Chapitre 6 : Hérédités et pression désorganisatrice

Théorie dialectique de l’hérédité

 

 

« On peut y arriver [à la conception dialectique de la Nature] par les faits accumulés de la science de la Nature ; On y arrive plus aisément si l’on porte au devant du caractère dialectique de ces lois la conscience des lois de la pensée dialectique. »

F.Engels (Dialectique de la Nature).

 

 

 

Si l’approche dialectique donne à l’histoire de la vie un cadre descriptif cohérent qui rend à l’évolution darwinienne sa nécessité fondamentale, bien au delà du simple mécanisme hasard/sélection, elle consiste à effectuer un renversement théorique de la génétique instructionniste, c’est à dire à bâtir partant d’elle les instruments de sa propre négation dialectique (A).

En nous conformant à ce que préconise Engels, c’est à dire en portant la « conscience des lois dialectiques au devant du caractère dialectique de ces lois », nous nous sommes départis de l’écueil empiriste consistant à juxtaposer des concepts à valeur descriptive sans tenter d’en identifier les interactions objectives. Nous en tirerons ici les conséquences : Authentifier l’existence d’une contradiction objective opposant hasard et sélection naturelle, inscrire le moteur de l’évolution non dans cette « opposition » à caractère métaphysique, c’est à dire exclusivement dans l’un ou l’autre de ses termes, mais dans le dépassement dialectique de leur contradiction dynamique (B).

 

A.   Les bases génétiques d’ une théorie dialectique de l’hérédité

 

C’est de la notion de gène telle qu’elle fut définie par Crick et ses coreligionnaires, que naît la génétique moléculaire dans les années cinquante, en même temps qu’un renouvellement de la conception vitaliste selon laquelle la vie au sens large tient moins aux lois matérialistes de la chimie qu’à celles de l’« information », de la « stéréospécificité », du « programme ».

Dans l’option (la nôtre) qui consiste à poser pour objectif malgré leur interprétation les résultats de nos chers praticiens, nous avons vu à quel point il est facile de la couvrir d’une dangereuse téléologie ; Cette molécule « est produite pour », cet organe « sert à », ce gène « code » tel caractère… Que de dérives naissent de telles métaphores ! Résumons les.

Problème des finalistes : Si chacun de nos organes concourre à un rôle précis dans l’organisme (stocker les sucres pour le foie, assurer l’oxygénation du sang pour les poumons) à l’instar des pièces d’une machine ou d’un robot, à quoi sert donc la machine elle-même ?

Nous avons le choix ; 1) L’organisme est le véhicule de l’âme, 2) l’organisme est le véhicule des gènes qui l’ont façonné (véhicule sans lequel ils ne sauraient subir la sélection naturelle !), 3) l’organisme est l’« organe » d’une collectivité d’organismes à un niveau supérieur, 4) l’organisme est structuré de telle façon qu’il conserve sa structure… Nous voyons à quel point cette dernière solution, qui n’est pas forcément en contradiction avec la troisième, revêt une « téléologie » spéciale et apparaît pour les lecteurs peu familiers de la dialectique, sous la forme d’une audacieuse tautologie ! Mais la vulgate darwinienne n’en est-elle pas une autre ?

Ni la population, ni l’organisme, ni même la cellule ne sont donc le « véhicule » des gènes, pas plus que ceux-ci ne sont les pages d’un « Livre de Vie ». Seule certitude ; un gène est une portion d’ADN qui contrôle la production d’un ou de plusieurs type-s de protéine-s au niveau cellulaire. Comme les cellules fonctionnent ensemble dans un organisme pluricellulaire, il n’est pas étonnant qu’un défaut génétique ponctuel ait des répercutions nombreuses et variées sur le phénotype de cet organisme. De là à affirmer que tous les caractères visibles et invisibles de notre organisme correspondent chacun à un gène précis, le fossé est vite franchi…

Remplaçons l’ADN par un cobaye dans le laboratoire du généticien et remplaçons le matériel de génie génétique par un simple bistouri : Que le cobaye meure après une ablation de ses reins et notre praticien dira que le rein est l’organe qui sert à éviter la mort. Que le cobaye fasse une grosse dépression une fois castré, il dira que le testicule est l’organe du bon moral !

Mais c’est bien plus qu’une question de méthode. La définition du gène a beaucoup évolué depuis un siècle. Que chaque caractère phénotypique requiert le concours de nombreux gènes, que chaque gène participe à l’élaboration de nombreux[1] caractères phénotypiques, cela ne fait aujourd’hui plus de doute. Il semble bien difficile de définir individuellement le gène. C’est du reste le même problème au niveau de l’organisme : Chaque organe concourre à de nombreuses fonctions, sans rapports entre elles, chaque fonction physiologique est assurée par la participation de nombreux organes. C’est sous l’angle d’une observation à plusieurs niveaux, et surtout dans les interactions qu’entretiennent ces niveaux entre eux, qu’on peut remettre l’ADN à sa juste place.

Une conclusion provisoire s’impose : Nous ne nions pas l’existence des gènes, ni la place qu’ils occupent dans les processus cellulaires. Cependant la place faite aux gènes dans la théorie mendélienne de l’hérédité mérite sérieusement d’être attaquée, au sens où elle constitue une théorie au plus haut point idéaliste : Pour nous, au niveau de leurs processus, hérédité cellulaire et hérédité des organismes pluricellulaires seraient superposables et non confondues. Ce sont des processus reproductibles, non des informations abstraites transmissibles. Aux processus héréditaires de la cellule, au moins partiellement relatifs aux gènes, s’ajoutent des processus héréditaires propres au niveau pluricellulaire.

Un exemple marquant le caractère incomplet d’une théorie génétique de l’hérédité pour les organismes pluricellulaires : L’expérience pionnière du clonage reproductif chez les mammifères avec la brebis Dolly récemment mérite un intérêt particulier. Cette brebis est née d’une cellule-œuf ayant shunté l’étape de la reproduction sexuée (on a ôté à un ovule ses gènes haploïdes issus d’une méiose, pour les remplacer par le génome intégral diploïde de la « mère », c’est à dire par le noyau d’une de ses cellules somatiques).

Premièrement, ce type d’expérience relève plus d’une « cuisine » empirique de laboratoire que d’un réel exploit du génie génétique dérivant de sa théorie fondamentale. Elle devait répondre à des questions théoriques relatives au rôle du noyau (donc en partie des gènes) sur le développement embryonnaire et l’acquisition du phénotype. A ce titre, les auteurs ont constaté contre toute attente, que du noyau et du cytoplasme, c’est semble t-il ce dernier qui s’avère le plus déterminant ! Le rôle du noyau est d’autant plus relatif que l’implantation dans la cellule œuf d’un noyau de cellule somatique cancéreuse produit un organisme parfaitement sain…

Deuxièmement, contre toute attente, la brebis a vieilli précocement, elle est morte prématurément, malgré les soins extrêmes dont elle a bénéficié. La méiose consistant fondamentalement en un  brassage génique favorisant le polymorphisme au niveau du groupe spécifique, elle aurait donc une vertu supplémentaire au niveau de l’individu. Vertu dont Dolly n’a pas pu profiter. Cette vertu mystérieuse mais bien réelle 1) intéresse directement l’hérédité pluricellulaire et non exclusivement l’hérédité cellulaire (la cellule-œuf s’est développée normalement), 2) concerne à travers cette hérédité non pas la nature de  chaque  gène  mais l’état du noyau dans sa totalité, 3) se rapporte à l’histoire de ce noyau (« vieux » noyau somatique contre « nouveau » noyau issu d’une caryogamie dont la structure génique serait pourtant la même –diploïde-) plutôt qu’à la structure décrétée fixe de ses gènes.

Troisièmement, cet échec relatif indique d’une part que la reproductibilité de la forme pluricellulaire organisée passe effectivement par des processus nucléaires, donc relatifs aux gènes, d’autre part qu’une adéquation noyau-cytoplasme (à élucider) est nécessaire à la finalisation de cette reproduction. Si on considère l’hérédité comme la reproduction d’une structure fixe (la brebis sous sa forme adulte par exemple), thèse idéaliste-essentialiste, l’expérience est réussie dans la cas de Dolly. Si on la considère comme la reproduction d’une ontogenèse complète, c’est à dire d’un processus fécondation, embryogenèse, développement, sénescence, mort, thèse matérialiste ; c’est un demi-échec[2]. Trois remarques…

1)               Considéré comme la reproduction d’une ontogenèse, l’hérédité se rapporte au noyau mais aussi au cytoplasme (surtout animé par des activités protéiques) : L’expérience consistant à injecter le « jeune » noyau d’une cellule-œuf dans le vieux cytoplasme d’une cellule somatique, non armée comme l’est la cellule-œuf (réserves, forme, …) pour effectuer une embryogenèse, est condamnée à échouer. Pourtant le clonage thérapeutique consistant à produire in vitro un organe ou un tissu (reproduction ontogénique partielle) à partir d’une cellule somatique correspondante isolée donne des résultats satisfaisants.

2)               Le même constat peut être tiré de l’observation du cycle de développement de nombreux végétaux primitifs par exemple, chez qui reproduction asexuée (sporulation, bouturage naturel, …) et reproduction sexuée coexistent. On considère en biologie, bien qu’aucune explication n’en soit fournie, qu’une telle espèce, en ne pratiquant plus que la reproduction asexuée (les spores sont des cellules « non-rénovées » par la méiose) dépérirait en quelques générations.

3)               Toujours en ce qui concerne la biologie végétale, domaine malheureusement négligé par les néodarwinien weismannien (et pour cause, puisqu’à la différence des animaux, les végétaux ne présentent rien qui ressemble à une lignée germinale), la polyploïdie[3] d’une plante modifie très fortement ses caractères et son hérédité (justifiant l’apparition artificielle d’une nouvelle espèce). La polyploïdie ne modifie pourtant en rien l’état qualitatif des gènes de la cellule, elle ne modifie le noyau que « quantitativement ».

 

Lors de la session de l’Académie Lénine des sciences agricoles d’Union Soviétique, où s’affrontaient les partisans de l’orientation mitchourinienne et les partisans de l’orientation weismannienne, l’académicien S.Démidov affirmait, en référence à Lénine et Staline, que les contradictions entre deux courants doivent être résolus non pas par la conciliation et la recherche d’une troisième voie intermédiaire, mais par une lutte de principe, aiguë et déclarée.

On constatera aisément, au fil de l’exposition d’une théorie de l’hérédité en accord avec les conclusions du chapitre précédent, qu’elle paraît « conciliatrice », s’accommodant des notions de gène, de soma et de germen, tout en étant objectivement en franche opposition avec la théorie génétique dans ses principes, c’est à dire dans l’usage qui est fait de ces notions. Aucun désaccord de principe donc, avec des réflexions matérialistes telles que celle de Lyssenko :

 

« Les expériences sur l’hybridation végétative montrent indiscutablement que toutes les particules du corps vivant, même les substances plastiques, même les sucs qu’échangent greffon et porte-greffe, possèdent des qualités héréditaires. Cela diminue t-il le rôle des chromosomes ? Pas du tout !

L’hérédité se transmet-elle par des chromosomes au cours du processus sexuel ? Oui, bien entendu ! Nous reconnaissons l’existence des chromosomes, nous ne la nions pas. Ce que nous ne reconnaissons pas, c’est la théorie chromosomique de l’hérédité, c’est le mendélo-morganisme. »

T.Lyssenko, Xe séance de la session des sc. Agricoles de l’URSS, 1948.

 

a.      Premier niveau : L’hérédité cellulaire

 

Il s’agit en particulier d’examiner à partir de nos thèses le dogme central de la biologie moléculaire, dogme affirmant que si le gène détermine sa protéine, la protéine ne peut elle même déterminer son gène. Remarque préliminaire : Soit nous nions les mécanismes relatifs à la synthèse protéique tels qu’ils sont exposés par la génétique moléculaire, et la question du dogme central ne vaut plus d’être posée, soit nous les admettons dans un cadre qui est celui des mécanismes conservateurs, et l’unidirectionnalité gène-protéine ne sera plus un dogme idéaliste mais un processus résultant de l’histoire de la vie et par suite, un moteur de sa propre négation.

 

« La vie est le mode d’existence des corps albuminoïdes [protéines], (…) ce mode d’existence consiste essentiellement dans un perpétuel auto-renouvellement des éléments chimiques dont ces corps se composent. »                                       

Engels (Dialectique de la Nature).

 

Ce sont en effet les protéines qui, par leurs propriétés physico-chimiques variées, assurent tous les processus cellulaires (enzymes et protéines de structure). A ces protéines s’ajoute une autre catégorie chimique dont la vocation est de participer à cet « auto-renouvellement » des protéines, les acides nucléiques (ADN et ARN). Considérons que les gènes ont pour vocation principale de renouveler pendant la vie de la cellule, toutes ses protéines fonctionnelles à mesure qu’elles dégénèrent (mouvement dialectique), pour vocation secondaire, collatérale, d’être à la base de l’hérédité cellulaire (mitose). Voyons donc ce qui se passe au cours de la vie d’une cellule.

Toute la génétique moléculaire repose sur une dualité acides nucléiques – protéines. Les uns sont inertes, impénétrables, maîtres, les autres sont actives, invariables et esclaves (déterminées). Nous considérerons au contraire que ce dualisme n’est qu’un fractionnement historique[4] (ayant engendré au début de l’histoire de la vie les propriétés conservatrices de la cellule), que gènes et protéines sont tous variables, à des degrés différents, qu’ils entretiennent des relations mutuelles dans le cadre de leurs  renouvellements  respectifs.

En dialecticiens, nous associerons conceptuellement des mécanismes sur lesquels les généticiens idéalistes se penchent toujours isolément – à l’abri de toute tentation de péché de synthèse et en sacralisant en chacun les mystères vitalistes – sous un angle où leur « non problématicité » peut apparaître.

            Premièrement les gènes se tiennent en amont des processus de renouvellement des protéines constitutives de la cellule (synthèse protéique). Nous dirons qu’ils contrôlent la synthèse de ces protéines plutôt qu’ils les déterminent (nous reviendrons sur cette remarque). Ils en contrôlent la qualité (types de protéines) mais aussi leur quantité (proportions relatives de ces protéines).

Deuxièmement les protéines assurent partiellement le renouvellement des gènes eux-mêmes, suivant les processus déjà évoqués au chapitre précédent : Réplication (dédoublement de l’ADN), transcription (production d’ARN et d’amorces), duplication (de certains gènes, selon les besoins ponctuels de la cellule), réparation (systèmes SOS – SRM).

Le renouvellement « à l’identique » des molécules constitutives de la cellule est réalisé sur la base d’une interaction acides nucléiques–protéines. Chacune des deux catégories ne peut se renouveler (propriété de la matière vivante) sans l’autre. Fondée sur les mêmes propriétés physico-chimiques, l’hérédité cellulaire (conservation des caractéristiques cellulaires de génération en génération) est indissociable des processus de renouvellement moléculaire (au cours de la vie d’une cellule). Ces derniers constituent les bases de la propriété conservatrice de toute matière vivante.

