Chapitre 5 : Niveaux structuraux

et stades de l’histoire naturelle

Théorie dialectique de l’évolution

 

 

«Pour savoir de façon réellement complète ce que c’est que la vie, il nous faut passer en revue toutes les formes sous lesquelles elle se manifeste, de la plus inférieure à la plus élevée »

 «La science de la nature en est actuellement arrivée au point de ne plus pouvoir échapper à la synthèse dialectique »

Engels (Anti-Dühring)

 

 

On retrouve les lois de la dialectique de façon dispersée à travers les « camps » du champ de bataille scientifique, mais cette « synthèse dialectique » qu’Engels appelait de ses vœux ne semble pas imminente. A ce stade, constatons simplement que, si le matérialisme est la posture nécessaire des savants dans l’exercice de leur pratique scientifique, l’approche dialectique semble de surcroît fonctionner dans cette pratique, puisqu’elle émerge – certes inconsciemment – au moins spontanément à plusieurs niveaux contre les courants plus ou moins raffinés de l’idéalisme néodarwinien. Tentons donc à présent d’élaborer notre synthèse. Nous disposons à cette fin, 1) des thèses philosophiques du matérialisme dialectique, 2) des données contemporaines de la biologie.

 

 

Thèse 1 : La matière existe objectivement.

Thèse 2 : On ne peut réduire la matière à une de ses formes (Holisme).

Thèse 3 : La matière est « une » (Monisme) : Il n’y a qu’un monde.

Thèse 4 : La qualité est ce qui distingue une chose d’une autre.

Thèse 5 : La vie répond à un seul principe organisateur ; la matière (anti-vitalisme).

Loi dialectique A (Mouvement dialectique) :

Thèse 6.a : La manière d’être de la matière est le mouvement.

Thèse 6.b : Ce mouvement auto-dynamique nécessaire ne peut être qu’accéléré ou ralenti.

Thèse 6.c : Il est un processus dirigé ( non-cyclique).

Loi dialectique B (Actions réciproques) :

Thèse 7.a : L’univers est un tout complexe organisé.

Thèse 7.b : Ses aspects sont interdépendants.

Thèse 7.c : On entend par mouvement nécessaire celui qui est l’effet d’une cause.

Loi dialectique C (Contradiction) :

Thèse 8.a : La contradiction est la lutte et l’unité des contraires.

Thèse 8.b : Un mouvement auto-dynamique a pour moteur(s) une (des) contradiction(s) principale / secondaire(s).

Thèse 8.c : Une contradiction peut être antagoniste [thèse 9.b] ou non-antagoniste.

Loi dialectique D (Quantité/Qualité) :

Thèse 9.a : Le mouvement transforme la matière de l’inférieur au supérieur, du simple au complexe.

Thèse 9.b : Une contradiction antagoniste provoque au terme d’une accumulation quantitative, un saut qualitatif, dépassement de cette accumulation.

 

Rappelons pour éviter certains contresens que les anticommunistes instrumentalisent si complaisamment, que cette synthèse n’a pas la prétention de cristalliser la recherche pour le reste des temps; elle se limitera au contraire à deux niveaux : 1) Au niveau pratique, il s’agit d’une construction strictement fondée sur les données actuelles, donc sujette à modifications, améliorations et corrections[1]. 2) Au niveau théorique, cette construction est un instrument dirigé contre l’idéalisme, destiné à le déloger des positions qu’il occupe actuellement sur la question de l’évolution biologique…L’exposition des thèses matérialistes dialectiques nécessaires à cette étude servira de base conceptuelle préalable : Leur efficacité sera évaluée pas à pas au cours de la construction –l’étude n’ayant pas non plus pour but de « prouver » rétrospectivement ces thèses-.

Une définition de la vie requiert l’éclaircissement de l’apparente opposition entre les thèses 2 et 4 dans le contexte de notre étude : L’être vivant est manifestement une chose qui se distingue qualitativement de son environnement [thèse 4], mais l’être vivant et son environnement sont indissociables [thèse 2], la preuve en est que l’être vivant est une structure matérielle qui renouvelle en permanence ses molécules constitutives (fonction de nutrition) à partir de la matière environnante, tandis que l’environnement est lui même transformé par l’être vivant. Pas d’opposition, à condition de qualifier ce qui distingue ces deux matières. L’expression matière vivante n’aura pas un sens vitaliste (matière d’essence différente du reste de la matière) mais visera justement à ne pas désigner la vie sous le terme structure organisée avant d’en avoir fourni une définition argumentée. S’il est permis de distinguer des qualités dans la matière, ne serait-ce que pour montrer les interactions nécessaires entre ces qualités [thèse 7.b], distinguons matière vivante et matière non-vivante et tentons une définition claire de leur distinction.

