Chapitre 7 : Une impossible synthèse

Ce que nous disent les programmes officiels d’enseignement en SVT

 

 

« La théorie de l’évolution est elle-même encore très jeune et il est par conséquent hors de doute que les recherches ultérieures doivent modifier très notablement les idées actuelles, y compris celles qui sont strictement darwiniennes, sur la marche de l’évolution des espèces »

Engels. Anti-Dühring

 

La biologie officielle lutte sur deux fronts. Sur l’un, elle doit faire face à une crise théorique qui l’assiège avec la dernière vigueur (chapitres 2 et 3). Sur l’autre, il lui faut sans cesse réaffirmer ses positions contre l’imminence d’une synthèse matérialiste de plus en plus facile à effectuer (chapitres 5 et 6) … Synthèse dont elle fournit bien malgré elle toutes les clefs !

Manifestement le néodarwinisme n’a plus l’initiative dans cette « guerre »… Comment peut-il tenir sur ces deux fronts sans perdre la face ? Comme nous l’avons déjà montré, il a perdu d’avance, et nous n’irons pas chercher bien loin la preuve de cet échec annoncé ; elle saute aux yeux des enseignants du second degré qui ont suivis les changements de programme depuis les années quatre-vingt. A chaque réforme, le retard de l’enseignement sur la recherche s’amenuise : Dans tous les domaines de la biologie les contradictions s’intensifient et la recherche en expose instantanément toutes les impasses, pendant que l’enseignement piétine, pris en tenaille entre la nécessité d’une métamorphose et l’impossibilité d’officialiser des théories alternatives trop dissidentes… Il est hors de question d’enseigner aux élèves autre chose qu’une science sûre d’elle même, assise sur des bases solides et objectives ! Notons par exemple que les manuels de SVT se distinguent fondamentalement des manuels de Physique-Chimie par l’absence absolue de références à l’histoire des sciences ! (Ceux de Physique-Chimie au contraire en font un usage massif et régulier).

Dans ce contexte, rédiger les nouveaux programmes de Sciences de la Vie et de la Terre doit être une corvée particulièrement ingrate ; On peut tenir les élèves à l’écart des contradictions qui menacent le néodarwinisme, encore faut-il épargner aux enseignants eux mêmes les dangereuses prises de conscience. Ainsi les stratégies changent nécessairement de programme officiel en programme officiel, sous des formes chaque fois moins raffinées, chaque fois plus visibles. Nous n’aurons aucune peine à disséquer ces curiosités qu’on impose aux lycéens depuis l’an 2000.

La démonstration s’appuiera essentiellement sur une comparaison des anciens et nouveaux programmes de la filière scientifique en Sciences de la Vie et de la Terre (première et terminale S) : ce sont d’excellents indicateurs de l’état de la biologie officielle sur ses deux fronts de lutte. Dans l’enseignement comme dans la propagande scientifique bourgeoise en général, la stratégie repose sur trois axes ; 1) réécrire l’histoire des sciences en la purgeant de toute polémique, pour réaffirmer les principes fondamentaux du néodarwinisme, 2) modérer, voire taire les notions les plus orthodoxes pour consolider dans sa forme l’impérialisme de la génétique moléculaire en biologie, 3) passer l’indéterminisme en fraude, à la stupéfaction des enseignants qui n’ont été ni prévenus ni préparés, quitte à exposer au grand jour de monstrueuses contradictions théoriques. Ces axes sont eux mêmes parfaitement contradictoires.

 

A.   Réécrire l’histoire

 

a.      Ignorer Darwin…

 

L’histoire des sciences n’a jamais été enseignée en SVT au lycée, et pour cause… Il n’est pas question de gaspiller le précieux temps des futurs bacheliers avec la question des idéologies scientifiques ! D’un manuel scolaire à l’autre, on trouvait parfois dans les années quatre-vingt, des hagiographies sur Mendel ou Morgan, rarement sur Darwin. Mais les programmes officiels d’alors n’y faisaient jamais référence[1].

Il y a plus étonnant concernant Darwin. Si le mendélo-morganisme est enseigné depuis les années soixante dix, la science de l’évolution, question centrale de la biologie depuis la fin du XIXe siècle, n’apparaît dans les programmes que dans les années quatre-vingt dix. Elle n’est abordée pratiquement que depuis 2001… Aujourd’hui paradoxalement, les anecdotes concernant les grands découvreurs ont totalement déserté les manuels scolaires. Plus les notions scientifiques sont affirmées, plus leurs auteurs sont effacés[2].

C’est hors du lycée que les élèves ou les étudiants découvriront comment Darwin a révolutionné la biologie ! Sa théorie elle même ne s’est pas implantée dans les programmes sans difficultés. Totalement ignorée dans les textes antérieurs, elle apparaît timidement dans les années quatre-vingt dix.

 

Ancien programme de TS

(B.O. hors série n° 6 du 9 juin 1994)

Nouveau programme de TS

(B.O. hors série n° 5 du 30 août 2001)

 

En initiant aux mécanismes, encore largement hypothétiques, de l’évolution biologique, [cette partie de programme] aide à comprendre la dynamique de la biodiversité. (…)

L’évolution est la seule explication scientifique qui rende compte des constats : unité, diversité du monde vivant et changements ayant lieu au cours des temps géologiques.

L’évolution implique une filiation entre les espèces ; les espèces actuelles dérivent d’ancêtres communs plus ou moins éloignés dans le temps ; une origine commune à toutes les espèces est hautement probable.

 

Les êtres vivants partagent des propriétés communes (structure cellulaire, ADN, modalités de la réplication et de l’expression des gènes, code génétique). Ces propriétés traduisent une origine commune.

L’état actuel du monde vivant résulte de l’évolution. Toutes les espèces vivantes actuelles et toutes les espèces fossiles sont apparentées mais elles le sont plus ou moins étroitement.

 

Avant d’être un fait scientifique, l’évolution n’était donc qu’une « hypothèse hautement probable »… En revanche la manière d’amener cette notion a quelque peu changé. Dans l’ancien programme on insiste sur l’unité du monde vivant aux niveaux morphologique, embryologique et moléculaire,  impliquant l’origine commune des espèces actuelles. Dans le nouveau programme, c’est la diversité des espèces actuelles et anciennes qui prévaut, impliquant des relations de parenté hiérarchisées entre elles. Le cladisme, suggéré dans l’ancien programme par une phrase finalement effacée lors des allègements à la fin des années quatre-vingt dix, est aujourd’hui la méthode reine de mise en évidence de l’évolution.

Le cladisme est une méthode formaliste assez récente qui quantifie les caractères homologues « dérivés » (comprendre « évolués ») partagés ou non au sein d’un ensemble donné d’espèces actuelles. Le « principe de parcimonie » commande le choix de l’arbre phylogénétique le plus probable parmi toutes les hiérarchies de parenté possibles entre les espèces de ce groupe ; on retient l’arbre qui suppose le plus petit nombre d’innovations successives, l’apparition simultanée d’une même innovation structuralo-fonctionnelle sur des branches évolutives indépendantes étant considérée comme fortement improbable[3].

Par conséquent, les nœuds réunissant plusieurs branches ne correspondent plus à des « ancêtres communs » (ancien programme) mais à des « ancêtres communs théoriques ». De plus, l’imperfection des restes fossiles connus, les inévitables lacunes correspondant aux espèces fossiles non encore découvertes, le caractère subjectif enfin, du choix des caractères homologues utilisés, impose à cette méthode un relativisme assumé.

 

 

Ancien programme de TS

Nouveau programme de TS

 

Des relations de parenté entre les êtres vivants peuvent être proposées à partir de l’étude de caractéristiques morphologiques, anatomiques et embryologiques d’organismes actuels et fossiles.

La recherche des parentés s’appuie également sur des comparaisons, au niveau moléculaire, de séquences de gènes homologues ou de produits de l’expression de ces gènes.

 

L’établissement de relations de parenté entre les vertébrés actuels s’effectue par comparaison de caractères homologues (embryonnaires, morphologiques, anatomiques et moléculaires). Les comparaisons macroscopiques prennent en compte l’état ancestral et l’état dérivé des caractères.

Seul le partage d’états dérivés des caractères témoigne d’une étroite parenté. Ces relations de parenté contribuent à construire des arbres phylogénétiques. Les ancêtres communs représentés sur les arbres phylogénétiques sont hypothétiques, définis par l’ensemble des caractères dérivés partagés par des espèces qui leur sont postérieures ; ils ne correspondent pas à des espèces fossiles précises. Une espèce fossile ne peut être considérée comme la forme ancestrale à partir de laquelle se sont différenciées les espèces postérieures.