Rappelons notre proposition[5] de départ : Ce qui distingue la matière vivante de la matière non-vivante, c’est la tendance qu’elle manifeste à conserver sa structure dans le temps. Si le processus conservateur de la matière vivante provient à l’origine du fractionnement qualitatif des molécules fonctionnelles et auto-réplicatives (fractionnement qui donne lieu au dogme  central), n’oublions  pas  que les molécules auto-réplicatives (acides nucléiques) sont encore douées de certaines  activités  reconnues (la plus connue chez les cellules actuelles, est celle des ARN ribosomaux) et que les molécules actives  (protéines) peuvent présenter une activité « auto-catalytique »[6] voire carrément auto-réplicative[7]. Bien à l’abri de ces considérations, la génétique moléculaire décrit ainsi la synthèse protéique :

► Transcription du gène (ADN) en plusieurs ARN pré-messagers identiques grâce à une polymérase (protéine) dont on ne sait pas bien pourquoi elle adhère en amont (région promotrice) de ce gène plutôt qu’en amont d’un autre dans le noyau, chaque gène ayant sa région promotrice particulière et nos savants ne connaissant qu’un à trois types de polymérases seulement.

► Maturation des ARN : Des enzymes (protéines) découpent des fragments (introns) et réassemblent bord à bord les séquences restantes (à traduire) –les exons-. Comme tous les introns de tous les gènes sont différents et qu’on considère chaque type d’enzyme spécifique de son substrat, il faut donc plus de sortes d’enzymes (quelle est leur origine ?). Que de gènes dans le noyau !

► Traduction des ARN messagers en polypeptides (chaînes libres d’acides aminés) grâce à un énorme complexe enzymatique, le ribosome, composé essentiellement d’ARN ribosomaux (ARNr). Il faut ajouter que chaque acide aminé ajouté au polypeptide en cours de synthèse est amené par un ARN de transfert (ARNt), chaque type d’ARNt correspondant à un type d’acide aminé. L’accrochage des acides aminés sur les ARNt, préalable à cette opération, est réalisé par de nombreuses enzymes (elles mêmes déterminées par des gènes !).

► Le polypeptide n’est encore qu’une chaîne inactive dont seule la combinaison linéaire d’acides aminés est spécifique ; il subit alors une maturation complexe destinée à lui faire acquérir la forme finale qui lui conférera une activité catalytique spécifique. Cette maturation est réalisée au moyen d’enzymes spécifiques de ces polypeptides, elles mêmes déterminées par des gènes… Que de gènes, que de gènes !! 

Leur nombre total ? On l’estimait chez l’Homme à plusieurs centaines de milliers il y a quinze ans. Le centre national de séquençage (Génoscope) donnait timidement il y a trois ans une estimation de seulement 30 000 gènes. Il en donne finalement, une fois le long travail de séquençage achevé (avril 2003), 25 000 (c’est à dire un nombre proche de celui de nombreuses espèces unicellulaires elles-mêmes ! Ajoutons, et on le sait depuis longtemps, qu’en ce qui concerne la quantité d’ADN nucléaire, certains vertébrés primitifs –des batraciens comme Necturus et Amphiuma par exemple- ont un génome quantitativement plus important que celui de l’Homme). Quelques informations intéresseront peut être les gardiens du dogme…

- C’est par complémentarité directe qu’une séquence d’ADN (gène) produit un ARN pré-messager, la polymérase (protéine) se contente de localiser, d’orienter, d’ouvrir le gène à transcrire : L’ADN a une fonction catalytique spontanée. De plus le ribosome traduisant l’ARNm  en  polypeptide  doit

ses activités enzymatiques aux seuls ARNr (les petites protéines ribosomales se tiennent en périphérie du ribosome et non dans son site actif). Plus que de détenir passivement les plans de construction des protéines, ce sont bien les acides nucléiques qui président à la production de celles-ci.

- Le phénomène d’épissage alternatif des ARN prémessagers complique considérablement la tâche des séquenceurs actuels du génome humain. Connu depuis plus de vingt  ans, il  s’avère  plus  important que prévu chez les vertébrés eux mêmes… L’épissage alternatif conduit à produire selon les cas, à partir d’un type donné d’ARN pré-messager (donc d’un gène) et selon les introns qui sont excisés  plusieurs sortes d’ARNm donc plusieurs types différents de protéines !!

- De nombreux gènes contrôlent la production de protéines appelées facteurs de transcription (dont l’affinité  pour  telle  ou  telle  région  promotrice  de  l’ADN  dirigerait  dans l’espace  et   dans  le   temps  les expressions génétiques[8]). Problème : On recense fort peu de types de facteurs de transcription (une dizaine) au regard du nombre de gènes différents dont il faut coordonner sélectivement les expressions. De plus, chaque facteur de transcription n’est spécifique que d’une séquence de trois à six nucléotides sur l’ADN, c’est étonnement peu pour discriminer 25 000 gènes aux promoteurs différents… Cependant la colinéarité de certains gènes étonne plus encore les chercheurs. Comment expliquer par exemple que les gènes des ε, γ, δ globines, qui apparaissent successivement dans le sang du fœtus au cours de sa croissance, se suivent dans cet ordre sur le même tronçon chromosomique ? Comment expliquer de même la succession des « gènes du bras », « de l’avant-bras » et « de la main » sur un autre tronçon ? L’effet de position dans le noyau semble être fondamental dans la régulation de l’expression génétique, même s’il est complètement hors champs dans la génétique instructionniste. Il existerait des séquences d’ADN « tour de contrôle » à proximité des gènes à contrôler (Duboule, Nature n°420). Ainsi les gènes ne sont pas si inertes : Ils interagissent… On peut donc apparemment appliquer la « loi de corrélation des organes » (Cuvier) aux gènes eux-mêmes mais en développant des thèses tout à fait opposées à celles du fixisme !

- Le cas du prion cité plus haut laisse supposer que les protéines sont elles mêmes douées de propriétés auto-catalytiques. Des polypeptides immatures adoptent spontanément des formes qui ne sont pas celles qu’ils conservent après maturation. Il est admis qu’un polypeptide peut se replier de plusieurs façons possibles, statistiquement et en fonction de la température, etc. Pourquoi ces formes « immatures » n’auraient-elles pas des activités catalytiques propres dans la cybernétique cellulaire ? L’intrication de ces activités entre polypeptides, entre enzymes, contribuant à leurs maturations respectives, peut alors être telle que 1) l’ensemble des synthèses protéiques soit partiellement détachée des processus d’expression génétique, contre la théorie réductionniste instructionniste : La production d’une enzyme dépend d’une production d’ARNm et d’activités transversales d’autres protéines, immatures et/ou matures. 2) Chaque protéine immature (de structure immature active) puisse donner, en fonction des activités transversales, plusieurs types d’enzymes différentes (autres structures, autres activités). Quelle économie de gènes ! 3) La profonde interdépendance entre toutes ces chaînes de production de protéines fonctionnelles valide la « loi de corrélation des organes » appliquée à l’ultra structure moléculaire de la cellule, garant d’une auto conservation d’ensemble (équilibre dynamique malgré les variations locales) plutôt que d’un déterminisme strict et applicable a priori en tout point.

Manifestement, d’un point de vue matérialiste dialectique, la théorie de l’hérédité cellulaire repose secondairement sur l’interdépendance de deux contradictions antagonistes, elles mêmes fondées sur un fractionnement initial d’une catégorie moléculaire, l’ARN, douée à la fois des deux propriétés conservatrices que sont 1) l’activité catalytique (dont par exemple celle de construire  à  partir  de  précurseurs naturels ses propres sous-unités constitutives[9]), 2) l’activité auto-réplicative issue d’une complémentarité spontanée entre deux nucléotides et fondée sur la polymérisation d’un nouvel ARN sur un ancien ARN servant de matrice linéaire, en deux catégories qualitativement distinctes : l’ADN (propriété 2), les protéines (propriété 1).

 

Première contradiction antagoniste

 

La propriété auto-réplicative des acides nucléiques n’est pas « acquise pour » renouveler le stock d’acides nucléiques en destruction permanente et naturelle. Elle est inhérente à la structure même de ces acides nucléiques (complémentarité deux à deux des nucléotides) de sorte qu’il n’existe a priori aucun couplage naturel entre la reproduction moléculaire des acides nucléiques et une mystérieuse nécessité de conservation structurale.

Ainsi leur propriété auto-réplicative ne « répond » pas à leur destruction naturelle (pas de téléologie), elle l’« anticipe » fortuitement. Initialement les acides nucléiques se multiplient plutôt qu’ils se renouvellent. Dès lors l’équilibre stabilisant le stock d’acides nucléiques est fortement dépendant des conditions du milieu, susceptible en variant d’accélérer ou de freiner l’auto-réplication. La conservation est qualitative (la structure moléculaire continue d’être représentée dans le temps), elle n’est pas quantitative : Si le milieu freine la destruction des molécules (milieu favorable) il favorise la conservation quantitative du stock moléculaire. Cette conservation de molécules auto-réplicatives augmentera leur quantité (non conservation quantitative). Bel exemple de contradiction antagoniste : Au niveau moléculaire, la « matière vivante » tend donc à se développer parce qu’elle se conserve !

 

Deuxième contradiction antagoniste

 

La matière vivante se conserve parce qu’elle reproduit ses propres matériaux. Cette reproduction se réalise sur deux niveaux. Le premier est celui des nucléotides constitutifs eux mêmes (production qui dépend de la quantité disponible de précurseurs dans le milieu, de la qualité et des proportions relatives des moyens enzymatiques de production dans la cellule), le deuxième est celui de la polymérisation de ces nucléotides en acides nucléiques sur la base d’un acide nucléique polymérisé préexistant.

Une variation quantitative des stocks moléculaires contribuant à ces deux niveaux affecte donc directement la capacité qu’a la matière vivante de se conserver (sans remettre en cause la propriété auto-réplicative des acides nucléiques).

Dans le « monde à ARN » primitif, la cellule ne peut se conserver qu’au moyen de plusieurs types de « ribozymes » (ARN) assurant les activités des niveaux 1 et 2. Ces ribozymes, condamnés par leurs places respectives dans la  cybernétique  cellulaire  à  rester  distincts, interdépendants  les  uns  des  autres, ne

peuvent se multiplier qu’avec de faibles chances de conserver leurs proportions respectives initiales (pourtant nécessaires à une conservation dynamique). Dans le « monde à ADN » qui lui a succédé, la cellule déleste en grande partie les acides nucléiques de leurs activités catalytiques (assumées par des protéines, non auto-réplicatives donc fortement dépendantes) mais en tire un avantage considérable : L’ADN gagne en inertie (double hélice) et l’unidimensionnalité propre aux acides nucléiques (combinaison linéaire de nucléotides) permet en se prolongeant au delà des  séquences  utiles, d’unir  sans  dommages  une  suc-

cession des séquences utiles (gènes), de sorte que les propriétés auto-réplicatives de l’ADN conserve les séquences mais aussi leurs proportions relatives.

Ainsi, du fait de ce fractionnement (fig.6), la non conservation quantitative des stocks moléculaires finit obligatoirement (du fait de la structure chromosomique de l’ADN) par rétablir un équilibre dynamique, par exemple quand tous les stocks sont uniformément doublés. Doublement, mitose ; saut qualitatif : Nous passons d’une cellule à deux cellules conservant les caractéristiques structurales et fonctionnelles de la première. Telles sont les bases de l’hérédité cellulaire.

 

 

 

Fig.6

Etapes du scénario de passage d’un monde à ARN à un monde à ADN : MP ; matière première, AR ; auto-réplication, SP ; synthèse protéique, T ; transcription, TI ; transcription inverse.

Phase 1 : Les ARN présentent une double vertu ; celle de s’auto-répliquer et celle de catalyser des réactions chimiques.

Préalable théorique : rejet des notions de stéréo-spécificité et de dualisme moléculaire.

 

 

Concluons provisoirement. Les gènes sont bien des structures auto-réplicatives, autonomes à l’origine, sur le modèle théorique de Richard Dawkins : Les activités catalytiques qu’ils présentent n’ont d’autre « fin » que de s’auto répliquer. Si les catalyses furent à l’origine fortuites et totalement a-spécifiques avant la phase 1, c’est à dire lorsqu’elles étaient assurées par des molécules inorganiques comme les argiles, elles deviennent en fusionnant avec les molécules auto-réplicatives elles-mêmes, l’objet d’une sélection naturelle d’autant plus puissante que la multiplication des meilleurs réplicateurs explose. Cette sélection a pour effet d’améliorer toujours d’avantage la stéréo-spécificité des réactions enzymatiques jusqu’à la phase 3 ; A ce stade, la spécificité devient non pas « maximale » comme le pensent les généticiens moléculaires, mais « optimale » : Lorsque la « conservation » par réplication supplante les effets de l’usure moléculaire, elle n’est plus une simple compensation, mais un développement à la fois spatial et temporel.

 

b.      Deuxième niveau : L’hérédité pluricellulaire

 

Parmi les types de divisions cellulaires connues actuellement, un détail peut frapper ceux qui décrètent l’essence fondamentalement différente des uni et des pluricellulaires : Nombreux sont les pluricellulaires primitifs (« syncytium » comme les champignons basidiomycètes, de nombreuses algues et animaux spongiaires) caractérisés par un développement cytoplasmique et une multiplication des noyaux (caryocinèse) sans cloisonnements cellulaires (cytodiérèses), de sorte qu’ils sont à la fois unicellulaires (une seule cellule, volumineuse ou ramifiée) et pluricellulaires (nombreux noyaux).

Une fois encore, aucune logique n’associe a priori la cytodiérèse (division de la cellule toute entière) à la caryocinèse (division du noyau après duplication totale de l’ADN). Le développement cellulaire, inhérent comme nous venons de le voir à la « conservation » cellulaire, est matérialisé par la caryocinèse et conséquemment par le développement volumique du cytoplasme. La cytodiérèse matérialise au départ la nécessité physique d’assigner un noyau à chaque portion géographique du cytoplasme, de plus en plus volumineux et dans lequel les noyaux doivent rester bien dispersés contre la gravité ; l’interaction noyau – cytoplasme étant partout nécessaire à l’activité cellulaire.

En conséquence l’association caryocinèse – cytodiérèse, c’est à dire la mitose sous sa modalité la plus générale, est d’abord fortuite. Elle est ensuite nécessaire moins à l’hérédité cellulaire (conservation dans le temps) qu’à l’hérédité pluricellulaire, comme nous allons le voir.

Chez de nombreux insectes, mais aussi chez tous les oiseaux et tous les reptiles, par exemple, la cellule-œuf commence ainsi par une série de caryocinèses formant un syncytium, avant que l’embryon ne se « cellularise ». Le développement embryonnaire, dans ses premières étapes au moins et par suite d’un développement spatial inéluctable, peut être assimilé à une conservation dans l’espace des propriétés moléculaires de la cellule-œuf. Cependant le milieu dans lequel cette cellule-œuf se développe n’est pas isotrope et son cytoplasme lui-même ne l’est pas : Dans la mesure où les générations cellulaires provenant de cette cellule-œuf ne forment pas une population (clone) d’unicellulaires isolés mais un ensemble de cellules contraint par une « coquille » ou par une « zone pellucide » à rester ensemble, l’embryon pluricellulaire n’aura d’autre alternative que d’acquérir une structure hétérogène, adaptée en tout point au micro-environnement dans lequel chaque cellule embryonnaire se tient (non-conservation structurale). Détaillons les mécanismes qui sous-tendent l’auto-dynamisme embryonnaire.

