemple une « méta-arithmétique » qui transcende l’arithmétique. Tout énoncé auto-référent comporte potentiellement des effets paradoxaux dont on ne peut sortir qu’en élargissant (en relativisant) le champs axiomatique.

Aubaine pour les relativistes, qui en sortent par exemple ceci : « Il existe des assertions qui sont vraies et cohérentes, mais qui ne peuvent être dérivées d’un ensemble fini d’axiomes » (Briggs et Peat, L’univers miroir) –Gödel énonce l’inverse ; dans un ensemble fini d’axiomes, certains énoncés sont indécidables- Un énoncé « dont on ne peut dire s’il est vrai ou faux » qu’avec un cadre axiomatique plus large devient pour le relativiste (subjectiviste) un énoncé « qui n’est intrinsèquement ni vrai ni faux » ! Contresens évident de la dialectique relatif / absolu par confusion relatif / subjectif. Gödel n’a jamais annoncé que l’arithmétique par exemple n’était ni vraie ni fausse ; elle est vraie !

Notons que pour des philosophes plus sérieux, le théorème de Gödel fonde légitimement le réalisme (la matière existe objectivement) parce qu’il repose sur … le criticisme (on ne peut la connaître) ! Ainsi, pour J.Petitot, « Je partage pour ma part la thèse de Gödel selon laquelle de tels résultats d’incomplétude et de limitation plaident en faveur d’une réalité des objets mathématiques, d’une manière certes paradoxale en apparence, mais plus fine que la thèse platonicienne naïve. La réalité dont il s’agit est très particulière. Elle est définie par son inaccessibilité même et non par son existence substantielle. Il est essentiel de se convaincre qu’il y a en effet deux manières de définir une réalité transcendante : ou bien par son extériorité matérielle, ou bien par son inaccessibilité informationnelle. Le platonisme en question ici est non naïf. C’est en quelque sorte un platonisme négatif » (Science et Philosophie, pour quoi faire ? Le Monde Edition) : Raffinement ultime de l’idéalisme objectif de Kant…

[22] « Transgresser les frontières : Vers une herméneutique transformative de la gravitation quantique », Social Text printemps-été 1996 p 217-252.

[23] Debray était un « marxiste » célèbre dans les années 70. Guevariste, il théorisait alors à l’extrême gauche sur la guérilla révolutionnaire. Mitterrandiste actif dans les années 80, il fut ensuite un collaborateur multicarte du gouvernement chiraquien.

[24] Bricmont a co-écrit le livre référence de Sokal ; « Impostures intellectuelles ».

[25] Réponse au mécanisme, effectivement métaphysique, de pseudo-marxistes tels que Bogdanov par un contre-argument diamétralement opposé, mais posé comme un postulat, ou plutôt comme un contre-postulat donc tout aussi métaphysique !

[26] En réalité, admettre que le caractère idéaliste ou matérialiste d’un énoncé est identifiable par le philosophe, que cette identification correspond même à sa « pratique philosophique », c’est admettre que les positions matérialistes auxquelles on se réfère pour tracer ces démarcations, aussi floues soient-elles, sont objectivement fondées (théorie matérialiste dialectique avec des principes énonçables). Chez Althusser, cette « Théorie », à laquelle il se référait d’ailleurs au début, devient tellement implicite, anecdotique, inutile concrètement qu’elle mute en un matérialisme « vide » de tout concept, à l’intérieur duquel aucune pratique concrète n’est plus légitimement permise.

[27] Voir le livre collectif intitulé « Contre Althusser », 1974, éditions 10/18, auquel Brohm a participé.

[28] Témoin le présent essai, incrustation de la biologie moderne dans la dialectique matérialiste par des découvertes que les classiques n’auraient jamais soupçonné : Il montre secondairement la prédictibilité (donc la scientificité) des lois de la dialectique.

[29] Un exemple parmi beaucoup d’autres, célèbre ; celui d’Einstein. Choqué par l’impossibilité non seulement pratique mais aussi théorique, d’une matière privée de mouvement dans l’univers, résultat pourtant fondamental de sa théorie relativiste, Einstein inventa de toute pièce une « constante cosmologique » rendant possible au moins théoriquement l’immobilité de la matière, contournant ainsi l’inacceptable découverte ! Pendant qu’il se débattait avec les incohérences d’une telle correction, Hubble observait quant à lui l’expansion de l’univers… C’est bien malgré lui qu’Einstein se résigna à rejeter cet artifice de sa Relativité générale quelques années plus tard…

[30] C’est d’ailleurs cette exclusion mutuelle qui rend le saut qualitatif hérédité cellulaire/hérédité pluricellulaire incompréhensible par les uns et les autres…

[31] Il est évident que le qualificatif « prolétarien » n’a de sens que face à la science bourgeoise. La science promue par le socialisme accompagnera ensuite le développement d’une société sans classe, donc sans prolétariat…