 

 

Du point de vue philosophique, nous savons à quel point il est facile de passer d’un relativisme aussi fécond qu’inévitable, à un subjectivisme particulièrement délétère en science. Ainsi, l’enseignant affirme que l’évolution est un fait, mais glisse très facilement du caractère éternellement hypothétique de toute construction cladiste au caractère  fondamentalement hypothétique de la notion même d’évolution : certes c’est un fait scientifique, mais il est indémontrable…

Ernst Mayr lui même ne s’y est pas trompé. Pour lui comme pour la majorité de ses collègues néodarwiniens, le cladisme, produit d’importation de l’« idéalisme allemand » destiné à contrarier l’« empirisme anglo-saxon », doit être rejeté. Cette polémique est d’ailleurs loin d’être close ; le cladisme doit être rejeté parce qu’il donne de l’évolution une image subjectiviste, abstraite et finalement anti-darwinienne, au sens où il passe sous silence la notion primordiale d’adaptation des espèces à leur milieu. Cette omission n’est pas fortuite. Dans un premier temps, les auteurs du programme se réclament ouvertement de Darwin lorsqu’ils avancent la théorie cladiste, même si ce dernier n’est pas cité dans le programme. Une conférence préparatoire[4] au sujet du nouveau programme en  fait  état : « La cladistique est un « enfant de Darwin ». On lit dans l’Origine des Espèces « Le système naturel est fondé sur le principe de descendance avec modification. Les caractères que les naturalistes considèrent comme montrant une pré-affinité entre deux ou plusieurs espèces sont ceux qui ont été hérités d’un parent commun par conséquent toute la classification est généalogique. La communauté de descendance est le lien caché que les naturalistes ont cherché inconsciemment et non quelques plans inconnus de création. » Dans cette citation de Darwin, on retrouve les notions de parenté, de temps, de mort des espèces et d’ancêtre hypothétique commun. Le problème est de passer du concept de généalogie au concept de parenté (pas de confusion entre généalogie et lien de parenté). » Autrement dit, on cite un texte anti-finaliste de Darwin qui n’a rien à voir avec l’indéterminisme cladiste, on en tire la notion clef de généalogie, puis on déclare que le cladisme équivaut au rejet même de cette notion !

Dans un second temps, et parallèlement à l’officialisation du cladisme, méthode formaliste et indéterministe, les notions polémiques de sélection naturelle, de compétition et de spéciation allopatrique disparaissent[5].

 

Ancien programme de TS

Nouveau programme de TS

 

Les innovations génétiques peuvent se traduire ou non dans le phénotype. Si certaines mutations sont neutres, d’autres s’expriment et peuvent même avoir des conséquences importantes, surtout si ce sont des gènes du développement qui sont touchés.

La sélection naturelle, s’exerçant sur des populations soumises à des conditions de milieu différentes, privilégie la conservation des allèles ou associations alléliques favorables dans les conditions écologiques du moment.

(exploitation de documents relatifs à un exemple ancien (concurrence édentés-autres mammifères lors de la liaison Amérique du nord – Amérique du sud, concurrence marsupiaux – placentaires au quaternaire). (…)

La spéciation ou naissance d’espèces nouvelles à partir d’une espèce mère implique l’isolement reproductif entre les populations de l’espèce mère considérée.

 

 

Les innovations génétiques sont aléatoires et leur nature ne dépend pas des caractéristiques du milieu. (…)

Les innovations génétiques peuvent être favorables, défavorables ou neutres pour la survie de l’espèce.

Parmi les innovations génétiques seules celles qui affectent les cellules germinales d’un individu peuvent avoir un impact évolutif.

Les mutations qui confèrent un avantage sélectif aux individus qui en sont porteurs ont une probabilité plus grande de se répandre dans la population.

Des mutations génétiques peuvent se répandre dans la population sans conférer d’avantage sélectif particulier (mutations dites neutres).

Des mutations affectant les gènes du développement peuvent avoir des répercussions sur la chronologie et la durée relative de la mise en place des caractères morphologiques. De telles mutations peuvent avoir des conséquences importantes.

 

Si on retrouve la notion d’avantage sélectif, celle de sélection naturelle n’est plus identifiable. La sélection naturelle s’exerçait sur des populations comme action conservatrice (ectogenèse), ce sont aujourd’hui les mutations qui agissent sur des individus en leur conférant un « avantage sélectif » (autogenèse) ! Dominés par le neutralisme, les mécanismes darwiniens de l’évolution laissent une large place à la variabilité individuelle aléatoire et finalement à l’autogenèse indéterministe, tout en réaffirmant les notions weismanniennes de lignée germinale et d’indépendance vis à vis du milieu.

La recherche aurait-elle été trop rapide ? A peine l’évolution biologique fait-elle irruption dans les programmes que Darwin est déjà renvoyé au placard ! Amputée de sa notion de sélection naturelle, la théorie darwinienne subsiste dans les termes d’une variabilité individuelle qui intéresse la génétique plus que la science de l’évolution. On censure donc le problème de l’adaptation des organismes à leur milieu : Désormais divorcée de la génétique des populations, la génétique moléculaire assumera seule la tâche d’expliquer l’évolution biologique. C’est à force de taire son inaptitude à remplir cette mission que les notions hétérodoxes des post-néodarwiniens avanceront masquées dans les programmes.

 

b.      … Honorer Mendel et Morgan

 

Le programme de spécialité ne consacre pas moins de dix semaines, soit un tiers de l’année scolaire, au chapitre d’histoire des sciences intitulé « Des débuts de la génétique aux enjeux actuels des bio-technologies ». Pourtant, à la différence des deux autres thèmes de spécialité, celui ci ne comporte dans le Bulletin Officiel aucune introduction, aucun texte explicatif préalable. Mieux ; aucun lien avec un quelconque chapitre du programme de tronc commun, aucune transversalité avec les programmes d’histoire ou de philosophie enseignés[6] en Terminale S.

 

Thème 2. Des débuts de la génétique aux enjeux actuels des biotechnologies (10 semaines)

Activités envisageables

Notions et contenus

 

Réalisation d’une dissection florale en relation avec la technique expérimentale de Mendel. Observation d’un fruit et d’une graine.

 

Analyse d’expériences relatives au monohybridisme et au dihybridisme dans la perspective des travaux de Mendel.

 

 

Constat du parallélisme entre le comportement des chromosomes et celui des facteurs héréditaires.

 

Etude des résultats de croisement chez la drosophile dans le cas de l’hérédité liée au sexe et interprétation des résultats dans le cadre de la théorie chromosomique.

 

Réflexion sur la valeur heuristique d’une théorie scientifique.

 

 

Localisation de trois gènes sur un chromosome à partir de données expérimentales

 

 

Digestion de l’ADN par des enzymes de restriction et électrophorèse.

 

(…)

Les début de la génétique : Les travaux de Mendel (1870).

Les travaux de Mendel reposent sur une analyse quantitative d’expériences d’hybridation chez les plantes. Novateurs dans leur méthodologie, ces travaux visaient à obtenir des hybrides stables. Dans une contexte scientifique où les gènes n’étaient pas connus, ils ont apporté une rupture conceptuelle :

a.      réfutation de la notion d’hérédité par mélange,

b.      introduction du concept d’hérédité particulaire avec ségrégation indépendante des facteurs héréditaires.

La compréhension des travaux de Mendel repose sur la connaissance des principes de la reproduction sexuée des végétaux.

La théorie chromosomique de l’hérédité.

La redécouverte des lois de Mendel et les découvertes dans le domaine de la cytologie à la fin du XIXe siècle conduisent à l’émission de la théorie chromosomique de l’hérédité (1903) par deux cytologistes et à l’invention du mot gène.

Les travaux de Morgan sur la Drosophile entre 1910 et 1920 corroborent la théorie chromosomique à partir de données expérimentales. Cette théorie, qui contient les notions d’hérédité liée au sexe, de liaison génique et de recombinaison, permet d’expliquer certains cas qui échappent aux lois de Mendel. Cette théorie a permis d’établir en 1920 les premières cartes génétiques et la notion de gène (unité de fonction, de recombinaison, de mutation).

L’avènement de la biologie moléculaire : Une nouvelle rupture.