 

Première contradiction antagoniste

 

Tout d’abord il est utile de rappeler que les modalités habituelles de la reproduction sexuée ; gamétogenèse, méiose, fécondation, sont connues chez la très grande majorité des unicellulaires eucaryotes actuels (contrairement aux bactéries, les eucaryotes possèdent un noyau limité par une enveloppe et des organites cytoplasmiques spécialisés), coexistant alors avec d’autres modalités reproductives, asexuées. Chez ces espèces[10] unicellulaires, les deux étapes de la reproduction sexuée (méiose et fécondation) ne sont jamais associées dans un processus unique.

Un exemple parmi d’autres. Pluricellulaire primitif, Sordaria est un champignon dont le cycle de développement est haploïde : L’organisme (filaments de cellules non-spécialisées) est composé de cellules haploïdes (chaque gène en un seul exemplaire). Lorsqu’il en rencontre un autre au cours de sa progression (croissance), il forme des gamètes haploïdes. La rencontre de deux gamètes forme une cellule « di-haploïde » (les deux noyaux ne fusionnent pas en un seul). Cette dernière prolifère en un organisme di-haploïde, dont certaines cellules seulement accompliront une caryogamie (fusion  des  deux noyaux en un noyau diploïde ; fécondation tardive). De telles cellules-œuf subissent enfin une méiose et forment des spores haploïdes. Une fois libéré, chacun de ces spores germera en un nouvel organisme haploïde. Dans ce cycle de développement, la reproduction sexuée existe, mais méiose et caryogamie sont nettement dissociées dans le temps (comme pouvaient l’être cytodiérèse et caryocinèse pour la mitose).

Qu’il s’agisse d’espèces haploïdes (méiose après caryogamie) ou d’espèces diploïdes (caryogamie après méiose), ces deux étapes sont néanmoins nécessairement liées l’une à l’autre pour conserver la ploïdie des organismes au cours de leur cycle de développement. Celui des cellules bactériennes, les plus primitives, indique clairement l’antériorité historique de la caryogamie sur la méiose :

Chez les bactéries en effet, l’ADN ne forme qu’un long chromosome unique (donc haploïde) mais il est très fréquent de détecter dans le cytoplasme de petit ADN surnuméraires, facultatifs, appelés plasmides. Les plasmides contiennent très peu de gènes et ne sont utiles à la cellule que lorsque le milieu présente un danger ponctuel (gènes de résistance). Quand le danger se présente, on assiste à des échanges tous azimut de plasmides entre cellules (et ce même quand les bactéries n’appartiennent pas à la même espèce en général) ; Le plasmide se duplique pendant que la cellule adhère à une cellule voisine dépourvue du plasmide, la copie du plasmide lui est alors transféré. L’ensemble du processus, très général chez les bactéries, est appelé conjugaison bactérienne. Il offre à la colonie en péril des capacités de résistance collective bien plus grande en milieu défavorable. Signalons que cette résistance est le résultat d’un altruisme parfaitement hétérodoxe pour la théorie néo-darwinienne de la sélection naturelle.

La conjugaison est le processus primitif annonciateur de la fécondation, ce dernier consistant lui aussi à mettre en commun une plus  grande  variété de  gènes  homologues  de  façon  à  augmenter  les

chances de survie cellulaire en milieu défavorable. Comme le phénotype découle autant de la nature des gènes que de leur combinaison, leurs proportions relatives et leurs interactions, la méiose qui suit cette fécondation atteste du fait qu’un simple accroissement quantitatif du noyau, même par l’apport de nouvelles versions géniques, ne suffit pas à rétablir un phénotype cohérent et conservé : La cellule diploïde réduit le nombre de ses gènes et les recombine les uns par rapport aux autres (saut qualitatif).

L’alternance méiose – fécondation, marquant la reproduction sexuée chez toutes les espèces eucaryotes, uni comme pluricellulaires, haploïdes comme diploïdes, semble donc naître primitivement d’une stratégie de conservation en milieu défavorable, jouant sur les recombinaisons diversifiant les individus de la population (méiose, responsable du polymorphisme et visant à augmenter les chances de survie de certains individus au moins) autant que sur la mise en commun des différentes variétés de gènes susceptibles de conférer à la population une meilleure résistance au milieu (fécondation).

L’apparition de cette modalité semble avoir été complexe et fortuite. L’exemple de la Paramécie, unicellulaire aquatique, illustre le caractère apparemment fortuit des modalités primitives de la reproduction sexuée : La Paramécie est « di-diploïde ». Elle possède un noyau actif diploïde (noyau « somatique ») qui ne subit que des mitoses (caryocinèses) et un noyau diploïde plus petit et non fusionné au premier (noyau « germinal ») qui  subit (rarement et en conditions défavorables) la méiose, pour participer à des échanges nucléaires complexes entre cellules. La fécondation est ici primitivement un processus altruiste d’échange génétique et non un processus de peuplement (augmentation démographique): Chez la Paramécie, la reproduction sexuée ne fait que modifier mutuellement deux cellules, sans en créer de nouvelles. Autre exemple tiré du règne végétal : Tandis que les herbacées annuelles, soumises à des conditions très fluctuantes adoptent une stratégie de reproduction sexuée fréquente sans investir dans un développement de leur biomasse, les arbres quant à eux, soumis à un milieu stable (écosystème forestier), adoptent une stratégie de biomasse (leur développement et leur longévité peuvent être très grands) en investissant plus rarement dans la reproduction sexuée. La reproduction sexuée est bien une stratégie conservatrice de la population dans le temps, mais le développement individuel (pluricellulaire) en est une autre[11].

Ajoutons enfin un dernier exemple montrant que les modalités de la fécondation n’ont pas toujours été celles que nous reconnaissons chez la grande majorité des eucaryotes actuels : De nombreux pluricellulaires primitifs, dont les cellules ne sont pas ou peu différenciées les unes par rapport aux autres (la conservation structurale de la cellule-œuf dans l’espace semble primitivement presque réussir). Ainsi certaines éponges (animaux pluricellulaires à trois ou quatre types de cellules spécialisées) la fécondation répond à des modalités trophiques, préexistant chez les unicellulaires tels que les amibes, celles de la phagocytose. L’ovocyte conserve des propriétés amiboïdes et phagocyte (capte puis avale) le spermatozoïde d’un congénère. Là encore, des processus préexistant pour d’autres fonctions, ici alimentaires donc indirectement liées à l’auto-renouvellement, servent fortuitement une fonction nouvelle, celle de la reproduction sexuée.

Résumons… Nous sommes partis du processus primitif de conjugaison bactérienne, entrant dans le cadre de  la  conservation  temporelle  du  groupe  spécifique (le  niveau  structural  de  l’organisme  pluri-

cellulaire est shunté puisque les unicellulaires forment des groupes distincts, même si les barrières d’espèces ne sont réellement affirmées que chez les unicellulaires les plus évolués, à savoir les protistes eucaryotes), pour trouver son analogue évolué dans la fécondation, volet primordial de la reproduction sexuée chez tous les eucaryotes. La mise en commun des versions géniques de l’espèce augmente les chances de survie de chacun en milieu défavorable.

Il reste que ce processus ne peut se suffire à lui même : L’accroissement quantitatif de l’ADN d’une cellule ne peut lui être à terme que préjudiciable, puisque l’existence de la cellule, de ses caractéristiques structurales et fonctionnelles, repose sur l’état qualitatif du noyau (rapport des gènes entre eux, etc.) autant sinon plus que sur son état quantitatif (somme des gènes qui, pour les généticiens instructionnistes, détermine une somme sans rapport entre eux de caractères phénotypiques). La méiose peut être ainsi perçue comme une innovation de la matière vivante, au cours de l’histoire de la vie, permettant initialement de rétablir l’haploïdie cellulaire (saut qualitatif) après une fécondation (changement quantitatif).

La méiose est la solution d’une contradiction antagoniste : La fécondation en tant que stratégie de conservation temporelle de la structure cellulaire en milieu hostile, débouche sur une méiose, phénomène   de  réduction  de  la  ploïdie  mais  aussi  de  recombinaisons  complexes  et  diversifiantes,

modifiant le génotype mais aussi le phénotype cellulaire[12]. La reproduction sexuée correspond à une stratégie de conservation des propriétés cellulaires aboutissant à un changement de ces propriétés (nouvel individu) !

Secondairement, chez les eucaryotes diploïdes[13] (le cycle de développement est dominé par la diploïdie, seules les gamètes sont provisoirement haploïdes) la reproduction sexuée se fonde sur l’inversion apparente des processus de méiose (gamétogenèse) et de fécondation (formation d’une cellule-œuf diploïde) sans changer ses modalités générales : Il s’agit en fait non d’une inversion des deux processus mais d’un développement temporel extrême de la phase diploïde (uniquement représentée par la cellule-œuf chez les espèces haploïdes) au détriment de la phase haploïde (réduit à la formation des gamètes chez les espèces diploïdes).

La conservation qualitative du type spécifique, chez les espèces unicellulaires ou pluricellulaires, est incompatible avec des hybridations interspécifiques : En ce sens les barrières d’espèce, loin d’assigner à chacune une essence propre et immuable, sont plutôt des processus nécessaires à l’hérédité du type (conservation du type), collatéraux à celui de la reproduction sexuée : primitivement chez les bactéries sans reproduction sexuée, les barrières d’espèces sont nous l’avons dit, peu étanches. Ainsi, et ceci est particulièrement bien connu chez les pluricellulaires, ces barrières correspondent à des luttes[14] (opposées mais) analogues à la lutte contre l’autogamie, c’est à dire contre la fécondation de deux gamètes provenant du même individu, contraire à  la  vocation  d’échange  génétique de  la  reproduction

sexuée. Trois stratégies de lutte contre l’autogamie, sans filiations historiques apparentes mais aboutissant au même résultat, sont aujourd’hui abondamment décrites et illustrées :

-          Le dimorphisme sexuel résout de fait le problème : Les individus étant morphologiquement et physiologiquement mâle ou femelle, l’autofécondation est impossible. C’est la stratégie majoritaire chez la grande majorité des animaux mais aussi chez de nombreuses plantes « dioïques ». C’est un processus et non un état puisque la sexualisation se construit au cours de l’ontogenèse : acquisition des organes génitaux, du phénotype sexuel, de l’aptitude à se reproduire.

-          Lorsque les organismes sont hermaphrodites, cas fréquent en particulier chez les végétaux, l’acquisition des deux sexes est souvent dissociée dans le temps. L’organisme est alors, par exemple, d’abord mâle puis femelle, de sorte que ses spermatozoïdes et ses ovules ne puissent jamais coexister ni donc se rencontrer.

-          Quand l’hermaphrodite produit les deux types de gamètes en même temps, cas fréquent lui aussi chez les végétaux (plantes à fleurs hermaphrodites, à pistil et anthères), des mécanismes d’incompatibilité plus raffinés permettent au pistil d’empêcher (c’est bien un processus actif) le développement du pollen s’il provient du même organisme parental (reconnaissance très proche sans doute, selon les botanistes, des reconnaissances immunitaires chez les animaux). Ces mécanismes   sont   analogues   pour   l’incompatibilité    intra-spécifique   (contre  l’autogamie)  et l’incompatibilité interspécifique (barrière d’espèce) : Ils sont donc diversifiant d’une part ; contre l’autogamie, conservateurs d’autre part ; contre l’hybridation interspécifique.

Objet de toute l’attention des généticiens instructionnistes puisque c’est chez eux que l’embryogenèse est la mieux décrite en termes instructionnistes, que les notions de lignées germinale et somatique sont les plus utilisées, les animaux pratiquent la reproduction sexuée avec une grande régularité, que le milieu soit favorable ou hostile. Ils illustrent ainsi le détournement historique des armes d’une lutte pour la conservation typologique collective et spatiale (primitivement au niveau unicellulaire) contre les fluctuations du milieu vers une lutte individuelle pour la conservation temporelle : un organisme pluricellulaire meurt mais laisse au moins un descendant…

Voici donc comment se traduit cette première contradiction ; Chez les unicellulaires primitifs la mitose est une lutte pour la conservation temporelle et individuelle (renouvellement des générations cellulaires en tant que populations) et la reproduction sexuée une lutte pour la conservation spatiale et collective (homogénéisation des versions génétiques dans le groupe par une mise en commun relative), alors que chez les pluricellulaires, la mitose est une lutte pour la conservation spatiale individuelle (la cellule-œuf forme une population « altruiste » conservant dans l’espace ses caractéristiques cellulaires, sans le pouvoir absolument, pendant l’ontogenèse) et la reproduction sexuée une lutte pour la conservation temporelle collective (le polymorphisme permet de pérenniser le groupe spécifique dans le temps malgré les fluctuations du milieu).

 

Deuxième contradiction antagoniste

 

Une contradiction relative au niveau cellulaire (propriété auto-réplicative de l’ADN) jette les bases d’un niveau de développement plus complexe, le niveau pluricellulaire, dépassement du premier sur le plan quantitatif. Suit une seconde contradiction sur le plan qualitatif, couvrant à la fois deux mouvements auto-dynamiques ; Celui de l’auto dynamisme ontogénétique (embryogenèse et développement de l’individu juvénile puis adulte), et celui de la reproduction de cette ontogenèse d’une génération à l’autre (hérédité pluricellulaire).

Considérons d’abord ce dernier mouvement. Ce qui était la solution conservatrice d’une modification quantitative du matériel génétique cellulaire (caryogamie) devient chez les pluricellulaires diploïdes, c’est à dire quand elle « précède » cette caryogamie, le moteur d’un bouleversement cellulaire : La méiose modifie la nature de cellules qui appartenaient initialement à l’organisme parental (gamétogenèse). Elle est en ce sens la ligne de démarcation entre le somatique et le germinal. Aucune barrière physique entre « lignée » somatique éphémère et « lignée » germinale immortelle, comme Weismann le postulait en son temps. C’est un processus qui produit à partir des cellules d’un individu (somatiques) de nouvelles cellules (germinales), les gamètes, qui ne lui appartiennent plus.

Il n’est pas facile de désigner en quoi une cellule appartient ou non à un organisme pluricellulaire. Une certitude ; Cela tient à sa structure générale, plutôt qu’à ses seuls gènes. Conventionnellement une cellule ou un tissu appartient au « soi » quand il n’est pas détruit par le système immunitaire de l’organisme[15]. Nous conviendrons donc que les globules rouges (cytoplasme sans ADN), les globules blancs (génétiquement différents entre eux dans le sang d’un même individu) appartiennent à l’organisme qui les contient, qu’en revanche les gamètes, résultant d’une méiose, ne lui appartiennent plus.