D’abord, que la matière vivante soit une structure organisée, complexe est une évidence : Encore faut-il préciser la légitimité des termes « organisé » ou « complexe ». Ces qualités ne sont pas spécifiques à la vie (pour un matérialiste évidemment[2]). Le mouvement, qualité fondamentale de la matière [thèse 6.a] est la manière d’être de toute matière, vivante ou non. Jusqu’ici, aucune distinction dialectique apparente.

Venons-en donc à ce qui distingue spécifiquement la matière vivante de la matière non vivante : C’est une évidence, un être vivant renouvelle sa matière en permanence sans changer sa qualité d’être vivant (jusqu’à un certain point) ;

 

Ce qui distingue la matière vivante de la matière non vivante, c’est la tendance qu’elle manifeste à  conserver  sa  structure dans le temps.

 

Opposition apparente : Si la matière vivante est « stable », dans sa structure, elle déroge à la thèse 6.a, thèse fondamentale de la dialectique. Une explication s’impose : La vie répond à un seul principe organisateur, la matière [thèse 5]. Sa matière est organisée [thèse 7.a]. Juxtaposons la proposition irritante et la thèse 6.a : Le mouvement interne de la matière vivante modifie nécessairement sa structure. Cette désorganisation nécessaire peut-être freinée [thèse 6.b] par un « processus conservateur »  apparaissant  donc  comme   une  ré-action,  un  mouvement   s’opposant,  corrigeant  en permanence le mouvement désorganisateur. Ceci ne contrarie plus la thèse 6.a. Remarque : il n’est pas dit ici qu’un mouvement désorganisateur est un mouvement « destructeur », au sens où on l’entend généralement ; Voici donc une proposition non-finaliste, non-mécaniste, n’orientant pas plus la désorganisation vers la destruction que vers la construction.

Pour être tout à fait clair et éviter d’ouvrir le flanc au vitalisme, nous dirons que, 1) ce qui dans la matière en mouvement est doté d’une propriété supplémentaire[3] qui est de tendre à une « conservation » structurale sera appelé « matière vivante »[4], 2) La question de l’origine de cette propriété doit être traitée dans le cadre de la thermodynamique, émanant du principe de néguentropie qui établie la possibilité d’organisation spontanée d’un système au détriment du reste de l’univers conditionné par le principe entropique : N’est-il pas finaliste d’affirmer que ce mouvement, étendu potentiellement à toute la matière, produise toutes les structures possibles sauf celle qui aurait pour propriété particulière de se conserver activement ? 3) Cette tendance à conserver sa propre structure dans le temps, dans la mesure où elle aboutit –et nous sommes forcés de constater qu’elle a objectivement abouti [thèse 1]-, conduit à la nécessité d’une histoire de la matière vivante ; l’histoire de la lutte pour l’existence.

Commençons donc l’exposé par un postulat simple issu d’observations universellement reconnues ; La forme de vie la plus simple[5] est la cellule [thèse 9.a]. La cellule sera considérée distinctement de son environnement quel qu’il soit ; eau, air,  reste d’un organisme pluricellulaire, etc., de façon à mieux cerner leurs interactions : D’un côté la matière environnante, en mouvement, « agissant » par son mouvement sur la cellule de l’extérieur, et transformée plus ou moins intensément par cette cellule, de l’autre la cellule elle-même, organisée, en mouvement : « luttant » contre le mouvement externe et le mouvement interne à la fois, suivant la proposition formulée précédemment.

 

A.   Premier niveau structural, la cellule

 

Que fait donc une cellule pour elle même, si ce n’est de renouveler sa matière en permanence ? De notre point de vue d’organismes complexes peu de choses ; quelques « stratégies de lutte » contre la déstructuration, découvertes très récemment et qui méritent qu’on s’y attarde.

Tout d’abord, bien sûr, une cellule est mortelle. C’est l’inéluctable fin du mouvement désorganisateur de la matière vivante [thèse 6.b]. Toutefois, la division cellulaire, encore appelée reproduction conforme – ou mitose- parce que la cellule produit deux cellules dont les caractéristiques sont celles de la première, peut être considérée comme une forme de lutte contre la mort cellulaire (négation), en faveur d’une conservation « dans le temps » de la structure cellulaire (négation de la négation).