La nature chimique du gène (ADN-double hélice), la relation gène-protéine, les modalités de l’expression génétique, notions déjà étudiées dans les programmes de seconde et de première, doivent être replacées dans une perspective historique. Elles ne sont pas au programme en tant que telles.

La révolution technologique du début des années 70.

L’utilisation des enzymes de restriction ouvre la voie du clonage des gènes et de leur séquençage. En contribuant à une évolution importante du concept de gène et de la perception du polymorphisme, elle fait entrer la génétique dans l’ère des biotechnologies.

(…) [OGM, dépistage, thérapie génique]

 

Incongruité flagrante, simplisme suspect, voilà un chapitre particulièrement étrange aux yeux des élèves comme à ceux des enseignants. En somme, Mendel et Morgan n’auront jamais été si honorés dans les lycées que depuis le désaveu public du mendélo-morganisme dans la presse scientifique et les laboratoires de recherche !

Remarquons ici deux points importants. 1) Le choix des hommes à qui on rend hommage, à travers un récit totalement néo-positiviste. 2) La réactualisation de quelques notions fondamentales de la génétique moléculaire, réinvesties, rebaptisées, révisées même selon le goût du jour.

Constatons tout d’abord qu’aucun généticien critique voire dissident vis à vis du mendélo-morganisme n’est cité dans ce récit. Par suite, pas un des manuels scolaires publiés depuis n’y fera référence[7]. Aucune polémique donc, exceptée celle que lança Mendel lui même contre les partisans de l’« hérédité par mélange ». Rien sur Goldschmidt, rien sur Mac Clintock… rien sur le problème des macromutations, pourtant omniprésent depuis le programme de seconde jusqu’à celui de TS !

Si les travaux de Mendel marquent une « rupture » dans l’histoire des conceptions de l’hérédité, Morgan en sera le continuateur triomphant. En revanche, on ne comprend pas bien en quoi  la  génétique

moléculaire marque une « nouvelle rupture » par rapport au mendélo-morganisme ! Cette étonnante perspective se rapporte évidemment au schéma du paradigme kuhnien ; La notion de rupture est aujourd’hui incontournable en histoire des sciences, mais la biologie souffre d’un grave déphasage par rapport à l’épistémologie moderne… Les auteurs de ce programme tiennent à annoncer ces « ruptures » comme garantie de scientificité, mais ils ne peuvent pour autant se résoudre à relativiser leur mendélo-morganisme à l’heure où il trône encore au sommet de l’édifice scientifique officiel.

C’est une contradiction implicite qui amène les auteurs à offrir les gages d’une humilité scientifique propre à séduire les sensibilités indéterministes alors même qu’ils tentent de réaffirmer brutalement, maladroitement même, les piliers conceptuels du mendélo-morganisme : formalisme (« analyse quantitative ») et réductionnisme idéaliste (« notion de gène »)… La « perspective historique » à travers laquelle on valorise les travaux successifs de Mendel, Morgan, Monod est en réalité celle d’un progrès continu ouvrant la voie aux « triomphes » récents de la biotechnologie… Si cette position tout à fait positiviste s’accommode mal du processus cyclique paradigme / révolution scientifique cher à Thomas Kuhn, c’est la « valeur heuristique » des théories scientifiques qui sauve sinon leur objectivité, du moins leur authenticité scientifique ; une théorie est condamnée à rester subjective mais elle a toujours une valeur explicative qui justifie sa légitimité. Tel est le néo-positivisme maladroit du mendélo-morganisme proposé aux élèves.

Par quelques détours sémantiques, le déterminisme réductionniste « un gène-un trait » devient une très humble « hérédité particulaire », formule minimale mais finalement toujours réductionniste, le dogme central devient une timide « relation gène-protéine », dont on tait l’unilatéralité polémique, la notion de gène enfin n’est plus brandie comme une explication totale, mais devient de façon restrictive et empirique, une « unité de fonction, de recombinaison, de mutation »… impossible à taire, l’unité de fonction est alors diluée, mais nous ne sommes pas dupes. Aucune de ces trois redéfinitions empiriques ne tient plus aujourd’hui (cf. chapitre 1)…

Peut-on concéder finalement cet échec théorique ? Oui, à condition qu’un tel échec soit dénué de conséquence : ainsi, la génétique moléculaire « contribue à une évolution importante du concept de gène ». Ceci est à la fois une contre-vérité historique, si on passe Kupiec et Sonigo sous silence, et une flagrante hypocrisie ; aucun manuel scolaire n’appuie, ne fut-ce que par un seul exemple anecdotique, cette notion exigible du programme ! Extrême prudence : Les élèves doivent quitter le lycée avec l’idée que la notion de gène a fortement évolué, mais il faut absolument leur cacher en quoi consiste cette évolution… La présente analyse nous évitera d’être étonnés d’une telle inconséquence.

On remarquera ici l’absence des termes jadis surexploités de programme génétique, de dogme central (le mot « dogme » passe très mal aujourd’hui !), d’information génétique, de déterminisme génotypique, … Les auteurs s’en tirent à bon compte. Le document d’accompagnement au programme de TS, réservé aux enseignants, commente : « C’est un moment privilégié pour aborder la nature des théories scientifiques : ce ne sont pas des réalités découvertes, mais des constructions intellectuelles qui reflètent l’idée que l’on se fait de la réalité à un moment donné de l’histoire des sciences. Les concepts scientifiques sont réfutables ; ils sont confrontés en permanence aux faits d’observation et aux résultats expérimentaux. La science construit son objet d’étude et ne se contente pas d’accumuler des observations. » La chose est donc annoncée ; nous nageons dans le poppérisme le plus vulgaire, oubliant au passage que Popper s’est précisément employé à démonter la notion d’évolution biologique pour construire sa théorie de la réfutabilité !

Si on se place du point de vue du lycéen, le récit proposé offre tous les arguments du mendélisme qui furent lumineusement confirmés puis élargis par Morgan, par Monod, jusqu’à jeter les bases d’une technologie efficace au plus haut point, tout en avançant une version humble et relativiste du progrès scientifique au niveau conceptuel. Ignorant tout des réelles polémiques qui firent régulièrement et justement obstacle au mendélo-morganisme, comment notre lycéen peut-il ne pas être séduit par cette science univoque qui présente son triomphe avec une extrême modestie qu’apparemment rien ne justifie, qui se donne tant de mal à relativiser des découvertes dont l’objectivité est si flagrante ! Voilà un habile tour de passe-passe… qui peut encore tenir le temps que le mendélo-morganisme achève son agonie !

Si ce chapitre d’histoire des sciences est une manne pour notre analyse, il ne faut pas oublier pour autant qu’il est marginal. Il l’est dans le programme de spécialité, dont la plupart des élèves de terminale, non-spécialistes, ne bénéficient pas. Il l’est plus encore vis à vis du programme de tronc commun qui précisément se distingue par une scrupuleuse discrétion idéologique. Avançons néanmoins que ce dernier répond à grande échelle et implicitement, aux axes qui déterminent le présent chapitre ; éviter toute contre-argumentation ouverte à la théorie néodarwiniste d’une part, passer en fraude l’indéterminisme par des sous-entendus permanents en contradiction flagrante avec les anciens programmes d’autre part.

 

B.   Un pas en avant : L’élan indéterministe

 

a.      Sur l’évolution

 

Dès l’ancien programme, la question de l’évolution biologique passe par une forme non-polémique de la théorie neutraliste. On envisageait la notion de mutation neutre comme le pivot d’une démonstration gradualiste : Les gènes évoluent par accumulation de mutations neutres jusqu’à l’acquisition éventuelle et accidentelle d’une nouvelle fonction. Une phrase contenant les notions de duplication génique et de gène homéotique[8] coexistait avec ce modèle orthodoxe comme si la juxtaposition micro-évolution / macro-évolution n’avait jamais été problématique.

 

Ancien programme de TS

Nouveau programme de TS

Les mutations jouent un rôle fondamental et sont à l’origine des différents allèles d’un gène ; typiquement spontanées, non orientées, elles interviennent avec une faible fréquence mais peuvent toucher de nombreux gènes et devenir plus nombreuses sous l’influence de certains facteurs du milieu.

Des duplications géniques peuvent intervenir et une évolution divergente des duplicata produits peut expliquer l’apparition de gènes nouveaux. (…)

Si certaines mutations sont neutres, d’autres s’expriment et peuvent même avoir des conséquences importantes, surtout si ce sont des gènes homéotiques qui sont touchés.