Deux remarques. Tout d’abord, dans la mesure où la distinction somatique / germinal peut être dialectique (elle entre dans le champs de notre définition dialectique de la matière vivante), le concept  de lignée ne l’est en aucun cas. Tout biologiste en effet qualifie les cellules souches qui s’apprêtent à subir la méiose, de « germinales », comme les gamètes. Il a tort. Ces cellules souches appartiennent encore objectivement au soi et sont donc somatiques tant qu’elles n’ont pas subi la première division de méiose. Pas de lignée, développée continûment de cycle en cycle indépendamment d’une lignée somatique lui restant soumise, mais une répétition de sauts qualitatifs (méioses produisant le germinal), répétition qu’on inférera à celle des rencontres entre gamètes (à un autre niveau, celui de la première contradiction antagoniste). Une nouveauté donc : Ce n’est pas la fécondation qui crée un nouvel « individu » mais la méiose, antérieurement ; L’événement contingent (rencontre des gamètes) est rapporté à un événement auto-dynamique parental nécessaire.

Deuxième remarque. Cet événement autodynamique parental, qui n’est autre que la gamétogenèse[16], dépend à son tour de l’événement « extérieur » à l’organisme qu’est la fécondation des gamètes. Dans le cas général d’une rencontre entre ovule et spermatozoïde, notons que si le spermatozoïde ne devient pas seul un embryon pluricellulaire, c’est qu’avec son noyau, il ne contient quasiment pas de cytoplasme (or l’interaction noyau-cytoplasme est comme nous le verrons indispensable à cette évolution), si l’ovocyte ne subit pas d’embryogenèse avant sa rencontre avec un spermatozoïde, c’est qu’il est « bloqué » (par des interactions avec le reste de l’organisme maternel) en cours de méiose et que cette méiose ne se termine qu’au dernier moment : c’est le contact avec un spermatozoïde qui re-déclenche et achève la méiose juste avant la caryogamie. Cas d’école fort instructif : Toutes les ouvrières d’une ruche naissent du développement spontané d’ovules non fécondés pondus par la reine !

Pas de blocage en cours de gamétogenèse en revanche chez les diploïdes unicellulaires et pluricellulaires primitifs : Dans ce cas, sans rencontre entre deux organismes distincts, pas de gamétogenèse. La fécondation chez les pluricellulaires évolués, suivant les mêmes  modalités à  un  détail  prés (la  gamétogenèse finit par anticiper la rencontre dans le cycle de développement), n’est donc contingente qu’en apparence. Lorsque l’ovocyte est bloqué en méiose en attendant la rencontre avec un spermatozoïde, nous dirons qu’il n’est pas une cellule « vivante » proprement dite (en tant qu’il n’évolue plus qu’au ralenti) mais une structure « léthargique » maintenue en vie du seul fait d’interventions extérieures, interventions de l’organisme pluricellulaire maternel. Blocage apparemment anti-dialectique, mais objectivement lutte active d’un organisme pluricellulaire contre le développement d’une structure étrangère en son sein.

Venons en au mouvement auto-dynamique le plus problématique en biologie, celui de l’ontogenèse pluricellulaire. Voici précisément la jonction entre deux niveaux, le niveau unicellulaire (gamètes, cellule-œuf) et le niveau pluricellulaire (organismes parentaux, embryon). Plusieurs observations seront utiles à l’élucidation de ce problème sous l’angle dialectique.

Balayons d’abord les sous-entendus idéalistes concernant une prétendue prédestination génétique de la cellule-œuf à construire un organisme déterminé (phénotype). Chez les végétaux, la morphologie de l’organisme est en perpétuel changement au cours de sa vie et dérive de contraintes environnementales évidentes d’une part (tropismes), de corrélations  morphogénétiques  d’autre  part  (le

feuillage se développe en fonction du développement racinaire et inversement). Chez les animaux, qui apparemment répondent à des lois différentes (prédétermination apparente des différentes parties du corps), l’ontogenèse passe par une série d’états structuralement très différents (qui chez l’Homme, du fait de sa viviparité, passent sous silence, donnant à  penser  que  le  fœtus  n’est  qu’un  état  latent  et  sans individualité). Les exemples en sont nombreux. La grenouille, insectivore et aérienne, provient de la métamorphose d’un têtard végétarien et aquatique. Le papillon, volant et consommateur de nectar, provient de la métamorphose d’une chenille, rampant et herbivore. Mieux encore, l’ascidie, sorte de « sac » végétatif fixé à un substrat, dépourvu de système nerveux, provient de la métamorphose d’une sorte de têtard très mobile, doté d’une tête, d’une queue, de muscles et de nerfs. La sacculine, parasite du crabe composé d’une simple poche pleine de gamètes et d’un fin chevelu filamenteux en prolifération dans les organes de son hôte, est en fait un crustacé lui même provenant de la métamorphose d’une larve nageuse complexe et active, de type crevette. Quand une cellule-œuf forme un embryon qui forme lui-même un têtard se métamorphosant finalement en grenouille, le qualificatif d’être vivant individualisé convient sans conteste à la grenouille autant qu’au têtard. Pourquoi en priver l’embryon et la cellule-œuf elle-même ? Prétendre comme le font Dawkins ou Sonigo, que nos gènes ou nos cellules vivent à travers nous, revient à affirmer que le têtard continue de vivre à l’intérieur de la grenouille qu’il est devenu, que la chenille se cache encore à l’intérieur du papillon !

Ainsi, non seulement la structure cellulaire de l’œuf ne peut se conserver dans l’espace (différenciation des cellules au cours de l’embryogenèse par exemple) mais encore la structure pluricellulaire, résultat de cet échec, ne le peut pas davantage : témoins les métamorphoses, mues, phénomènes chrono-biologiques divers chez les animaux, croissance et développement permanent chez les végétaux…

En conséquence, la cellule-œuf ne recèle pas le programme permettant de construire un organisme fini, c’est une structure qui se suffit à elle-même, mais qui représente en tant que matière vivante, la base matérielle d’un processus auto-dynamique de formes pluricellulaires successives qui la nient puis se nient elles même. Si chaque forme se conserve d’une certaine façon dans le temps, réapparaissant à un moment précis de l’ontogenèse à chaque génération, c’est que l’ensemble du processus ontogénétique se conserve, la voie par laquelle un ensemble de propriétés intracellulaires se conserve sur le mode pluricellulaire. La formule d’Engels sur la réciprocité des causes et des effets à un niveau supérieur à celui de l’analyse réductionniste (cf. conclusion du chapitre précédent) prend ici tout son sens. Pourquoi la cellule-œuf, structure unicellulaire, forme t-elle par mitoses un organisme pluricellulaire dont les cellules inter-agissent étroitement et nécessairement, plutôt qu’une population homogène de cellules-œufs isolées ? Parce qu’elle est prisonnière pendant un temps suffisant d’une « coque » structurée forçant les cellules à rester ensemble. Pourquoi la cellule-œuf est-elle prisonnière d’une coque structurée ? Parce qu’elle résulte d’une construction exogène (l’organisme maternel est l’environnement de l’ovocyte qui ne lui appartient plus) organisée par les interactions existant entre les cellules somatiques des organismes parentaux.

Si la viviparité, processus par lequel la cellule-œuf subit une assistance prolongée pendant son développement, est un mode particulièrement évolué chez les pluricellulaires, l’oviparité en reste le mode le plus représentatif. Dans ce dernier cas la cellule-œuf est directement livrée au milieu et y subit son développement sans assistance biologique apparente. Même ainsi cependant, sa structure peut livrer quelques uns des mystères de son auto-dynamisme. Elle correspond toujours à la confrontation intracellulaire entre un noyau néoformé, possédant des caractéristiques nouvelles et un cytoplasme préexistant, complexe, asymétrique et exclusivement construit par l’organisme maternel (dont le matériel génétique n’est pas celui de la cellule-œuf). Manifestement, une contradiction interne anime cette cellule très particulière ; une sorte d’inadéquation originelle entre noyau et cytoplasme. Le matériel enzymatique ovocytaire (maternel) permet les duplications du noyau. Ce faisant, ne s’agissant pas de noyaux maternels, ces duplications engendrent une modification cytoplasmique pendant les renouvellements moléculaires. L’hérédité pluricellulaire, c’est à dire la reproduction du processus ontogénique, reposerait alors partiellement sur l’interaction contradictoire initiale noyau/cytoplasme et non sur des « gènes architectes » du noyau seul (ces gènes existent mais n’ont pas pour « vocation » de programmer le développement embryonnaire) : La théorie préformiste doit être rejetée (qu’il s’agisse du modèle fantaisiste des « poupées russes » au XIXe siècle ou des gènes architectes aujourd’hui), au profit d’une théorie épigénétique (succession d’étapes dont chacune est induite par la précédente) conforme à la dialectique matérialiste.

Développons ce point capital. La biologie du développement est aujourd’hui sujette à une contradiction bien étrange. Pratiquement, l’épigenèse s’est totalement substituée (à la lumière des résultats expérimentaux) à la préformation, en introduisant un terme nouveau, celui de totipotence, que nous développerons. Théoriquement, la génétique instructionniste prévaut toujours, expliquant les asymétries embryonnaires (différenciations cellulaires) par des interactions signalétiques (les « signaux » chimiques et les récepteurs moléculaires spécifiques de ces signaux étant déterminés par des gènes) : Le futur dos reçoit un signal du futur ventre lui imposant de se « dorsaliser » et réciproquement. Ainsi une asymétrie présomptive (présence de récepteurs dans les futures cellules dorsales, de signaux dans les futures cellules ventrales) préexiste (préformation) à la réalisation de l’asymétrie.

Sortons de cette contradiction apparente. Tout d’abord, la cellule-œuf n’est jamais homogène, comme cela a été dit. Elle hérite d’une structure ovocytaire complexe façonnée par l’organisme maternel (pellicule solide, gangue, couronne de cellules nourricières, noyau excentré, anisotropie cytoplasmique du vitellus –réserves-). D’une certaine façon, elle est donc effectivement préformée. Cependant cette forme ne correspond en rien à celle de l’organisme final. Contre la théorie épigénétique, nous dirons que le développement embryonnaire tient au moins autant à la structure ovocytaire façonnée par l’organisme pluricellulaire maternel (« effet maternel », dans un premier temps) qu’aux potentialités du noyau de la cellule-œuf (« effet zygotique », dans un second temps). Contre la théorie préformiste, nous dirons que l’embryogenèse est un processus déterminé d’inductions successives (épigenèse) résultant, sans programme préexistant, d’une contradiction entre la tendance des noyaux à réaliser des structures cellulaires propres et l’action hétérogène et contraignant du milieu extracellulaire (extra et intraembryonnaire).

Aucun embryologiste ne peut plus nier le rôle moteur des asymétries de la cellule-œuf sur son devenir. Citons le rôle nécessaire et suffisant des croissants pigmentaires (batraciens, échinodermes), de la gravité et de la forme de l’œuf (insectes, oiseaux), de la disposition cytoplasmique du vitellus, du noyau (tous les animaux), de la disposition hétérogène et orientée des cellules nourricières, folliculaires autour de l’ovocyte, dans l’acquisition embryonnaire ultérieure des axes de polarité antéro-postérieur et dorso-ventral. La centrifugation d’une cellule-œuf, provoquant l’homogénéisation de son cytoplasme, fait de lui une forme embryonnaire monstrueuse cessant très précocement son développement.

D’une façon extrêmement générale chez les animaux, la cellule-œuf forme tout d’abord un ensemble sphérique de cellules plus ou moins semblables, de plus en plus nombreuses et (puisque l’embryon, dans sa coque, conserve le même volume) de plus en plus petites. Sans sa coquille d’ailleurs, aucun œuf ne peut se développer. L’asymétrie cytoplasmique, généralement due à un gradient vitellin (plus le cytoplasme est dense en vitellus,  plus  sa  segmentation  mitotique  sera difficile : C’est particulièrement évident pour l’ « énorme » cellule-œuf d’oiseau  –ou jaune-  très  riche  en  vitellus, qui  ne  se  segmente  qu’en  périphérie,  à  l’endroit qu’occupait initialement le noyau zygotique)[17], explique que cette « morula » présente des petites cellules d’un côté (peu de vitellus ; pôle animal) de grosses cellules de l’autre (beaucoup de vitellus ; pôle végétatif). Cette variété de taille est à l’origine d’une cavitation centrale spontanée (étape « blastula »).

L’embryon continue sa segmentation mais ses cellules qui atteignent une taille minimale limite, sont forcées de former localement une invagination, un pli vers la cavité centrale, encore vide de cellule (la coque existe toujours à l’extérieur). Ce phénomène, formant une « gastrula » correspond à la première étape d’une mise en place des feuillets embryonnaires (début de différenciation) : Les cellules restant à l’extérieur formeront l’ectoderme (future peau, système nerveux, etc.), les cellules invaginées par l’embolie formeront l’endoderme (tube digestif, glandes digestives) et le mésoderme. Les embryogenèses se diversifient d’espèce en espèce, chacune poursuit les étapes en allant comme on le voit, du simple au complexe. Les premières étapes du développement décrites ici sont elles mêmes dans la forme, très différentes d’une espèce à l’autre.

Ainsi le rôle des contraintes physiques s’opposant au développement spontané de l’embryon pluricellulaire apparaît au moins aussi important que des mécanismes chimiques qui guideraient l’activité des cellules et émanant d’une expression génétique. Asymétries et contraintes physiques initiales sont primordiaux, en tant qu’antagonistes au développement cellulaire spontané. L’extrême complexité structurale et fonctionnelle de l’embryon puis de l’adulte ne résulte pas d’une extrême complexité préexistante au niveau des gènes, mais de la complexification d’une structure « simple »[18], la cellule-œuf.

Pourquoi sommes nous toujours tentés de considérer la forme adulte comme la forme finie, prévue d’avance par un programme, et les formes embryonnaires comme de simples  étapes  entre  deux

générations successives d’organismes adultes ? Parce que les étapes embryonnaires sont très rapides et que la forme adulte est bien plus longue (mieux conservée dans le temps). Les embryologistes affirment : Dans les premières étapes de l’embryogenèse, l’expression de certains gènes (bien sûr non encore identifiés !) impose aux cellules de se diviser très vite. Lorsque les organes sont différenciés en cellules hépatiques, cardiaques, intestinales, etc., leur cycle de division est fortement ralenti et leurs mitoses, à cause de répressions génétique par différents facteurs de transcription, sont beaucoup plus rares. Retournons l’idée ! Les cellules embryonnaires, dans un micro-environnement plein de contraintes physico-chimiques, ne peuvent conserver leur structure longtemps : Elles se divisent donc très vite, la mitose étant la solution d’une telle contradiction (voir chapitre précédent). Par suite de la complexification, les interactions « altruistes » des cellules, nécessitant des asymétries cellulaires inévitables ou différenciations, finissent par se substituer en tant que « milieu » extracellulaire-intraembryonnaire au milieu extraembryonnaire plus simple d’origine. Ce nouveau milieu, très propice à la conservation de cette nouvelle forme pluricellulaire, s’oppose beaucoup moins à la conservation particulière de chaque cellule : Celles ci se divisent donc beaucoup moins (vie plus longue).

On passe progressivement de quelques cellules « totipotentes » (c’est à dire capables de devenir n’importe  quel  type  de  cellules différenciées si on les délocalise artificiellement sur l’embryon) à de très

nombreuses cellules différenciées (stade de conservation globale de la forme pluricellulaire, résultant de l’échec de la conservation zygotique) : Là encore, c’est un saut qualitatif évident.

Parmi les potentialités cellulaires, qui préexistaient historiquement au stade pluricellulaire, celle d’accomplir  la  méiose  peut  être  laissée  à  certaines  cellules  de  l’organisme. On appellera celles-ci « cellules souches des gamètes ». Elles finissent par être, génétiquement au moins, distinctes des cellules somatiques au sein  desquelles  elles  vivent, s’en  trouvent  isolées  par  une coque et s’enrichissent en réserves pour survivre. C’est donc encore fortuitement, c’est à dire sans « préméditation », que se réunissent les conditions permettant le développement embryonnaire de la cellule-œuf[19].

Fig.7 ; Processus héréditaires chez un unicellulaire et chez un pluricellulaire. mM ; micromutations (mutations ponctuelles changeant le nombre et l’ordre des nucléotides dans un gène), MM macromutations (mutations chromosomiques changeant le nombre et l’ordre des gènes dans le génome), RC ; reproduction conforme, RA ; régénérations-différenciations-accomodations, MF ; méiose et fécondation (conservation du caryotype), C ; conjugaisons, P ; polymorphisme.

 

D’une façon générale, les processus conservateurs cellulaires, autrement dit l’hérédité cellulaire, correspondent à des innovations dépendantes des micromutations s’accumulant dans les gènes, mais se chargent de lutter activement contre ces micromutations. Les processus conservateurs pluricellulaires, autrement dit l’hérédité pluricellulaire, correspondent à des innovations dépendantes à la fois des micromutations et des macromutations ; ces processus intègrent la macromutabilité comme base de l’hérédité (ontogenèse) tout en continuant de lutter contre la micromutabilité. Moteur du polymorphisme au niveau du groupe spécifique, cette dernière reste toutefois utile et ne peut disparaître totalement (fig.7)

Notre phénotype humain ne résulte donc pas d’une destruction tendancielle des processus conservateurs du niveau cellulaire, comme cela était proposé en conclusion du chapitre précédent, mais plutôt d’une négation de ces processus ; Notre organisme reflète la négation héréditaire des activités de nos gènes, par l’activité de processus d’ordre supérieur. Etant héréditaire, reproductible, cette négation ne détruit pas les gènes, elle les conserve obligatoirement et autant que possible : l’appareil reproducteur est le lieu où cette conservation de l’hérédité cellulaire s’avère la plus propice.

 

B.   Bilan et critique destinée à une amélioration théorique

 

Le matériau de notre synthèse est théorique, autant que pratique : La science accusée, qui a nom « Théorie synthétique de l’Evolution », fournit 1) des résultats expérimentaux très variés et très documentés, même s’ils sont « orientés » et souvent travestis par des présuppositions idéologiques, 2) un système conceptuel riche, fruit d’au moins quarante ans de génétique moléculaire, ce qui représente effectivement peu, science qu’on n’hésitera pas à qualifier de bourgeoise, eu égard à son caractère idéaliste, métaphysique et à l’investissement financier, politique et médiatique dont elle bénéficie. Notre problématique est la suivante ; Il s’agit de réévaluer ce système conceptuel à la lumière d’une méthode qui, en d’autres domaines a fait ses preuves, le matérialisme dialectique.

Produit-on des vérités objectives par un travail théorique de ce type ? La question est mal posée. Les vérités objectives partent de la pratique, c’est à dire en première instance des résultats expérimentaux. Si l’existence d’une séparation étanche entre les cellules germinales et les cellules somatiques était prouvée par la pratique, nous l’admettrions. Or ce n’est pas le cas. La connaissance des théories actuelles montre qu’elles ne sortent pas « positivement » des résultats, mais qu’elles cherchent plutôt stratégiquement à s’en accommoder[20]. L’histoire  des  sciences témoigne que cette accommodation a d’abord été infructueuse[21], elle a connu ensuite une assez longue période de succès et d’enthousiasme théorique, qui s’achève aujourd’hui.

Pour autant, doit-on tout rejeter de cette science bourgeoise, à l’instar des savants occidentaux qui ont tout rejeté du lyssenkisme ? Certes non ! Marx et Engels ont-ils tout rejeté de Hegel ? Ont-ils tout rejeté de Darwin, après avoir désigné précisément ce qui en faisait un savant bourgeois ? En tant que matérialiste, on se doit d’évaluer en toute conscience des tenants et aboutissants métaphysiques de la génétique moléculaire, le bien fondé des instruments de cette théorie, avant d’en effectuer éventuellement le renversement.

 

« Analyser la nature en ses parties aliquotes, répartir les divers phénomènes et objets naturels en classes déterminées, scruter la constitution interne des corps organiques selon leurs multiples formes anatomiques, c’étaient là les conditions essentielles des progrès gigantesques que nous ont apportés ces quatre derniers siècles dans la connaissance de la nature. Seulement tout cela nous a aussi laissé l’habitude de considérer les objets et les phénomènes de la nature isolément, en dehors de leur grande connexion d’ensemble ; et, par conséquent, non pas dans leur mouvement, mais à l’état de repos, non pas comme essentiellement changeants, mais comme fixes, non pas dans leur vie, mais dans leur mort. Et cette conception, transportée, comme elle l’a été par Bacon et Locke, de la science de la nature dans la philosophie, y créa l’étroitesse scientifique des derniers siècles, le mode de pensée métaphysique. »                                                                                                                              

 F.Engels. Anti-Dühring.

 

Reste à traiter avec précaution ce qui peut ici apparaître comme une forme de relativisme. Nous n’avançons pas masqués : Le parti pris, conforme aux lois du matérialisme dialectique et entretenant un certain rapport à une pratique qui est réelle certes, mais qui n’est pas la nôtre, c’est celui d’éviter les polémiques théoriques au cours de l’analyse pour mieux en retrouver le poids au terme de celle-ci.

A conserver a priori : La ségrégation mendélienne des effets phénotypiques, pas le mendélisme (à cet égard, Timiriazev et Mitchourine en firent autant), les notions de germen, de soma, pas le weismanisme (notion idéaliste de lignées sans interaction), la réalité des succès de Mitchourine et de Lyssenko, pas le Lyssenkisme (sa critique du mendélo-weismanisme mise à part), les notions de gène, d’ARN, etc., pas la génétique moléculaire (dogme central). L’important étant de considérer ces formes, qui sont bien des formes matérielles, dans leur évolution et non dans leur structure apparemment fixe, en prenant garde qu’un nouvel agnosticisme ne surgisse de ce relativisme.

 

« Toutes les anciennes vérités de la physique, y compris celles qui furent considérées comme immuables et non sujettes à caution, se sont révélées relatives ; C’est donc qu’il ne peut y avoir aucune vérité objective indépendante de l’Humanité. Telle est l’idée non seulement de toute la doctrine de Mach mais aussi de tout l’idéalisme « physique » en général. Que la vérité absolue résulte de la somme des vérités  relatives en voie de développement ;

que ces reflets deviennent de plus en plus exacts ; que chaque vérité scientifique contient en dépit de sa relativité un élément de vérité absolue, -toutes ces propositions évidentes pour quiconque a réfléchi à l’Anti-Dühring d’Engels, sont de l’hébreu pour la théorie « contemporaine » de la connaissance. »         

 Lénine. Matérialisme et Empiriocriticisme.                                                                                                               

 

Les gènes existent, mais la génétique mendélienne agonise… Voilà qui surprendrait sans doute un Schmalhausen … un Lyssenko à plus forte raison. Le moment est venu de regarder en face la matière vivante, aussi mal décrite fut-elle, et de montrer aux gardiens du dogme ce qu’ils ignorent eux-même : Leurs reculs incessants, qu’ils vivent comme de simples compromis sans enjeu, et la compatibilité de leurs instruments théoriques fondamentaux avec le matérialisme dialectique. Une fois la ligne de démarcation tracée entre ce qu’ils ont objectivement découvert et l’exploitation idéaliste qu’ils en ont faite, cette dernière n’en aura jamais été aussi vulnérable !

 

« La science prolétarienne ne peut, sans se mutiler, rejeter tout le contenu de la science bourgeoise, mais doit tirer, dans ce contenu, ce qui doit enrichir sa propre théorie »                                          

M.Prenant. Biologie et Marxisme 1935

 

Mais cette ligne n’est ici qu’esquissée… partant d’une hypothèse de travail, notre définition de la matière vivante, qu’il s’agira de perfectionner. N’oublions pas que si des lois dialectiques émergent maladroitement et partiellement des théories idéalistes actuelles, c’est qu’elles constituent les « grains » d’objectivité de ces théories existant en fait dans la matière avant de s’élever au niveau théorique. De même les distinctions soma-germen, gènes-protéines, les barrières d’espèces, sont des concepts idéalistes mais qui émergent d’une réalité concrète de la matière comme des processus conservés à travers l’histoire de la vie : Notre définition de la matière vivante n’explique pas seulement ce qui caractérise la vie, elle explique aussi pourquoi il est (était) si facile de donner de cette matière des comptes rendus idéalistes lorsqu’elle est observée empiriquement, sans théorie matérialiste préalable… Parallèlement à son utilité purement scientifique, notre définition est donc une vigoureuse opposition à l’empirisme et au formalisme autant qu’un remède contre l’idéalisme surgissant de tout matérialisme non-dialectique.

La théorie de Darwin indique que le moteur de l’Evolution est le couple hasard – sélection. Sans oublier l’étroite relation qui existe entre le hasard (mutations « aveugles ») et la sélection (sélection naturelle « aveugle ») et le caractère provisoire de la formulation darwinienne, nous reprendrons ces concepts successivement, par soucis de clarté.

 

a.      Le statut du hasard et la question de l’autogenèse

 

Tout en étant conforme à la dialectique, le principe de causalité, relié à celui de nécessité, doit être manié avec précaution.

 

« Le caractère universel et multiple des interactions dans le monde, la causalité ne l’exprime que de façon unilatérale, partielle et incomplète ».                                                                      

Lénine. Matérialisme et Empiriocriticisme

 

La conscience des lois de la pensée dialectique permet de renvoyer dos à dos le finalisme, qu’il s’agisse d’un finalisme réductionniste ou spiritualiste, et l’indéterminisme ; définition agnostique voire franchement spiritualiste du hasard. La littérature scientifique propose différentes définitions du hasard des plus idéalistes aux plus matérialistes ; Causalité « ultra-complexe », rencontre de séries causales indépendantes, contingence (événement non nécessaire), surdétermination, hasard statistique, chaos déterministe. Admettons que la matière ne saurait être animée dans son mouvement d’une nécessité universelle, puisqu’elle n’est auto-dynamique que dans ses parties interactives, pas dans la totalité, qui recoupe ces parties sans discrimination qualitative. Ainsi le mode de production socialiste se substituera au mode de production capitaliste (mouvement autodynamique), à moins qu’un météorite géant n’extermine l’Humanité entre temps ! La trajectoire du météorite rend l’extermination de l’Humanité nécessaire, le mode de production capitaliste rend également nécessaire son passage au socialisme. On ne peut parler pour autant de nécessité du capitalisme à périr d’une telle catastrophe ! …

 

« Pas plus que la quantité et la qualité, le hasard et la causalité ne s’opposent en antithèses rigides »

Prenant.Biologie et Marxisme

« Le hasard n’est que l’un des pôles d’un ensemble dont l’autre pôle s’appelle nécessité »

                                           F.Engels. Origine de la famille, de la propriété privée et de l’état

 

C’est en ce sens que nous interprétons les transformations « fortuites », collatérales à des transformations auto-dynamiques : passage d’un niveau structural à un autre, innovations structurales, diversité des formes coexistantes de la matière vivante.

Mais c’est au niveau moléculaire, niveau invisible pour l’œil humain, donc pour lequel les tentations métaphysiques sont légion, que la notion de hasard est particulièrement polémique ; Les variations structurales individuelles naissent-elles de mutations génétiques neutres au hasard ? Le problème est celui de l’indéterminisme. La génétique moléculaire affirme que les mutations apparaissent régulièrement, accidentellement, indépendamment du milieu et de façon non-orientée. Non, les mutations n’apparaissent pas indépendamment du milieu. Mais ; oui, elles apparaissent de façon non-orientée…

Evolution génétique (accumulation d’erreurs pendant les duplications successives) et action du milieu ne peuvent en aucun cas être indépendantes ; Matières vivante et non vivante sont en interaction permanente et complexe. Ainsi, lors d’un stress environnemental, les bactéries accélèrent prodigieusement le rythme de leurs mutations génétiques en particulier sur les gènes déterminant les protéines rendues inutiles dans ce nouveau contexte : Les mécanismes conservateurs de la matière vivante sont donc antérieurs aux mutations, ils en sont l’une des conditions matérielles. La rapidité d’acquisition d’une résistance à un insecticide par une population de moustique (environ un an), montre que ces mécanismes actifs d’adaptation rapide ne concernent pas que les unicellulaires, dont la multiplication est suffisamment rapide pour surseoir à la lenteur supposée des mutations génétiques spontanées. Les exemples d’adaptation pluricellulaire sont nombreux, notamment en parasitologie. Ajoutons que ces mécanismes sont étroitement associés aux conditions environnementales, qui sont corrélativement les conditions de fonctionnement de la cybernétique cellulaire.

Dans l’exemple d’une colonie bactérienne sensible soumise à un antibiotique, les néodarwiniens affirment, pour expliquer l’adaptation, que la forme résistante est déjà représentée, et ce de façon ultraminoritaire, avant l’exposition à l’antibiotique, devient majoritaire (déplacement du phénotype moyen de la population vers cette forme, après plusieurs générations cellulaires) par la sélection naturelle. Les néo-lamarckiens affirment quant à eux que cette résistance ne préexiste pas et que le phénotype moyen s’y déplace de façon orientée lorsque la colonie est soumise à l’antibiotique. La situation réelle est la suivante : La résistance ne préexiste effectivement pas. Lorsque la colonie est soumise à l’antibiotique, le polymorphisme s’élargit fortement, mais de façon non-orientée, autour du phénotype moyen sensible ; L’une des formes créées correspond alors à la résistance. L’évolution, seulement alors, suit le modèle darwinien précédemment cité [voir schéma B.c].

Concernant les propriétés conservatrices de la cellule, rappelons deux éléments fondamentaux :

1. C’est la propriété auto-réplicative de l’ADN, inférée par sa structure chimique, qui se tient à la base des propriétés conservatrices plus ou moins raffinées de la matière vivante, dans la mesure où les gènes contrôlent le renouvellement des molécules actives de la cellule. Les mutations génétiques ont mécaniquement des effets multiples, avantageux ou délétères, sur la cybernétique cellulaire. Le contrôle des gènes sur les synthèses protéiques implique une conservation du code génétique. Celui-ci apparaît fortement anti-dialectique, puisqu’il est universel, immuable et arbitraire. Ce n’est pas le cas [voir annexe « Code génétique et spiritualisme »].