Au sein du génome d’une espèce, les similitudes entre gènes (familles de gènes) sont interprétées comme le résultat d’une ou plusieurs duplications d’un gène ancestral. La divergence des gènes d’une même famille s’expliquent par l’accumulation de mutations. Dans certains cas, ces processus peuvent conduire à l’acquisition de nouvelles fonctions.

Les innovations génétiques sont aléatoires et leur nature ne dépend pas des caractéristiques du milieu.

Des mutations génétiques peuvent se répandre dans la population sans conférer d’avantage sélectif particulier (mutations dites neutres).

Des mutations affectant les gènes homéotiques peuvent avoir des répercussions sur la chronologie et la durée relative de la mise en place des caractères morphologiques.

 

Le nouveau programme reprend cette juxtaposition, mais en mettant l’accent sur l’indépendance des innovations génétiques vis à vis du milieu ; avancée significative de l’indéterminisme donc, malgré la similitude des notions abordées. Parallèlement, l’alibi neutraliste ouvre désormais la voie à une officialisation du saltationnisme modéré de Jean Chaline. Il y est déjà question des (trop) difficiles notions d’hétérochronie et de macromutation[9]. L’enseignement de la théorie des « horloges du vivant » que  notre renégat saltationniste vient à peine de réactualiser apparaît comme un pari sur ce que deviendra la théorie de l’évolution dans un avenir proche. Rappelons que Chaline est le premier à affirmer que la théorie synthétique n’est pas vraiment néodarwiniste ! La stratégie des auteurs se précise…

D’une façon générale, l’accent est mis sur le caractère anti-déterministe des thèses anti-finalistes qu’on suggère aux élèves. Ainsi par exemple, ce chapitre est l’occasion d’une mise au point digne du plus grand intérêt. Hervé Le Guyader indique au cours de la conférence citée plus haut : « Le concept d’échelle des êtres, lié à la notion de progrès, est toujours présent : il faut démontrer que ce concept est faux. Exemples d’idées fausses : Les mammifères sont mieux que les reptiles / Parmi les mammifères, les primates sont les meilleurs / Parmi les primates, l’Homme est à placer au sommet / … Ce concept d’échelle des êtres entraîne deux choses : La finalité (tout est fait dans un but donné) contre la notion de contingence. » Commentant le chapitre concernant la lignée humaine, le même conférencier tombe plus loin dans un humanisme bioéthique des  plus  naïfs : « L’échelle  des  êtres  est une  source  scientifique  de racisme. Cela est du à nouveau, à une confusion entre généalogie et parenté. (…) On ne doit pas considérer une industrie moins bien qu’une autre [!]» Nous sommes ici dans le « tout se vaut » condamné faute de dialectique, à faire de l’antiracisme ethniste et « différencialiste » (conseillant par exemple très « respectueusement » aux pays économiquement sous-développés de rester ce qu’ils sont !)… De même, on indique dans le document d’accompagnement au programme de TS : « Il convient d’aller à l’encontre d’un certain nombre d’idées fausses (vision linéaire de l’évolution, finalisme et anthropocentrisme conduisant à décrire l’évolution biologique comme une série de perfectionnements aboutissant à l’Homme, persistance du concept de fossile vivant,…). » On retient donc du saltationnisme non son contenu anti-gradualiste mais ses innovations idéologiques très en vogue sur le caractère aléatoire de l’évolution et le rejet de la notion de progrès. Ce document précise que « les notions de convergence et de réversion », incompatible avec l’évolution aléatoire, comme « la présentation et la discussion des différentes théories de l’évolution » ne doivent pas être abordées… Obscurantiste, cette position n’en est donc pas moins inconfortable ! On note plus loin « Cette partie du programme est une ouverture intellectuelle [ !]. Elle a pour but d’envisager des hypothèses explicatives de l’évolution des espèces. La complexité des relations possibles entre mécanismes de l’évolution et génétique est telle qu’il est impossible d’en donner une vision d’ensemble ou des mécanismes explicatifs. » Cruel aveu aux enseignants, qu’on épargnera sous cette forme un peu brutale aux élèves eux mêmes !

Point intéressant : On voit poindre au delà de certaines notions officielles indéterministes, des modèles bien plus polémiques, de type post-néodarwinien… Parmi les sujets proposés aux élèves de terminale S pour l’évaluation des capacités expérimentales de fin d’année, on trouve par exemple un thème traitant explicitement des thèses d’Anne D’ambricourt Malassez. Cette bête noire du néodarwinisme actuel, antidarwinienne très critique vis à vis de la génétique moléculaire (voir chapitre 3), est citée dans le contexte des mécanismes de l’hominisation ; problématique qui se départit désormais des explications réductionnistes habituelles… En travaux pratiques, les protocoles de comparaison des crânes du chimpanzé et de l’Homme font référence à la théorie des transformations de D’arcy Thompson… Bien entendu ces références sont tacites, très loin d’une officialisation au cœur même des programmes. Plus implicites encore, les modèles d’inspiration « sonigienne » font irruption dans les manuels scolaires, de façon parfaitement anonyme mais aussi très significative…

 

b.      Sur la génétique

 

Arrêtons-nous donc sur la notion de spécificité moléculaire ; tantôt implicite, tantôt explicite, son désaveu est l’événement de loin le plus visible et le plus choquant aux yeux des enseignants aujourd’hui.

Depuis les années soixante-dix, on enseigne aux étudiants en biologie les dogmes authentiques de la génétique moléculaire. Les futurs enseignants y sont formatés dans l’esprit d’une stéréo-spécificité omnipotente, notion centrale et paradigmatique du réductionnisme génétique, rayonnant dans toutes les disciplines biologiques :

-          En biochimie ; Toute réaction enzymatique suppose une parfaite coaptation structurale entre l’enzyme et son substrat. L’enzyme présente une structure tridimensionnelle fixe, spécifique d’un seul substrat donné. Le complexe enzyme-substrat renvoie à l’image « clef-serrure ».

-          En cytogénétique ; Le gène code une enzyme à fonctionnalité hautement définie. Son expression est contrôlée par des enzymes inhibitrices ou activatrices reconnaissant spécifiquement la séquence nucléotidique de ce gène.

-          En immunologie ; La production d’anticorps dirigés contre tel type d’antigène, reconnu comme n’appartenant pas aux molécules du « soi », est prédéterminée génétiquement. La spécificité structurale anticorps-antigène répond au modèle « clef-serrure ».

-          En neurologie ; Un neurone communique avec son voisin par des neurotransmetteurs. Ces derniers sont captés par des récepteurs membranaires spécifiques au niveau du neurone post-synaptique, toujours selon le modèle « clef-serrure ».

-          En endocrinologie ; A une hormone correspond toujours un récepteur moléculaire spécifique, initiant la réponse cellulaire au signal hormonal. On retrouve le modèle « clef-serrure ».

-          En physiologie végétale, matière la plus rétive à ces dogmes, on calque le modèle « clef-serrure » des hormones animales sur le mode d’action pourtant très polyvalent de l’auxine, des cytokinines, des gibbérellines… « hormones » végétales.

Le dernier et l’avant dernier programme regorgeaient de « spécificité » à toutes les échelles. Voyant dans cette logique une vertu particulièrement pédagogique, les auteurs des manuels scolaires de l’époque surenchérissaient avec les schémas de complémentarité structurale entre molécules spécifiques. Toute molécule organique figurait sous la forme d’une pièce de puzzle coïncidant avec une ou plusieurs autres pièces. Ainsi des bases complémentaires de l’ADN, des complexes enzyme-substrat, anticorps-antigène, ou encore neurotransmetteur-récepteur membranaire. Ce type de schématisation est vite devenu une routine pour les enseignants en SVT, et l’élève qui savait manier correctement cette notion obtenait les meilleures notes.

A l’étonnement général, il n’est quasiment plus question de spécificité dans les nouveaux programmes. Témoin le chapitre typique d’immunologie en terminale S ; figurant en bonne place dans le programme précédent, il était question pendant la période d’élaboration du nouveau programme de le supprimer purement et simplement, au prétexte que les autres chapitres y prenaient déjà trop de place. Après consultation des professeurs, majoritairement convaincus de l’utilité de l’immunologie en terminale, on décida au dernier moment de le sauvegarder… mais dans quel état ?