2. Si les gènes dominent la synthèse protéique, il faut admettre, à la lumière du cas considéré plus haut, que le milieu (pour les gènes, il s’agit, ne l’oublions pas, du milieu extracellulaire –l’antibiotique, qui passe d’ailleurs dans le cytoplasme- et du milieu intracellulaire non nucléique –protéines-) peut à son tour les dominer. Ceci n’est concevable que dans la mesure où il existe une cybernétique cellulaire, émergeant de la réciprocité des interactions entre toutes les molécules cellulaires. Envisageons cette cybernétique comme un ensemble complexe de contraintes fonctionnelles, garant d’un niveau de conservation supérieur à celui des gènes (a priori la moindre variation remet en cause la totalité de cette cybernétique cellulaire, cette dernière se conserve globalement ou s’avère létale sans condition). Il existerait une « loi de corrélation des molécules » apparentée à la « loi de corrélation des organes ».

Il est d’ores et déjà évident que la distinction problématique autogenèse – ectogenèse en ce qui concerne l’évolution de la matière vivante est illusoire et métaphysique. En revanche, un problème résiste encore à l’analyse : La matière vivante est-elle le siège d’une conservation de structure, comme l’indique notre hypothèse de travail, ou d’une conservation de processus ? Il est facile de localiser ce problème ; Il se tient dans la définition dialectique de la matière. On peut avoir l’impression par exemple que l’hérédité cellulaire consiste en une conservation structurale tandis que l’hérédité pluricellulaire consiste en une conservation d’un processus ontogénique. Mais, de même que la matière ne saurait être inerte, le mouvement (processus) ne saurait être envisagé sans matière. Structure, processus, nous parlons bien de la même chose. C’est le lien nécessaire entre ces deux hérédités qualitativement distinctes qui reste problématique. Signalons qu’elles sont différées dans le temps, et que leur causalité ne peut être unilatérale : La longévité d’un organisme pluricellulaire dépasse celle d’un unicellulaire. En ce sens l’hérédité pluricellulaire est un progrès. Cependant c’est l’hérédité cellulaire qui sous tend l’hérédité pluricellulaire. La cellule est plus éphémère que l’organisme pluricellulaire, mais les « mécanismes » conservateurs du niveau cellulaire survivent à ce dernier (même s’ils évoluent aussi) [voir la conclusion du chapitre précédent].

 

Il est temps de revenir sur la position à adopter vis à vis de la théorie mendélienne de l’hérédité. Mendel a découvert des lois de ségrégation indépendante de facteurs (les gènes) de génération en génération, contre le principe d’hérédité-fusion communément admise à son époque. Son mérite en a été de découvrir l’existence objective des gènes (celui de Morgan, à sa suite, fut celui de découvrir à travers les indépendances et les liaisons génétiques héréditaires, l’existence du lien matériel entre gènes et chromosomes –ou groupes de gènes liés).

Mendel, Morgan, les généticiens du développement actuels n’ont jamais travaillé que sur la transmission de caractères récessifs non adaptatifs voire délétères, c’est à dire des « non-caractères », des absences de caractères sauvages[22]. Entre l’existence de gènes particulaires dont la destruction retentit sur le phénotype sous forme de variations diverses et (retournement de l’analyse) l’existence d’un phénotype global en tant que somme discrète de caractères génétiques (les caractères ne fusionnent pas parce que les gènes ne fusionnent pas), le fossé est vite franchi, pour peu qu’on ignore la distinction dialectique du général et du particulier. Les gènes existent objectivement, mais le principe d’hérédité-fusion[23] aussi !

C’est en ce sens que le mendélo-morganisme doit être attaqué. Le phénotype global résulte d’interactions multiples : synthèse protéique dominée par des gènes, actions réciproques entre gènes (selon leurs proportions respectives et plus encore, semble t-il, leurs positions relatives), interactions ADN – ARN – polypeptides immatures – protéines, contribution collective des activités moléculaires, cellulaires et environnementales dans la réalisation des propriétés, des structures générales de l’organisme.

 

b.      Le statut de la sélection naturelle et la question de l’ectogenèse

 

D’un côté les mutationnistes partisans d’une évolution aveugle et accidentelle des êtres vivants (autogenèse), de l’autre, les sélectionnistes affirmant que c’est le « milieu » qui les « sculpte » et les transforme (ectogenèse). Avons nous à faire à deux partis scientifiques en conflit, l’erreur et la vérité, ou à une querelle de salon entre métaphysiciens acharnés ? Voilà quasiment toute l’histoire de la science de l’évolution… Ce débat poussa par exemple Filiptchenko lui même, savant soviétique du début du vingtième siècle, à distinguer en chaque espèce des caractères « organisationnels » d’une part, des caractères « adaptatifs » d’autre part : Une telle distinction, intolérable du point de vue marxiste, a néanmoins l’avantage d’expliciter la teneur d’un débat encore très actuel :

Un même milieu porte de nombreuses espèces distinctes les unes des autres. Un milieu ne sculpte donc pas une espèce idéale qui lui serait spécifiquement adaptée (ectogenèse) : Il est habité par des types préexistants tous au niveau de la biosphère mais localement transformés… Le type « oiseau » est représenté par des échassiers sur un marécage, par des manchots sur la banquise, etc. Les « caractères organisationnels » propres à l’oiseau persistent, leur « caractères adaptatifs » (miniaturisation du plumage chez le manchot, allongement des pattes et du bec chez les échassiers, …) varient.

Mais le problème reste entier : Ces deux types de caractères restent physiquement indissociables. Le plumage du manchot est un caractère organisationnel (participe à l’homéothermie propre aux oiseaux) et adaptatif (miniaturisé, il en devient hydrodynamique). Jamais nous ne sortons du problème singulier de la téléologie…

Contre la téléologie, un exemple parmi tant d’autres : Considérons un Homme adulte. Ses lèvres contribuent directement à l’usage de la parole. Les lèvres servent à la parole… Considérons l’Homme de plus loin : Grâce à la science… nous découvrons bientôt qu’il a été petit avant d’être adulte, qu’il existe bien d’autres mammifères dotés de lèvres, sans parler pour autant. En effet, les lèvres assurent une fonction primordiale, bien que transitoire, chez tous les mammifères ; celle de téter. Tirons une leçon de cet exemple. L’existence des lèvres est à la fois nécessaire pour la tétée et fortuite pour le langage. De tels exemples ne manquent pas dans la nature, et sont d’ailleurs cause depuis plusieurs siècles d’une illusion fixiste selon laquelle chaque être vivant est tellement bien adapté à son milieu qu’il ne pourrait pas évoluer sans mourir (loi de corrélation des organes). En ce qui concerne les lèvres, on ajoutera que c’est chez l’Homme qu’elles sont le plus mobile, en rapport avec l’élocution (valeur adaptative) qui lui est spécifique. Posons donc ceci :

-          Un caractère ne peut être considéré seul : Sa valeur adaptative et fonctionnelle tient à sa coexistence avec d’autres caractères (coadaptation) du même organisme (tous les autres organes de la phonation), d’un autre organisme (mamelles de la mère), du milieu physique[24] (consommation d’eau).

-          Un caractère est donc à la fois organisationnel et adaptatif, cette distinction étant tendancielle. Le développement adaptatif d’un caractère est déterminé (orienté) à partir de plusieurs potentialités initiales : D’abord la tétée, ensuite la parole. Ainsi, la fonction ne crée pas l’organe (contre Lamarck, figure de proue de l’ectogenèse), mais l’organe crée la fonction (ou plutôt des fonctions).

 

Cela ne signifie nullement que l’organe n’est pas créé à son tour. Cela ne signifie pas non plus que son perfectionnement est indépendant de la fonction nouvelle qu’il accomplit. Quelques éléments d’explication avec l’exemple des pluricellulaires…

Au niveau pluricellulaire, on soulignera les rapports entre quantité et qualité ; Toute forme discrète d’un individu apparaît au terme d’un développement conditionnant des paramètres quantitatifs. La plume du manchot est une plume dont le développement cesse très tôt (par rapport au reste du corps), le bec et les pattes de l’échassier sont des organes dont le développement se poursuit anormalement (par rapport au reste du corps). Plus que la taille, la forme de l’organe elle même résulte d’un développement différentiel de ses parties (la courbure du bec du courlis, un échassier dénichant des vers dans des terriers courbes, résulte de son accroissement plus rapide en face dorsale qu’en face ventrale). En aucun cas on ne peut affirmer que de tels caractères sont « virtuellement » présents dans les gènes de la cellule-œuf. Ils ne sont présents nulle part avant leur fixation apparente, et ne peuvent résulter que d’interactions auto-ectogénétique pendant le développement général de l’individu. Pas de préformisme… Reprenons ici à notre compte l’idée de Waddington selon laquelle le développement est un chemin traversant un ensemble complexe de contraintes épigénétiques. Ce chemin fait partie intégrante de l’hérédité pluricellulaire au même titre que l’hérédité cellulaire (son niveau inférieur). Les contraintes (contradiction  entre  tendances  internes  au  développement  spatial  et obstacles extérieurs)

explique les développements différentiels de la morphologie d’un individu, en dehors de toute téléologie. Chaque forme donne lieu a priori à une infinité de potentialités fonctionnelles.

On connaît la capacité qu’a une bouture de néoformer des racines et des feuilles, celle du lézard à régénérer partiellement la queue qu’il a perdu. De telles capacités, montrant que le passage qualitatif cellules totipotentes – cellules différenciées n’est pas absolument irréversible, même au stade adulte (surtout chez les animaux primitifs ; les vers doués de scissiparité par exemple), peuvent être rapprochées de celle qu’a la cellule-œuf de former un organisme pluricellulaire entier. Un ensemble de cellules se développe dans trois champs de contraintes :

1.                          Les potentialités propres des cellules (remarquons que l’environnement d’une cellule est son milieu extracellulaire mais aussi l’état initialement hérité de son cytoplasme).

2.                          L’environnement organique direct (réserves extra-embryonnaires, reste de l’organisme, organisme maternel)

3.                          L’environnement inorganique extra-corporel.

Ces trois champs sont indissociables : Quel marxiste désignera l’un d’eux à l’exclusion des autres, sous le terme de sélection naturelle ? Néanmoins : Le premier champs correspond à l’hérédité cellulaire, ou conservation de la totipotence équivalent au stade unicellulaire. Le second correspond à l’hérédité pluricellulaire, ou reproduction d’un processus complexe, amenant les cellules à des stades différenciés, et l’organisme à des formes « achevées » accomplissant leurs fonctions. La seule réussite de la conservation cellulaire est de laisser au moins quelques cellules au stade totipotent ; les gamètes. Le premier et le second champs consistent à donner à l’individu en développement un milieu « stable » (reproductibilité), même si chacun de ces champs est affecté d’instabilités à plus ou moins long terme. Le troisième champs n’est pas le plus stable (évolutions climatologiques, géologiques, géographiques). Les néodarwiniens l’appellent le « milieu », l’acteur d’une sélection naturelle aveugle. Il a pourtant lui aussi, il faut le remarquer, une part de stabilité : chez les animaux ovipares par exemple, le milieu du développement des œufs est choisi par les parents sur de tels critères.

Ainsi le développement de l’organisme dépend d’une contradiction dynamique entre conditions stables et conditions changeantes du milieu (trois champs). Nombreuses sont les conditions changeantes de ce milieu qui ne sont pas en interaction avec l’organisme : en particulier les conditions climatiques et géologiques. L’évolution des espèces passe inévitablement par le dénouement incessant de cette contradiction[25].

L’organe apparaissant avant la (les) fonction(s) historiquement (et embryologiquement), la sélection naturelle ne peut orienter le phénotype (organes fonctionnels) vers une meilleure adaptation. Nous considérerons l’orientation sous un autre angle [voir annexe « Deux tabous : Convergence et Orthogenèse »].

Quand, dans notre contradiction, les conditions changeantes deviennent prépondérantes par rapport aux conditions stables, une réadaptation de l’espèce devient nécessaire, au sens strict du mot. Ce que les néodarwiniens opposent sous les termes mutagenèse et sélection naturelle, ne constituent qu’une seule et même pression désorganisatrice, « anonyme », appliquée sans distinction sur deux niveaux structuraux à la fois.

Au niveau de l’organisme pluricellulaire, le milieu, qui met en mouvement tout le processus ontogénétique, est remis en question : L’individu, conservant les modalités de conservation cellulaire, réagit en changeant (le moins possible et en rapport avec l’importance du stress). Les changements sont non-orientés et très variés (voir la partie précédente sur l’autogenèse). Telle est la mutagenèse[26].

Au niveau du groupe spécifique, le milieu changeant décime la population (morts brutales ou baisse démographique par hausse de la mortalité et baisse de la natalité). Toutes les formes deviennent minoritaires. La variation la plus adaptative venant d’apparaître et minoritaire  comme les  autres,  deviendra de fait majoritaire en relativement peu de générations, permettant seule le re-développement de l’espèce (alors modifiée). Telle est la sélection naturelle.

Cette fusion conceptuelle mutagenèse / sélection naturelle apporte un complément important à notre théorie : La contradiction conditions stables / conditions changeantes est antagoniste :

-          Les conditions changeantes finissent toujours par dominer les conditions stables.

-          Cette prépondérance crée une accumulation quantitative de modifications structurales chez les individus d’une population menacée par le changement, toutes minoritaires, donc incapables de conquérir « nécessairement » la population entière (en déclin). Une forme avantageuse ultra-minoritaire dans une population très nombreuse, ne se répandra en effet dans cette population qu’après une quantité incalculable de générations : Plus le temps de cette conquête est long, plus elle est en proie à des évènements extérieurs fortuits.

-          En décimant la population, la forme avantageuse ne sera plus minoritaire et deviendra ultra-majoritaire en peu de générations : C’est un saut qualitatif nécessaire.

 

Marx et Engels acceptaient le couple hasard-sélection comme explication provisoire de la spéciation. Provisoire, cette formule l’était en effet : Nous n’avons pas nié les variations inter-individuelles –ou polymorphisme-, celles-ci n’échappent pas à la causalité, elles résultent au contraire des modalités mêmes de la conservation du groupe spécifique (espèce). Nous ne nions pas non plus la sélection naturelle ; Nous indiquons simplement qu’il existe un conditionnement réciproque direct entre celle-ci et le polymorphisme (variation inter-individuelle) : Ce n’est pas le « milieu extra-corporel » mais l’« inadéquation espèce-milieu » -ou stress- qui effectue la sélection naturelle, non pas par un simple tri des individus les meilleurs mais par un processus nécessaire qui en décimant quantitativement la population finit par accélérer l’extension des nouvelles formes individuelles les plus adaptées (réponses individuelles non « préméditées » à ce stress, c’est à dire à l’inadaptation) à la micro-population (nouvelle espèce).

Notons enfin, et l’enjeu est important, qu’il existe une lutte intra-spécifique dans le cadre du saut qualitatif parmi les « survivants » de l’espèce. Cette « lutte du plus apte pour sa survie » pour employer les termes de la science bourgeoise, magnifiée par les néodarwiniens comme une loi naturelle, n’est bien sûr qu’une loi relative à un contexte donné[27].