L’ancien programme préconisait un usage quasi-systématique du terme d’« immunité spécifique », regroupant tous les mécanismes immunitaires liés à la reconnaissance spécifique des antigènes. On doit aujourd’hui parler d’« immunité acquise », notion vague, équivoque, surtout destinée à taire une polémique sans avoir à s’en justifier. Faire référence aux « caractères acquis » avec une telle insouciance, en immunologie (« évolution du phénotype immunitaire ») comme en endocrinologie (« évolution du phénotype sexuel » par exemple), c’est revenir sur des décennies de martèlement mendélo-morganiste sans pouvoir cacher une inhabituelle faiblesse théorique !

On passe ainsi accidentellement d’une notion fortement mécaniste, celle d’immunité spécifique, à celle d’immunité acquise, ancrée dans une conception générale de l’évolution, du processus, du mouvement…

De l’ancien au nouveau chapitre d’immunologie[10] (fig.9), on passe d’un texte résolument tourné sur les notions de reconnaissance spécifique et de distinction stricte du « soi » et du « non-soi », exempt par ailleurs de celles de caractère acquis et d’influence du milieu, à un texte qui ne fait plus référence à la distinction « soi / non-soi », très peu à l’immunité spécifique et souvent aux caractères acquis et à l’environnement… Ce n’est pas une coïncidence, loin de là. Avançons deux preuves facilement identifiables.

Premièrement, la même évolution caractérise le chapitre de génétique178 en première S ; la notion d’« information génétique » n’y est quasiment plus citée. La métaphore du « programme génétique », vieux réflexe de biologiste, a totalement disparu. Les références à la stéréo-spécificité se sont raréfiées de façon significative. En revanche, les notions d’influence du milieu sur la formation du phénotype est fortement mise en avant ! Elle était complètement passée sous silence dans l’ancien programme.

Deuxièmement, un article de correction du programme, publié tardivement au Journal Officiel du 7 août 2002, supprime sèchement deux des douze références à la notion tabou : « Dans la partie intitulée I.7. Immunologie : (…) la phrase « les lymphocytes T cytotoxiques sont aussi des effecteurs de l’immunité

spécifique » est remplacée par « les lymphocytes T cytotoxiques sont aussi des effecteurs de l’immunité acquise ». Le titre du paragraphe « les lymphocytes T4, pivots des réactions immunitaires spécifiques » est remplacé par « les lymphocytes T4, pivots des réaction immunitaires acquises ». » Ce nettoyage théorique n’a donc rien de gratuit. On ne trouvera pourtant dans aucun Journal Officiel de justification ou d’allusion à ces directives.

Dans le document d’accompagnement aux programmes en revanche, on se montre un peu plus explicite : « La distinction classique entre immunité non spécifique et immunité spécifique est obsolète. En effet, de nombreuses cellules du système immunitaire dites non-spécifiques interagissent avec leur cible grâce à des récepteurs membranaires qui présentent un certain degré de spécificité. Les récepteurs des cellules dites spécifiques sont des récepteurs qui peuvent subir au cours de la réaction immunitaire une modification de leur structure qui améliore leur capacité de reconnaissance de l’antigène. La distinction entre immunité à médiation cellulaire et immunité à médiation humorale, certes classique, est source de confusion dans l’esprit des élèves. » Pourquoi ne pas l’avouer ; dans l’esprit des professeurs aussi ! Mais la mauvaise foi revient vite : « Compte tenu du temps imparti à l’étude de cette partie, des concepts majeurs de l’immunologie ne sont pas étudiés » Par le plus grand des hasards, ces concepts « majeurs » aujourd’hui proscrits sont précisément ceux qui décrivent les mécanismes de l’immunité spécifique !

Dans le chapitre de génétique en première S, on retrouve la même pudibonderie théorique (fig.9) : Le document d’accompagnement réaffirme les bases de l’enzymologie orthodoxe : « La notion de site actif, résultant de la structure spatiale de la protéine, est précisée : on distingue site de reconnaissance, en liaison avec la spécificité de substrat, et site catalytique, en liaison avec la spécificité d’action. », mais dresse plus loin la liste des notions interdites… ce sont précisément celles qui permettent d’appréhender la spécificité moléculaire dans le détail : « L’étude de l’allostérie, l’étude des coenzymes, la discussion sur les limites de la spécificité des enzymes, la nature des liaisons enzyme-substrat au niveau du site actif. » C’est avec le même goût du paradoxe que ce document commente la partie relative à l’expression génétique. Nous sommes loin des notions exigibles de l’ancien programme : « La notion de gène morcelé, le contrôle de la transcription [tabou sur les facteurs spécifiques influençant l’expression génétique], la maturation des ARN [mystère de la commande génétique hypercomplexe de cette maturation], la maturation et le devenir des protéines [tabou de la relation unilatérale un gène – une protéine], la notion d’ARNt [tabou sur les mécanismes du code génétique lui même], la structure du ribosome » sont désormais interdites ! Il s’agissait pourtant des découvertes les plus fondamentales de la génétique moléculaire !… L’auteur du texte s’offre une confession que le programme officiel ne peut encore se permettre : L’un des « objectifs [de ce chapitre] est de montrer la complexité des relations entre génotype et phénotype et de casser l’idée d’un déterminisme strict entre allèle et phénotype macroscopique ». Luxe bien modeste finalement ; rien ne permet encore de nettoyer cette confession du mot « strict » !

 

Réductionnisme

Indéterminisme

Information gén.

Programme gén.

Spécificité

Environnement

Milieu

Génétique, ancien programme de IeS. 713 mots

10 fois

2 fois

3 fois

0

0

145 mots : 20%

94 mots : 13%

0%

Génétique, nouveau programme de IeS. 353 mots

2 fois

0

2 fois

5 fois

1 fois

29 mots : 8%

19 mots : 5%

73 mots : 20,6%

 

Distinction soi / non-soi

Immunité spécifique

Environnement

Acquis

Immunologie, ancien programme de TS. 770 mots

14 fois

16 fois

0

0

378 mots : 49%

0%

0%

Immunologie, nouveau

progr. de TS. 1290 mots

10 fois

0

4 fois

8 fois

162 mots : 12,6%

198 mots : 15,3%

 

Fig.9 ; Changement implicite de paradigme du nouveau programme de SVT (Lycée).

 

Une comparaison des manuels scolaires de l’ancien et du nouveau programme montre à quel point les auteurs sont désappointés devant cette schizophrénie théorique (fig.10). Qu’il s’agisse des anticorps ou des neurotransmetteurs par exemple, les schémas de molécules sont  de  plus  en  plus  fantaisistes.  On  les classera en trois catégories, qui peuvent d’ailleurs coexister dans un même manuel ; 1) les schémas typiques dans lesquels figurent des molécules spécifiques de type « puzzle », 2) ceux qui sont contraires à ce modèle, figurant des molécules dont les formes sont volontairement inadaptées deux à deux, 3) ceux enfin, qui évitent pudiquement les représentations simplistes pour représenter des molécules sans convexité ni concavité mais censées se coller les unes aux autres sans raison apparente. Certaines molécules ne se distinguent même plus par leur dessin mais par leur couleur !

            Dans les années 1980, la première catégorie fait incontestablement l’unanimité. Dans les années 1990, la troisième catégorie apparaît mais reste fortement minoritaire, tandis que la deuxième est tellement marginale qu’on la dira accidentelle. Aujourd’hui, les deuxième et troisième catégories dominent dans la plupart des manuels.

            Manifestement les manuels scolaires ont beaucoup de peine à suivre l’élan indéterministe imposé par les nouveaux programmes… Parallèlement au développement marginal des schémas contraires à la norme de représentation (qu’ils soient maladroits ou volontaires, c’est à dire destinés à heurter les idées reçues sur la question), les schémas orthodoxes cèdent en partie la place à des schémas qui évitent de représenter les molécules au moment précis de la reconnaissance, voire de représenter ces molécules elles-mêmes ! On ne dira pas pour autant que les schémas orthodoxes sont rares, bien au contraire (41%). Renversement théorique non assumé… mais très éloquent ! [voir en annexe la liste des manuels étudiés et quelques schémas typiques des trois catégories distinguées ici]

Fig.10 ; Développement d’une contradiction dans la représentation de la stéréospécificité dans les nouveaux manuels scolaires.

 

L’indéterminisme a désormais le champ libre, profitant d’une crise du réductionnisme pour décréter du même coup la fin du déterminisme. Cet assaut que nous avons mis en évidence dans le chapitre 3 doit être l’objet de toute notre attention. Il faut savoir discerner le juste développement du holisme, à travers la résurrection opportuniste de la cybernétique (Kupiec, Sonigo, Atlan) et celui de l’indéterminisme qui en reste inséparable… faute de matérialisme dialectique. Ce développement apparaît dans les programmes sous son aspect indéterministe, jamais sous son aspect holiste. Là se tient le blocage que nous voulons mettre en lumière. Rappelons ceci : la génétique moléculaire réductionniste est née d’une forme de la cybernétique initialement holiste. Si sa relativisation dans les programmes ne fait aucun doute aujourd’hui, la cybernétique holiste ne refait pas surface en tant que telle[11].

En conséquence, le vide théorique s’épaissit, mettant la biologie officielle dans une situation instable et contradictoire, mais ponctuellement intéressante ; celle d’une tentation inavouée, inconsciente, latente du matérialisme dialectique…

 

C.   Deux pas en arrière : Un darwinisme honteux

 

a.      Appauvrissement théorique des programmes officiels

 

Les programmes officiels explicitent un certain nombre de notions exigibles que les élèves doivent s’approprier. En matière de génétique, on peut distinguer et compter celles qui relèvent de la génétique formelle (Mendel), de la cytogénétique (Morgan), de la génétique moléculaire (Monod), de la génétique des populations (Mayr) et de la génétique du développement. Rappelons que la « nouvelle synthèse évo-dévo », stade ultime auto-proclamé de la génétique réductionniste, interprétant l’embryogenèse et l’évolution à la lumière de ces « gènes homéotiques » si prometteurs, est au cœur de la tourmente dans la crise actuelle de la biologie. A l’exception de cette dernière, tous les aspects historiques de la génétique se présentent aujourd’hui sous une forme « restreinte », ayant perdu progressivement un certain nombre de leurs notions-clefs, tout en conservant les plus fondamentales (fig.11).

Des années 80 aux années 90 puis aux années 2000, la génétique formelle perd les notions de facteur héréditaire, de carte factorielle, de codominance, et même les fameuses lois de Mendel (leur formulation exacte). La cytogénétique de Morgan perd de nombreux éléments descriptifs de la biologie cellulaire, gagne entre temps les notions weismanniennes de lignées somatique et germinale, perd finalement la plupart des éléments descriptifs fondamentaux pour ne retenir que le strict nécessaire à l’appui de la génétique formelle. Le mendélo-morganisme est ainsi dilué, mais conserve son cadre explicatif général [voir liste des notions en annexe].

Fig.11

Evolution du nombre de notions relatives aux différentes branches historiques de la génétique sur les trois derniers programmes de SVT (première et terminale S).

 

Parallèlement à cette lente restriction des notions mendélo-morganistes pures, on assiste pendant les années 90 au développement des notions relatives à la génétique moléculaire puis à son déclin dans les années 2000, marquant le célèbre retard de l’enseignement sur la recherche. Remarquons que le programme des années 90 correspond en fait, à travers la multiplication des notions, à leur renouvellement qualitatif. Les notions les plus mécanistes du programme des années 80 sont partiellement effacées (mécanismes précis de la synthèse protéique par exemple), remplacés par les notions moins déterministes du néo-connexionisme (programme génétique, codage, information génétique, message). Quelques unes de ces notions seront effacées dans le nouveau programme, mais on retrouve les notions essentielles du dogme néo-connexionniste.

La génétique des populations enfin se développe parallèlement, mais plus lentement : 14 notions dans les années 90 contre une seule dans les années 80. Les notions se raréfient déjà dans le nouveau programme avec 10 notions seulement. C’est à l’essor de la génétique du développement que nous assistons, avec une lenteur plus évidente encore, entre l’ancien (3 notions) et le nouveau programme (6).

 

Développement et déclin de ces disciplines successives n’ont donc pas la même intensité. Le mendélo-morganisme décroît lentement, comme la génétique moléculaire, tandis que la génétique du développement, objet pourtant de tous les espoirs, ne se développe pas avec la vitesse attendue…

En additionnant toutes les notions de génétique à travers ces trois périodes, la baisse de régime du renouvellement théorique est très net : on passe d’un total de 66 à 81 notions dans les années 90, puis à 68 notions seulement aujourd’hui ! (fig.12)

Si le développement qualitatif et quantitatif de l’enseignement de la génétique entre les années 80 et 90 n’a rien d’étonnant, son déclin dans le nouveau programme surprend en revanche. En effet, dans la même période, une partie de l’enseignement de géologie prise au hasard, celle qui concerne la convergence lithosphérique, connaît un développement parfaitement continu : On conviendra que la géologie est un refuge théorique « neutre » dans le domaine de la recherche comme dans celui de l’enseignement !

 

En comparant les listes de notions exigées par les trois programmes de génétique [voir annexe], on remarquera qu’il s’agit moins d’une évolution qualitative, portée par des notions moins nombreuses mais plus complexes, que d’une baisse quantitative quasi-exclusive des notions enseignées. Deux conclusions s’imposent. 1) Cette baisse est le signe du malaise des scientifiques face aux échecs de leur modèle théorique jadis triomphant, 2) le mendélo-morganisme est encore loin du désaveu total ; les notions les plus fondamentales du modèle, à l’exception de la stéréo-spécificité que nous avons traitée précédemment, résistent à cette purge, elle même lente à venir par ailleurs…

 

Parallèlement à l’élan indéterministe évident qui marque les nouveaux programmes, la biologie officielle se trouve contrainte, faute de théorie alternative acceptable, de faire deux pas en arrière en réaffirmant ses valeurs réductionnistes obsolètes, mendélo-morganisme d’une part, génétique moléculaire d’autre part.

Fig.12 ; Evolution cumulée du nombre de notions relatives à la génétique et évolution du nombre de notions relatives à un chapitre idéologiquement neutre de géologie durant la même période.

 

b.      Position atypique, instable, décisive

 

Avant de clore ce chapitre sur le point le plus important, un détour par l’enseignement de philosophie s’impose. Les trois derniers programmes ne se sont pas succédés sans heurts dans cette discipline. Depuis les années 80 jusqu’en 2001, l’avant dernier texte proposait un thème sur « le vivant », comportant des réflexions plutôt matérialistes sur l’évolution, sans doute influencées par la cybernétique, et même des textes de Darwin. En 2001, un nouveau programme fut proposé : Toujours des éléments d’épistémologie générale … mais plus aucune référence à la biologie en particulier. Hasard ?

Signalons que Luc Ferry, dirigeant la rédaction des programmes avant d’accéder au poste de ministre chiraquien de l’Education Nationale, est l’un des soixante-quinze membres de la « Fondation Saint-Simon », célèbre et puissant lobby français composé de journalistes, de grand patrons et d’intellectuels de droite et « de gauche éclairée ». Pape du néodarwinisme, François Jacob est par ailleurs le seul biologiste membre de ce Think Tank. Entre les petits fours et les coupes de champagne, les réflexions idéologiques que nos deux compères n’ont pas manqué d’échanger ont dû inspirer, en partie au moins, les nouveaux programmes de lycée.

Contre cette version 2001, ouvertement politisée, la lutte des professeurs de philosophie a en partie payé ; deux ans plus tard, un nouveau programme leur est finalement soumis. Ce dernier est apparemment moins polémique[12], bien qu’il confirme l’inévitable officialisation d’auteurs réactionnaires tels que Karl Popper et Annah Arendt.

Trônant parmi les plus grands, d’Aristote à Marx en passant par Descartes et Kant, nous retrouvons Ferry se citant lui même (indirectement bien sûr) dans certains manuels. Les mains salies par la mièvrerie de ce médiocre « philosophe », l’élève de terminale trouvera plus loin des textes de Jacob, au chapitre concernant les sciences de la nature… En effet le « vivant », naguère effacé, réapparaît dans la version 2003. Importance des titres dans les textes officiels : on passe ici d’un chapitre modestement intitulé « Le vivant » avant 2001, au très éloquent « La matière, le vivant et l’esprit » ! On imagine comment y sont traités les couples de notions exigibles de « cause/fin, contingent/nécessaire, essentiel/accidentel, formel/matériel, objectif/subjectif »… Bien entendu, rien n’est dit sur le darwinisme en tant que tel, moins encore sur la génétique. Seule préoccupation apparente : réconcilier matérialisme et idéalisme !