S’adressant à Friedrich Lange, sociologue et philosophe allemand membre de la première internationale, qui soulignait le caractère bourgeois des concepts darwiniens, notamment de la loi de la sélection naturelle, Engels fit la remarque suivante :

 

« Moi aussi j’ai été frappé, à la première lecture de Darwin, par la ressemblance frappante entre sa présentation de la vie végétale et animale et la théorie de Malthus. Seulement j’en ai tiré une autre conclusion que vous, savoir : que ce qu’il y a de moins glorieux dans le développement bourgeois contemporain, c’est qu’il n’a pas encore dépassé le niveau des formes économiques du règne animal. Pour nous, ce qu’on appelle les « lois économiques » ne sont pas des lois éternelles de la nature, mais des lois historiques, qui naissent et disparaissent, et le code de l’économie politique moderne, dans la mesure où l’économie l’établit vraiment de façon objective, n’est pour nous que le résumé de l’ensemble des lois et des conditions qui seules permettent à la société bourgeoise moderne de continuer d’exister, en un mot : l’expression abstraite et le résumé de ses conditions de production et d’échange. »                                                                     

F.Engels. Lettre à F.Lange, 29 mars 1865.

 

c.      Un modèle simplifié du processus de spéciation

 

Barrière gène-prot

 

Correction mutation

 

 

Fig.8 ; Mécanisme général d’une spéciation. M ; milieu initial, M’ ; milieu final, SN ; sélection naturelle, Quant ; modification quantitative, qual ; modification qualitative, W ; travail des organismes sur leur milieu commun, EG ; effet de groupe (stabilisateur), d ; décimation, e ; expansion, Type A ; population polymorphe autour de l’archétype A, Type B ; population polymorphe autour de l’archétype B. Les graphiques ne rendent pas compte de l’irréversibilité de la transformation A B (Loi de Dollo, réhabilitée par Gould)

 

Nous prendrons volontairement la spéciation sous son cadre le plus général, en tant que processus marqué par des étapes schématiques, « fixées » pour l’occasion. Une telle description (fig.8) se destine à identifier chaque aspect de la transformation sous sa forme la plus simple et la plus exagérée ; il faut toutefois garder à l’esprit le caractère complexe du processus général et conséquemment le caractère particulier et unique de chaque exemple de spéciation. Ces aspects sont à tel point inter-dépendants et mouvants qu’une formule exhaustive purement mécanique de la spéciation ne saurait exister aux yeux d’un dialecticien.

Suivons les étapes principales de la transformation d’une espèce A en une espèce B (qu’elle soit micro ou macro-évolutive) :

a. L’espèce A occupe un milieu M (milieu physique, espèces prédatrices, ressources organiques et minérales, constructions de l’espèce A) qui contrarie peu son développement quantitatif et qu’elle modifie peu : apparente stabilité résultant d’une situation passée au cours de laquelle l’activité assimilatrice A→M et l’action sélective M→A ont façonné une co-adaptation A↔M optimale. Le polymorphisme de l’espèce s’en trouve particulièrement restreint, organisant celle ci autour d’un type moyen sur-représenté, nommé « type A ».

b. Ce milieu vient à changer qualitativement, de façon contingente (rencontre brutale d’une série causale indépendante de A↔M) ou nécessaire (situation où l’équilibre adaptatif relatif est impossible du fait des caractéristiques propres à A ou à M : l’accroissement progressif de ce déséquilibre A→M > M→A [surpeuplement et excès consécutif de transformation du milieu] ou A→M < M→A [adaptation trop spécialisée, polymorphisme trop affaibli, donc trop fragile vis à vis des moindres fluctuations environnementales] suscite une inadaptation brutale).

c. Dans le cas où cette brusque inadaptation ne provoque pas l’extinction totale de l’espèce A, celle-ci subit au moins une décimation forte (modification quantitative). Chaque individu de la population souffre alors d’un stress causé indissociablement par l’inadaptation A│M’ elle même et par l’amoindrissement de l’« effet de groupe » (dont l’activité a normalement pour effet d’atténuer cette inadaptation).

d. Le stress retentit à tous les niveaux d’intégration de l’espèce A, détruisant partiellement les processus compensateurs de celle ci : mécanismes correcteurs (α) préservant le génome des mutations, barrière ADN-Protéines (β) protégeant le génome de la rétro-action des produits de gènes, barrière soma-germen (γ) protégeant les cellules germinales de l’influence somatique, et barrière reproductive (δ) empêchant à la fois l’hybridation inter-spécifique (homogénéisante) et l’« auto-fécondation » (hétérogénéisante), ne fonctionnent plus correctement.

e. A toutes les échelles, la variabilité explose, non directionnelle aux échelons inférieurs, mais directionnelle aux échelons supérieurs : l’ADN subit de profonds remaniements, intra et inter-géniques, aléatoires et abondants (α), une rétro-action des produits inactifs en excès ou sur-actifs en carence sur une partie ponctuelle du génome cible nécessairement les zones génétiques les plus directement corrélées à l’inadaptation A│M’ sans toutefois diriger leurs transformations (β), spatialement ces modifications seront préférentiellement (mais pas seulement) localisées au niveau germinal (γ), enfin, la typologie qui prévalait pour l’espèce A n’empêche plus des individus A1, A2, Ax, B ou C issus de A, même en uniques exemplaires (qui auraient été condamnés à rester sans descendance avec la barrière d’espèce), d’être interféconds (δ) : Les transformations sont donc extrêmement variées et toutes potentiellement transmissibles aux générations suivantes.

f. Chaque mutant deviendra d’autant plus vite majoritaire que, d’une part, le nombre d’individus décroît et que, d’autre part, la stratégie de reproduction sexuée s’intensifie, traversant le crible de la sélection naturelle. Celle ci n’est plus alors (seulement) déséquilibrante, mais (aussi) stabilisante : les formes nouvelles subissent cette sélection au niveau moléculaire (la reconstitution d’un nouveau génome doit répondre aux nombreuses contraintes de l’infrastructure cellulaire, que celles ci aient superficiellement ou profondément changé), au niveau cellulaire (tri des embryons viables) et au niveau de l’organisme (sélection des individus selon leur valeur adaptative).

g. On passe donc d’un changement quantitatif (décimation et conséquemment excès de ressources dans le milieu dépeuplé) à un changement qualitatif (prépondérance d’autant plus rapide d’une forme co-adaptée B↔M’ dans la population A’ que celle ci se dépeuple en forme A), sous l’influence d’un nouveau milieu M’ lui même re-stabilisé par l’activité de B, formant bientôt le « type B ». Les barrières multipolaires s’étant progressivement reconstituées sous l’effet de la pression sélective stabilisante de M’, les formes hégémoniques B constituent à cette occasion une nouvelle espèce, qualitativement (typologiquement) distincte de l’ancienne espèce A.

 

C.   Conclusion

 

Les uns auront tendance à ne voir dans cette analyse qu’une opposition systématique aux thèses indéterministes à la mode, les autres au contraire un retour honteux au « réductionnisme » d’antan.

Notre essai s’inscrit pourtant en toute légitimité dans la crise actuelle du néodarwinisme, et ce pour deux raisons au moins. La première tient à la pratique scientifique elle même : bornée comme nous l’avons vu entre le holisme d’avant-garde et le déterminisme d’« arrière garde », elle s’oriente provisoirement mais nécessairement vers des conceptions dialectiques inédites et prometteuses, offrant malgré elle à notre analyse l’opportunité de nombreuses découvertes renvoyant dos à dos réductionnisme et indéterminisme. La deuxième renvoie aux contradictions qui enferment l’idéologie officielle dans un rejet de toute synthèse dialectique explicite : une telle synthèse la précipiterait à coup sûr dans l’impasse qu’elle cherche inconsciemment et vainement à éviter, voire à taire.

 

Arguments issus de la pratique

 

L’étude de la lignée humaine, c’est à dire des mécanismes qui ont historiquement donné naissance à notre espèce, devient apparemment l’axe d’avant garde des sciences de l’évolution, l’exemple phare qui influence la théorie évolutionniste dans son ensemble.

Or la paléoanthropologie vacille aujourd’hui, pour des raisons multiples et indépendantes. Profitons de ce contexte et citons en trois, dont la portée dépasse objectivement le cadre de la seule lignée humaine.

 

α. Sur l’arbre de l’évolution, on s’accorde à définir la lignée humaine comme l’ensemble des fossiles qui sont plus apparentés morphologiquement à l’Homme moderne qu’au chimpanzé (le chimpanzé étant l’espèce actuelle qui nous est la plus proche génétiquement et morphologiquement). Ainsi l’australopithèque, pourtant très simiesque, est plus étroitement apparenté à l’Homme qu’au chimpanzé parce qu’il est bipède permanent (libération des bras et conséquemment développement de l’intelligence par la conception et la manipulation d’outils). A partir de l’ancêtre commun théorique à l’Homme et au chimpanzé, l’émergence accidentelle de la bipédie permanente sous tendrait le « buissonnement » ultérieur de la lignée humaine. Bipédie accidentelle et développement non linéaire de la lignée sont les bases de l’indéterminisme actuel dans les conceptions anthropologiques.

Or une découverte fort irritante commence à se faire écho dans la presse scientifique ; les plus anciens bipèdes permanents connus à ce jour, Tumaï et Orrorin sont datés respectivement à –7 et –6 millions d’années, grâce à des méthodes de plus en plus précises et rigoureuses. Selon des calculs de plus en plus exacts eux aussi, relatifs aux comparaisons entre les ADN d’Homme et de chimpanzé actuel, l’ancêtre commun théorique Homme/chimpanzé, qui n’est donc pas encore bipède permanent, ne peut être antérieur à –5 millions d’années !

Première conséquence ; Tumaï et Orrorin n’appartiennent pas à la lignée humaine et furent donc des « impasses évolutives ». Deuxième conséquence ; la bipédie permanente, qu’on postulait accidentelle, est donc apparue plusieurs fois dans l’histoire évolutive des primates. Troisième conséquence ; si la bipédie est apparue plusieurs fois, elle n’est donc pas accidentelle… elle était au contraire nécessaire ! Autrement dit, tout nous pousse à considérer que si l’Homme n’était pas apparu, d’autres espèces bipèdes permanents et intelligentes auraient émergées à sa place !

En fait ce type de découverte n’est pas nouveau ; celle ci est simplement beaucoup plus précise parce que plus récente. On sait par exemple que de nombreuses familles de poissons sans aucun lien de parenté entre elles, sans parenté non plus avec les premiers tétrapodes (batraciens) ont acquis des poumons fonctionnels en plus de leurs branchies (plus ou moins régressées) ou des structures analogues rendant possible la vie hors de l’eau. Autre exemple ; l’Archéoptéryx, petit « dinosaure » doté de plumes et d’ailes, n’est pas apparenté aux premiers oiseaux (dont le bassin est de type ornithischiens) qui lui sont pourtant contemporains. Autre exemple encore ; la classe des batraciens n’a pas un seul ancêtre commun, mais au moins deux, malgré son apparente homogénéité morphologique.

Autant de transformations qui semblent donc « nécessaires », c’est à dire non accidentelles… Autant d’affronts à l’arrogance de l’avant garde indéterministe !

 

β. Le perfectionnement des méthodes de datation commence de plus à relativiser le modèle buissonnant de la lignée humaine, au profit d’un arbre beaucoup plus complexe de séparations-hybridations entre espèces proches. C’est le modèle « tokogénétique ».

Le dogme typologique est donc aujourd’hui en sérieuse difficulté ; rappelons que si des hybridations naturelles sont possibles entre espèces distinctes, cela veut dire que 1) les barrières d’espèces sont des processus objectifs autant que « contournables » et admettent donc dialectiquement leur contraire, 2) Mitchourine et Lyssenko avaient raison !

 

γ. L’Homme et le chimpanzé ont des génomes homologues à plus de 99%. Pire ; la plupart de leurs gènes le sont carrément à 100%. De plus, une différence de 1% étant bien sûr relative à la quantité de gènes du génome, on rétorquait à l’inacceptable découverte que 1% d’un très grand nombre de gènes représente malgré tout une différence non négligeable : Or ce nombre, déterminé récemment, est finalement particulièrement réduit (l’Homme possède par exemple autant de gènes qu’une simple mouche)

Découverte complémentaire : Ce 1% de différence réside essentiellement dans des séquences spéciales souvent situées hors des gènes (entre les gènes ou dans les introns) et impliqués dans les transpositions génétiques c’est à dire la duplication (quantitative) de certains gènes en fonction des besoins ponctuels et la réorganisation spatiale (qualitative) des gènes entre eux.

La distinction évolutive Homme/chimpanzé concerne donc moins l’accumulation de mutations ponctuelles accidentelles dans les gènes, ce « moteur de l’évolution » qui fait aujourd’hui encore l’unanimité, que la réorganisation indissociablement quantitative et qualitative des gènes entre eux.

Preuve est donc faite que des mécanismes compensateurs perfectionnés (ici les transpositions) dominent les mutations ponctuelles (base du néodarwinisme) dans les processus moteurs de l’évolution biologique. Autrement dit, le couple hasard/sélection d’apparence indéterministe est donc en fait un mode évolutif englobé dans un processus plus large qui lui est contraire ; la propriété (vainement) auto-conservatrice de la matière vivante.

Précisons ici qu’une expérience récente (citée dans La Recherche 377, juillet-août 2004), « révolutionnaire » mais si peu médiatisée dans sa signification théorique, donne à notre modèle un poids inespéré : Lorsqu’une souris mâle est soumise à un air pollué (stress), sa « lignée germinale » (cellules qui se divisent le plus intensément dans son organisme, pour produire des spermatozoïdes en permanence, et qui subissent donc potentiellement le plus de mutations) mute sélectivement sur des « points chauds » (sic) de l’ADN. Ces points chauds ne se tiennent pas au niveau des gènes, mais précisément sur des séquences non codantes dirigeant duplications et recombinaisons spatiales des gènes dans le noyau. Faut-il préciser qu’affectant préférentiellement la « lignée germinale », et ce de façon sélective mais non orientée (l’ADN ne mute pas aveuglément mais sur des portions précises, cependant que les mutations elles mêmes sont aveugles : c’est la très grande quantité des spermatozoïdes produits qui rend possible l’élection d’une recombinaison non seulement viable mais aussi meilleure), ces mutations sont de fait héréditaire.

De quelques théories fondées sur la pratique actuelle, hétérodoxes mais aussi très ponctuelles et cloisonnées, peuvent germer des développements encourageants de notre synthèse dialectique : Théorie tokogénétique (Henning, T.Holliday) sur les hybridations évolutives, théorie des « niches morphologiques » (C.Morris)[28] affirmant que les morphologies compatibles avec la vie ne sont pas infinies et que seules quelques unes conviennent à tel ou tel milieu (tentative d’explication des processus de convergence évolutive), théorie des transitions majeures (JM.Smith) qui argumente impeccablement la complexification croissante du vivant et tente une modélisation dialectique égoïsme/coopération des transitions historiques entre niveaux d’organisation du vivant (uni/pluricellulaires, auto-organisation des systèmes mutualistes en général). Autant d’arguments contre les indéterministes incurablement allergiques aux notions de complexification croissante et de nécessité évolutive.