Rien de bien nouveau donc, si ce n’est le caractère de plus en plus explicite de l’idéologie dominante. Si la biologie refait surface dans le programme de philosophie, pour enfoncer le clou de l’indéterminisme et bannir  une  fois  pour  toutes  le  « finalisme »,  rien  n’aidera  l’élève  à  porter  un  regard  critique  sur l’enseignement de SVT. Ce regard critique apparaît pourtant aujourd’hui plus qu’hier de toute première importance…

Pourquoi le programme de terminale S en SVT est-il si atypique ? Reprécisons les termes de la contradiction qui le travaille : 1) Du point de vue strictement théorique, les auteurs du programme doivent rendre compte de connaissances sur une matière vivante qui procède dialectiquement, en dressant entre elles des cloisons « métaphysiques » ; la génétique est la génétique, l’embryologie est l’embryologie, etc. Telle est la « stratégie » de la science bourgeoise. Si le courant néopositiviste du XXe siècle cherchait, vainement, les instruments d’une lutte contre la métaphysique, dans la « physicalisation » très formaliste de la biologie à l’intérieur des sciences de la nature, dans la « génétisation » de toutes les disciplines à l’intérieur de la biologie elle-même, sa forme ultime d’obédience kuhnienne, enregistrant le reflux de la génétique moléculaire, traduit le grand retour de la métaphysique en sciences, encourageant les biologistes à une sorte de néo-vitalisme improbable. 2) Du point de vue pédagogique, une bonne « progression » se doit de tracer un fil directeur à travers les chapitres d’une année scolaire, même si ces derniers n’ont apparemment rien de commun.

Dans l’ancien programme, cette contradiction est peu marquée. En effet, un matérialisme néopositiviste fortement teinté de mécanisme fait suite au triomphe de la cybernétique néo-connexionniste dix ans plus tôt dans le domaine de la recherche. La crise de la génétique ne fait que poindre et l’introduction au programme officiel multiplie les allégeances au « programme génétique » et invite au culte du « mécanisme », qu’il s’agisse de biologie ou de géologie (la « machine-Terre »). Le fil directeur est donc tout trouvé ; ce sera l’omnipotence du réductionnisme mécaniste.

 

Pour les sciences de la vie : En seconde, le programme comporte la mise en évidence de différents niveaux d’organisation du vivant (écosystème, organisme, cellule) et l’étude de l’organisation fonctionnelle des êtres vivants, sous la dépendance de leur programme génétique et des facteurs du milieu. En première S, l’enseignement implique la mise en jeu cohérente des concepts de programme génétique, de transformation de la matière, de flux d’énergie. Les acquisitions en chimie permettent d’élucider les mécanismes cellulaires et la manière dont ils contribuent à assurer l’identité de l’individu et le métabolisme, ainsi que ceux qui interviennent dans les cycles de matière et le flux d’énergie au niveau des écosystèmes, et finalement de l’écosystème Terre. En terminale S, l’étude des mécanismes de la reproduction sexuée, à l’origine de la diversité génétique des individus, s’appuie sur les connaissances acquises en classe de première à propos de la nature du matériel génétique et des modalités de son expression, ainsi que de la relation entre génotype et phénotype ; l’étude du fonctionnement intégré de l’organisme s’appuie sur les connaissances relatives à la communication acquises en classe de seconde ; l’étude de l’évolution biologique s’effectue en liaison avec celles des milieux et de la géosphère.

Pour les sciences de la Terre : Les concepts fondamentaux sur lesquels ont été bâtis les programmes des trois niveaux se rapportent à : la singularité de la planète Terre au sein du système solaire et la dynamique des milieux interfaces entre géosphère et biosphère en classe de seconde ; la dynamique, externe et interne, de la « machine-Terre », liée à des apports et des pertes énergétiques pour la classe de première ; les changements géologiques et les modifications de la biosphère au cours du temps en classe terminale.

La double progression, en sciences de la vie d’une part, en sciences de la terre d’autre part, souligne les interactions biogéologiques : appréhension, en seconde, de supports proches, limités, accessibles (sol, gisement d’eau) ; extension surtout dans l’espace, en première, jusqu’au niveau de la planète avec les cycles biogéochimiques ; extension, en terminale, plus largement dans le temps et dans l’espace, avec l’histoire de la terre et l’évolution biologique.

Le programme comporte cinq parties qui peuvent être abordées dans un ordre différent, à condition que soit assurée une progression cohérente. Les quatre premières parties concernent les sciences de la vie. La première, unicité génétique des individus et polymorphisme des espèces, prolonge l’étude du programme génétique des êtres vivants réalisée en première. La compréhension de l’unicité des organismes et du polymorphisme des espèces passe par celle des mécanismes de la transmission de l’information génétique et prépare l’étude de l’évolution. La deuxième partie, mécanismes de l’immunité, permet de réinvestir et d’élargir les acquis précédents et ceux de première sur le programme génétique. Elle apporte en particulier une illustration de son expression polymorphe et une explication du maintien de l’intégrité du soi au niveau moléculaire. La troisième fonde la compréhension de quelques aspects du fonctionnement des centre nerveux sur l’étude des mécanismes à la base des propriétés des neurones et réseaux neuroniques. Elle s’appuie sur l’étude de la motricité somatique. La quatrième porte sur le fonctionnement d’un système de régulation, à l’échelle de l’organisme, dans le cas des taux d’hormones sexuelles mâles et femelles.

La cinquième partie associe sciences de la terre et de la vie dans un même thème général : histoire géologique et évolution biologique. Ce thème est l’aboutissement logique des études qui, en classe de seconde, situent notre planète au sein du système solaire et, en classe de première, abordent les manifestations internes et externes de la dynamique terrestre. Il permet d’esquisser la fresque des grandes étapes de l’histoire de la terre, grâce à l’étude des modifications de sa surface et au constat des transformations de la biosphère.

BO spécial n°6 du 9 juin 1994

 

Il en va tout autrement du nouveau programme. Un fil directeur fédérera t-il des chapitres aussi différents que l’évolution biologique, la géologie, l’immunologie et l’endocrinologie sans mécanisme réductionniste ?

Par un heureux « hasard », c’est dans ce contexte que nous retrouvons la dialectique. Attention : L’introduction au nouveau programme de TS est loin d’une apologie du matérialisme dialectique ! Elle est précisément l’illustration concrète de l’impossibilité/nécessité d’une conversion de la science bourgeoise au matérialisme dialectique. L’illustration du caractère à la fois salutaire et délétère de la position actuelle anti-réductionniste/anti-déterministe. La voici :

 

Notre planète, tant en ce qui concerne la géosphère que la biosphère présente deux propriétés d’apparence contradictoire : stabilité et variabilité. Cette contradiction se résout par la prise en compte de la dimension temporelle. L’un des objectifs du programme de la classe de terminale est de fournir un modèle dynamique de la Terre aux élèves ayant opté pour la filière scientifique. Ce modèle, pour être complet, prend en compte l’évolution au cours du temps du système global terrestre : enveloppe fluide (abordées en classe de seconde), enveloppes solides (définies en première) et êtres vivants.

Le monde vivant présente une unité structurale et fonctionnelle mais aussi une très grande diversité ; cette diversité lui permet de se maintenir globalement au cours du temps et de s’étendre dans l’espace. Ainsi, la stabilité de la biosphère s’accompagne de la variabilité des espèces (évolution), la stabilité de l’espèce s’accompagne de la variabilité des individus (procréation, génétique), la stabilité de l’individu s’accompagne de la variabilité de certains de ses constituants (par exemple le système immunitaire). Comprendre l’évolution biologique et géologique de la planète requiert la capacité d’identifier des moments remarquables dans l’histoire de la terre, de les ordonner, d’évaluer leur âge et de mesurer les durées qui les séparent.

Approche du temps en biologie et en géologie : L’objectif de cette [présentation] est d’introduire le programme, de lui donner du sens, d’en faire percevoir le fil directeur et la logique. Il s’agit plus précisément de conduire les élèves à s’interroger sur les différentes échelles de temps utilisées pour comprendre l’évolution conjointe de la planète et de la biosphère. Cette introduction s’appuie sur le perception empirique du temps qu’ont les élèves. Elle ne constitue en aucun cas une liste de contenus ou de notions exigibles au baccalauréat. Toutefois, si une notion utilisée dans l’introduction est reprise dans une autre partie du programme, elle pourra alors faire l’objet de questions à l’examen, ces questions se cantonnant exclusivement aux contenus et respectant les limites de la partie du programme correspondante. Les indications ci-dessous ne sont que des propositions.