 

Synthèse incompatible avec l’idéologie

 

Notre synthèse se fonde à la fois sur le néodarwinisme finissant et sur les théories alternatives plus ou moins implicites d’aujourd’hui. Elle n’est donc concrètement possible qu’aujourd’hui. Cependant elle est aussi plus inacceptable pour la biologie actuelle qu’elle ne l’aurait été il y a trente ans, à l’apogée du néodarwinisme (exception faite bien sûr de notre étude du lyssenkisme). La raison en est simple ; elle se réfère au néodarwinisme, à la génétique moléculaire autant qu’aux thèses antagonistes de Kupiec et Sonigo. Mieux ; elle ne se rapporte finalement ni à l’une ni à l’autre, chacun des camps se construisant isolément en opposition métaphysique à l’autre, c’est à dire contre toute synthèse.

Ainsi l’hérédité cellulaire est bien conçue comme l’émergence de processus auto-réplicatifs dont le perfectionnement, l’extrême raffinement, résultent à l’origine d’un pur hasard/sélection à l’échelle moléculaire. Cette hérédité cellulaire procède donc comme le prévoit le néodarwinisme, à ceci prés que la vertu auto-réplicative des acides nucléiques précède le processus darwinien de hasard/sélection. Ce dernier ayant progressivement mis en place des mécanismes conservateurs de plus en plus perfectionnés, ils ont devancé puis dominé le processus hasard/sélection (saut qualitatif) dans tous les développement de l’histoire de la vie. L’évolution fut dés lors gouvernée par les contradictions internes à ces mécanismes conservateurs eux mêmes.

Cette histoire de la vie n’est pas pour autant devenue anti-darwiniste. Le processus hasard/sélection, partiellement dominé dans les termes que nous avons précisé plus haut par les mécanismes conservateurs, est toujours préservé comme une stratégie privilégiée d’évolution (ce n’est pas la seule) bien qu’inféodée à la propriété conservatrice fondamentale de la matière vivante. Le processus de « conservation des propriétés conservatrices » interrogé dans le chapitre précédent répond donc à la loi dialectique bien connue et combien polémique (chez les maoïstes en particulier) de négation de la négation…

A ce stade très « finaliste », ce sont les sonigiens et autres indéterministes qui grimassent de dégoût. Pourtant l’hérédité pluricellulaire, fondée sur un renversement dialectique non total des processus de l’hérédité strictement cellulaire, devraient plaire à ces derniers ; elle se fonde sur une négation de tous les dogmes de la génétique moléculaire (distinction soma-germen, barrière d’espèce, stéréospécificité moléculaire). Malheureusement cette négation finaliste des dogmes n’est qu’en apparence analogue à leur négation indéterministe.

Voilà donc une théorie sans camp, construite à l’heure où les camps n’ont plus de théorie (c’est à dire de synthèse théorique réelle) !



[1] Il est clair aujourd’hui par exemple, même si nombre de savants refusent encore de l’admettre, qu’un même gène peut produire plusieurs types d’ARNm, par recombinaisons différentielles de ses exons, donc plusieurs types de protéines à vocations fonctionnelles différentes…

[2] Une référence de la presse universitaire (La Cellule, p.329.DM.Prescott) concède au sujet d’une expérience analogue de clonage : « Si le noyau transplanté est prélevé sur une grenouille adulte et non plus sur un têtard, le développement est également induit. (…) Après la transplantation dans une cellule-œuf anucléée, la réplication de l’ADN et la transcription sont réactivées dans le noyau de l’érythrocyte [cellule somatique hautement différenciée de la grenouille]. Le développement se déroule jusqu’au têtard mais pour une raison inconnue, les têtards formés en transplantant un noyau de grenouille adulte ne se métamorphosent pas en grenouille (ce n’est pas le cas si le noyau provient d’un têtard). Il est clair, néanmoins, que le noyau d’une cellule différenciée contient dans les deux cas, tous les gènes nécessaires pour produire tous les autres types de cellules différenciées. On peut penser cependant que les cellules adultes peuvent ne pas contenir certains gènes nécessaires à la métamorphose des têtards en grenouilles. »

[3] Une cellule dont les chromosomes sont en triple ou en quadruple exemplaire (voire plus) et non en double (traitement à la colchicine faisant obstacle à la disjonction des chromosomes pendant les mitoses) est dite polyploïde.

[4] Alexandre Oparin (chimiste soviétique 1922) marque le début historique des recherches concernant l’origine de la vie. (Au passage, on fait toujours référence au célèbre Oparin en dissimulant sa fidèle conviction lyssenkiste !)  Il propose une théorie qui reste la base des recherches actuelles, selon laquelle les molécules organiques qui composent les êtres vivants se seraient formées au cours d’une évolution chimique déterminée. Si la génération spontanée est impossible aujourd’hui, c’est que la vie elle même a profondément transformé l’environnement terrestre, en particulier en enrichissant l’atmosphère en dioxygène.  Pour lui, les molécules organiques qui apparaissent dans la soupe primitive s’assemblent rapidement (polymérisation) en « coacervats » (vésicules) précurseurs des cellules.

Position actuelle (voir par exemple La Recherche n°336) : Un cas particulier de molécules auto-réplicatives est celui de l’ARN, intervenant dans la transmission du message génétique (ADN) au sein de toutes les cellules vivantes actuelles. Leur ubiquité, et leur probable antériorité sur les importants composants que sont l’ADN et les protéines, ont conduit au développement de modèles de « monde à ARN » : La vie serait apparue sous forme de molécules d’ARN en solution dans l’eau. Les ARN en effet, sont à la fois doués d’auto-réplication et d’activités enzymatiques (« ribozymes »). De ce monde à ARN aurait émergé un fractionnement stabilisateur mettant d’un côté les molécules enzymatiques (protéines) de l’autre les molécules autoréplicatives (ADN), les ARN eux-mêmes restant, au niveau de la synthèse protéique la matrice de traduction des protéines (ribosomes).

[5] Au sujet d’une définition de la vie, nécessaire par exemple aux savants à la recherche de formes de vie extra-terrestre, voici le point de vue du programme d’exobiologie de la NASA (2000) : « La vie est un système chimique auto-entretenu capable d’évolution darwinienne ». On notera ici l’innocence d’une telle définition ; Nous sommes loin d’affirmer que ce système évolue parce qu’il est auto-entretenu !

[6] Le prion, agent infectieux de l’ESB, par exemple, est une protéine (pas d’acides nucléiques) dont la forme particulière est auto-catalytique, c’est à dire qu’en présence des mêmes protéines naturellement produites par l’hôte, sous une autre forme (fonction inconnue !), elle les transforme en prion (réactions en chaîne).

[7] Phénomène troublant mais argumenté par l’observation [D.Lee, 1996. Nature, 382]

[8] On sait aujourd’hui que la régulation directe des gènes par des segments d’ARN (plutôt que par les sempiternels facteurs protéiques) n’est pas à exclure. On en  connaît au moins un cas [La Recherche n°313, p 19].

[9] G.Wächtershäuser a montré que le ribosome (complexe d’ARNr) qui dans les cellules actuelles produit des protéines à partir d’ARNm, aurait eu pour fonction initiale de contribuer à la chaîne de production de l’uracile, un des nucléotides composant précisément les ARN (voir La Recherche n°336).

[10] Voir le chapitre précédent : La matière vivante telle qu’elle se présente aujourd’hui se structure sous quatre formes générales de la plus inférieure (cellule) à la plus évoluée (biosphère). Tandis que les cellules procaryotes (bactéries) forment des quasi-espèces (barrières d’espèce difficiles à mettre à jour et hybridations souvent possibles), les unicellulaires eucaryotes, plus évolués, se comportent comme les pluricellulaires, au stade ultérieur, c’est à dire en utilisant la reproduction sexuée et formant des espèces bien distinctes.

[11] Etonnante remarque concernant un animal de laboratoire très étudié (Coenorhabditis elegans) : Cet animal double sa durée de vie lorsqu’on l’ampute de toutes ses cellules sexuelles (« lignée germinale »)… [Hsin et Kenyon, 1999. Nature, 399]

[12] A titre d’illustration, si on injecte à un homme ses propres spermatozoïdes (dans les tubes séminifères du testicule, ils sont normalement à l’abri du système immunitaire), ceux-ci sont distingués du « soi » et détruits par les globules blancs. Les gamètes résultant d’une méiose ont bien un phénotype cellulaire différent des cellules du « soi » qui leur ont donné naissance.

[13] La diploïdie confère à l’individu une conservation temporelle plus efficace que l’haploïdie comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent (variabilité génétique et structures compensatrices).

[14] Pour faire référence aux hybridations végétatives interspécifiques par greffes de Mitchourine, notons qu’en tant que processus de lutte, ces barrières d’espèces peuvent donc être contournées artificiellement. Preuve qu’il s’agit d’un processus tendanciel et actif, et non d’un état immuable.

[15] Même chez les animaux les plus primitifs, les spongiaires –ou éponges-, deux individus artificiellement collés l’un à l’autre se nécrosent sur leur zone de contact, même si leur système immunitaire est lui-même extrêmement primitif. Notre convention atteint ses limites avec les végétaux par exemple, chez qui des greffes interspécifiques peuvent ne provoquer aucun dégâts.

[16] Par gamétogenèse, on entend non seulement la méiose mais aussi l’ensemble des mécanismes parentaux qui déterminent la forme et les propriétés cytoplasmiques des gamètes (directement liées déjà à l’ontogenèse ultérieure).

[17] Ainsi le vitellus a pour rôle principal d’être la réserve matérielle et énergétique de l’embryon, mais aussi pour rôle secondaire (fortuitement) de contribuer à l’asymétrie cytoplasmique sans laquelle l’embryogenèse n’aurait pas lieu.

[18] Une fois encore ; simple ne signifie pas facile à comprendre mais point de départ d’une complexification.

[19] Remarquons qu’il existe ici des liens logiques/contradictoires entre notre hérédité cellulaire, d’inspiration « dawkinsienne » et notre hérédité pluricellulaire, d’inspiration « sonigienne ». Ces liens coupés par Dawkins autant que par Sonigo, chacun s’enferme nécessairement dans ses élucubrations idéalistes.

[20] La présente analyse est-elle coupable à son tour d’une telle accommodation ? Aux yeux de nos adversaires, sans aucun doute… Mais à la différence des idéalismes, la matérialisme dialectique n’avance pas masqué, propose des lois précises, et ne choisit pas arbitrairement les concepts et les résultats pratiques qu’il exploite. Ces résultats sont d’ailleurs comme on a pu le constater, gênants à première vue pour un marxiste, et non orientés, triés subjectivement. Voir chapitre 8, pour une théorie marxiste de la connaissance plus explicite.

[21] Pour la période précédent les années soixante, citons deux revues renommées et insoupçonnables de marxisme: « Nous avons créé en Grande Bretagne des races utiles, précieuses, de gros bétail, de moutons, bref, de toutes sortes d’animaux de ferme. Reconnaissons tout d’abord que la génétique n’a joué aucun rôle dans la différenciation et l’établissement de ces races. Soyons francs : La génétique n’a encore à son actif aucune réalisation pratique » . Farmer and Stock Breeder (revue anglaise) 1947. Jean Blamont écrit à propos de la culture de la vigne : « Seule une pratique hésitante nous guide. Il faut bien avouer que nos méthodes de perfectionnement des qualités de la vigne ne se sont pas améliorées depuis cent ans : Nous avons résolu des problèmes, mais sans qu’aucune théorie cohérente puisse nous permettre de prévoir les résultats de nos expériences ». Europe (française), 1949.

[22] Mendel menait ses études sur le pois : Pois ridé = inapte à être lisse, rayé = inapte à être totalement pigmenté. Morgan travaillait sur la Drosophile : Mouche à ailes vestigiales = inapte à former des ailes fonctionnelles, mouche à yeux rouges = dont un des pigments ne peut plus être produit. La Drosophile est également utilisée pour la recherche embryologique : Mouche antennapedia (une paire de pattes supplémentaires sur la tête, à la place des antennes) = mouche incapable de respecter le processus ontogénétique habituel, etc.

[23] Le fait qu’on ne peut séparer les aspects quantitatifs et qualitatifs du noyau au niveau des hérédités cellulaire et pluricellulaire rend métaphysique cette notion mendélienne d’hérédité particulaire qui exclue celle d’hérédité-fusion.

[24] Première problématique contrecarrée : La distinction métaphysique être vivant – milieu : La distinction qualitative se fait par un processus, elle n’est pas immanente. Le milieu d’un individu, c’est ce qui lui est extérieur (congénères, ressources, conditions) et ce qui lui est intérieur (interactions cellulaires, interactions entre organes, etc.) : Ce qui lui est supérieur (groupe spécifique, biosphère) et ce qui lui est inférieur (cellules) indifféremment.

[25] L’évidence de cette proposition n’a pas échappé aux généticiens modernes : Ceux ci parlent aujourd’hui de plus en plus d’une flexibilité dans les rapports génotype – phénotype : Un génotype ne déterminerait pas un seul phénotype mais plusieurs possibles (« norme de réaction » du génotype) dont celui qui se réalisera n’en est que le mieux adapté par rapport au milieu…

[26] Elle intéresse le niveau cellulaire : Le stress induit des réactions cellulaires non orientées en différents points de la cybernétique cellulaire (structure intra-génique, chromosomique, effet de position et amplification génique, réajustement des fonctions inférées aux gènes, aux ARN, aux polypeptides et aux enzymes). On peut parler de norme de réaction pour la cellule comme pour l’organisme pluricellulaire. De même, une « loi de corrélation des molécules », impose un changement par saut (réajustement fonctionnel de toutes les parties de la cellule en une nouvelle cybernétique ou mort cellulaire : Tout ou rien). On remarquera qu’un tel réajustement discrédite la notion de stéréospécificité (une molécule de forme donnée n’a qu’une fonction), à l’image de la multi-fonctionnalité des organes au niveau pluricellulaire.

Enfin, ces réarrangements se traduisent corrélativement au niveau des chromosomes par la transformation du caryotype : Une fécondation ne pouvant se réaliser qu’à partir de deux gamètes de même caryotype, c’est ainsi qu’une barrière d’espèce finit de s’ériger lors du saut qualitatif. La barrière d’espèce est ici un effet collatéral du saut qualitatif (spéciation) et non l’inverse !

[27] Un exemple de concurrence intra-spécifique évident : Les orangs-outangs sont solitaires et se partagent des territoires définis de la forêt qu’ils défendent farouchement. Les éthologues spécialistes de cette espèce savent qu’ils ne sont solitaires que dans des forêts pauvres en ressources. Dans une forêt prolifique, ils reviennent naturellement à une vie grégaire. Autre exemple, les suricates ne s’organisent en communautés se divisant le travail (exemple : Guetteurs autour du terrier) que lorsque les ressources alimentaires sont suffisamment abondantes (La Recherche n°323).

[28] D’aucuns diront que le lamarckisme ressuscite une fois de plus !