Comment la planète actuelle s’est-elle construite au cours du temps ? Son fonctionnement a t-il toujours été conforme à l’actuel ou s’est-il modifié au cours du temps ? Quels sont les évènements majeurs qui jalonnent cette histoire ? Quand se sont-ils produits ? Comment peut-on les dater ? Comment peut-on apprécier leur durée ? Sur quels critères notamment temporel, peut-on définir la stabilité ou la variabilité d’un individu, d’une chaîne de montagne, d’une molécule, d’une espèce, d’un domaine océanique ? Quelles sont les durées caractéristiques d’existence d’un individu, d’une chaîne de montagne ? Les modifications de la planète et de ses habitants sont-elles continues ou discontinues ?

Méthodes et supports envisageables : Repérer sur une frise du temps les grands évènements déjà abordés au cours des classes précédentes en sciences de la vie et de la terre. Par une recherche documentaire, faire construire une frise du temps en y plaçant les évènements couramment évoqués dans la presse scientifique. Parmi les évènements clés intéressants, on peut citer sans les développer, les exemples suivants : La formation de la terre, l’apparition de la vie, l’apparition d’une atmosphère oxydante, la mise en place de la tectonique des plaques, l’apparition du premier eucaryote, etc.

Faire classer les grands évènements biologiques et géologiques selon leur durée. Faire naître un questionnement sur le mode d’appréciation de la durée des phénomènes. Discuter sur un exemple de la continuité ou discontinuité d’un phénomène selon l’échelle de temps utilisée pour le décrire. Discuter sur un exemple de la stabilité ou de la variabilité d’un objet, d’un mécanisme, etc. en fonction de la durée de son observation. Parmi les « objets » et « mécanismes » dont on peut apprécier la durée : la planète Terre, une chaîne de montagne, une période glaciaire, une espèce, un individu, une cellule, etc.

BO hors série n°5 du 30 août 2001

 

Premier constat : Plus aucune trace des notions de programme génétique ou d’information génétique. Le terme de « mécanisme » lui même ne revient plus qu’en tant que vieille habitude encore mal combattue, quand il n’est pas tout simplement entre guillemets. En revanche, un consensus s’établit autour des notions de « temps », de « durée », d’« évolution »… voilà donc, très explicitement, le nouveau fil directeur !

 

Introduction au programme de TS

Avant

Après

Programme génétique

Mécanique

4

0

Information génétique

1

0

Mécanisme

6

2

Machine

1

0

Evolution

Dialectique

5

4

Temps

2

10

Continuité/discontinuité

0

2

Durée

0

7

 

TOTAL

12 mécanique

7 dialectique

2 mécanique

23 dialectique

 

Fig.13 ; Le rejet du mécanisme provoque l’apparition de la dialectique dans les textes officiels.

 

Les deux premières phrases du présent texte sont étonnement claires. Elles invitent à une approche presque ouvertement dialectique de la matière, qu’elle soit vivante ou non ! La métaphysique vitaliste semble donc provisoirement renvoyée au placard. Considérant la matière dans son évolution, cette introduction qui jette la trame du programme annuel fait plus encore ; elle omet du même coup et sans justification ce mécanisme qui traversait les anciens programmes avec le ton de l’évidence.

Si certains formateurs IUFM font du « temps » le pivot central d’une progression idéale, d’autres lui préfèrent carrément le concept central de « contradiction » ! Comme entraînés contre leur gré par cet élan dialectique complètement inédit, les auteurs du programme passent même de la notion de contradiction à celle de continuité/discontinuité ! Arrive t-on au saut qualitatif ? Bien sûr que non. Mais rien n’empêche plus un enseignant marxiste de l’enseigner légitimement ! (fig.13)

Modérons toutefois notre enthousiasme… Les « deux propriétés » que « présentent notre planète, tant en ce qui concerne la géosphère que la biosphère » ne sont qu’« apparemment contradictoires », même si le texte qui suit atteste la réalité de cette contradiction. De plus, on affirme naïvement que « cette contradiction se résout par la prise en compte de la dimension temporelle » : Cette prise en compte ne peut être que saluée, même si, rappelons-le, elle est incroyablement tardive, mais la dimension temporelle ne saurait être la clef d’une réelle compréhension des évolutions géologiques et biologiques. On cherche à expliquer une contradiction antagoniste évidente par l’évolution elle même, c’est à dire son effet. On cherche en somme à élucider un miracle… alors que cette contradiction est précisément le moteur, la cause nécessaire de l’évolution !

Ainsi renversée, la démonstration n’a aucune chance d’appeler un jour le secours du matérialisme dialectique, moins encore d’aboutir à de nouvelles connaissances réelles… Et nous retrouvons la vieille « perception empirique » qui fera primer des aspects secondaires, comme la distinction des échelles de temps, sur l’aspect principal du problème…

Prolongeant la recherche officielle, l’enseignement est ainsi un puissant révélateur des blocages de l’idéologie dominante. Par delà la contradiction anti-déterminisme/anti-réductionnisme, qui explique les tentations dialectiques plus ou moins explicites des Tort, Jacob, Gros, Gould, Kupiec et Sonigo, etc., les aveux implicites des auteurs du programme pourraient à la rigueur convaincre aujourd’hui des esprits jadis réfractaires au marxisme, mais sont surtout pour nous, par leur caractère implicite même, autant de preuves de ces « honteuses » tentations et de leur échec annoncé.



[1] Les anciens programmes sont appliqués depuis 1992 pour la classe de Seconde, 1993 pour la IeS, 1994 pour la TS. Ils marquent la fusion de la TC, spécialisée en mathématiques et en physique-chimie, et de la TD spécialisée en biologie-géologie (SVT), en une seule Terminale S avec option de spécialité : un programme de tronc commun est enseigné à tous les élèves de TS, les spécialistes SVT bénéficient d’un programme complémentaire tourné sur les bio-technologies. Les nouveaux programmes sont appliqués depuis 2000 pour la  Seconde, 2001 pour la IeS, 2002 pour la TS.

[2] Exception faite de Mendel et Morgan dont les travaux font l’objet d’un chapitre spécial et autonome réservé à l’enseignement de spécialité.

[3] Une prise en compte lucide des dernières découvertes paléontologiques rend cette « évidence » indéterministe (innovations « accidentelles ») de plus en plus discutable. Voir la conclusion du chapitre précédent.

[4] Document de synthèse communiqué aux enseignants de SVT. Mars 2002. Conférence sur le nouveau programme dirigée par Hervé Le Guyader, professeur des universités, laboratoire de développement et d’évolution. Paris 6.

[5] Notons que le paragraphe concernant la sélection allopatrique a disparu avec les allègements quelques années avant l’application du nouveau programme !

[6] Le programme de philosophie comporte bien un chapitre concernant l’évolution biologique que nous commenterons plus loin, mais en aucun cas la génétique.

[7] Seul Hugo De Vries, fondateur d’un mutationnisme critique vis à vis du darwinisme, est souvent cité… mais seulement en tant que re-découvreur des travaux de Mendel.

[8] Un nouveau gène apparaît par duplication accidentelle d’un gène ; tandis que le gène d’origine continue à fonctionner, le duplicata évolue discrètement au fil des générations, sans fonction d’abord, pour enfin acquérir éventuellement une nouvelle fonction. Les gènes homéotiques, encore appelés gènes « architectes », organisent les étapes spatio-temporelles de l’embryogenèse et de l’organogenèse.

[9] Un processus de duplication-divergence détermine, lorsqu’il affecte un gène homéotique, de profondes restructurations anatomiques par dérèglement des « horloges génétiques ». On parle alors de macromutation.

[10] Le rejet actuel du mécanisme est détectable jusqu’au titre de ces chapitres. « Les mécanismes immunitaires » devient un sobre « Immunologie ». « Edification de l’organisme, maintien de son identité biologique et information génétique » passe à la formule contraire « Du génotype au phénotype ; relation avec l’environnement » ! [Voir les textes officiels en annexe].

[11] Même si le vocabulaire cybernétique semble ponctuellement réhabilité, avec les notions de « servomécanisme » et d’« homéostat » en physiologie sexuelle (Programme de Terminale S, 2002).

[12] Par exemple, les nouveaux manuels ne comportent plus de textes de l’ultralibéral Friedrich Von Hayek, comme c’était le cas dans les précédents.