De plus, à chaque division cellulaire, les gènes, qui doivent être dupliqués avant d’être distribués à l’identique aux deux cellules-filles, subissent d’inévitables erreurs de copie [thèse 6.a], les fameuses mutations. On sait aujourd’hui que toutes les cellules sont dotées de systèmes moléculaires « correcteurs » ; ce sont les systèmes SOS, SRM[6](enzymes corrigeant les mutations, découvertes chez les bactéries puis chez tous les Eucaryotes) et HSP906 (protéines de choc thermique réprimant l’expression des gènes mutés sauf en cas de stress, découverte chez la drosophile et généralisable).

On sait que ces systèmes s’ébranlent plus ou moins lors d’un stress (élévation de température, radiations, toxicité, carence nutritive) accélérant le rythme des mutations contre lesquelles ils sont censés lutter [négativement (SRM) mais aussi positivement (SOS)]. En cas de « coup dur », il vaut mieux en effet favoriser la diversité fonctionnelle et ainsi augmenter la chance pour quelques cellules de survivre, et pérenniser au moins partiellement la structure cellulaire préexistante.

Tout aussi intéressant, le couple génétique p53 / MDM26 fonctionne sur la base d’une étonnante contradiction : p53 agit en réparant les mutations ponctuelles et en empêchant pendant ce temps les divisions cellulaires. MDM2 agit au contraire en stimulant les divisions et, c’est prouvé chez l’Homme, en favorisant la prolifération cancéreuse (désorganisation partielle). C’est l’activité de p53 qui stimule collatéralement la production de MDM2, celle-ci inhibant en retour la production de p53 (régulation dynamique par rétroaction).

Lorsqu’une cellule dispose d’un « gène de résistance » contre une toxine, la présence de celle-ci déclenche une duplication massive du gène dans le noyau. Ceci a pour effet d’augmenter considérablement l’intensité de son expression : Les duplicatas sont appelés « transposons »[7]. De telles transpositions sont en définitive très répandues dans les processus cellulaires, et la recherche ne fait aujourd’hui que commencer à en déterminer les causes et les modes d’action (chez une espèce diploïde, c’est à dire qui possède deux versions, maternelle et paternelle, de chaque gène, la mutation délétère d’une version peut être compensée par l’amplification –ou duplication- de son homologue).

Si le fait qu’une cellule « oriente » la duplication massive d’un gène ponctuellement nécessaire à sa survie ne choque personne, pourquoi continuer à nier dogmatiquement la possibilité d’une « orientation » de la mutabilité sur le ou les gènes rendus ponctuellement inutiles ou délétères ?

Ne compliquons pas davantage… Nous avons cinq processus. Deux d’entre eux sont des processus désorganisateurs internes ; la mort cellulaire et la mutagenèse. Deux autres sont des processus de lutte active ; la mitose et l’ensemble des mécanismes compensateurs. Il y a ici dans les faits contradiction entre ces deux mouvements, opposés dans leur direction par rapport à la structure cellulaire. Un dernier processus est celui de l’influence désorganisatrice de l’environnement, inextricablement lié aux précédents processus (fig.2).

 

 

 

Fig.2

Processus conservateurs et évolutifs liés à la cellule :

Ve ; modifications du milieu ou variations environnementales, Vi ; modifications internes, Ci ; constance infra-structurale, Ce ; Constance externe ou ultra-structurale.

 

Première contradiction

 

Les mécanismes compensateurs, lorsqu’ils sont monopolisés par des « contrariétés » extérieures, favorisent positivement les mutations génétiques. Si on admet que des innovations génétiques permettent potentiellement un supplément de résistance cellulaire aux contraintes environnementales, il faut reconnaître que les mutations sont autant désorganisatrices-destructrices que désorganisatrices-constructrices, dans le sens où elles conduisent, au moins potentiellement, à l’acquisition  de  nouvelles  propriétés  conservatrices :  Pour  « créer »  un  nouveau  gène, il faut d’abord

qu’un ancien gène se duplique, puis que le duplicata, d’abord inutile, accumule suffisamment de mutations ponctuelles pour « devenir » le gène nouveau, assurant une fonction nouvelle : C’est la théorie de la duplication génique.

Cette contradiction est antagoniste [thèses 8.a/8.c] : Systèmes SOS-SRM, HSP90, P53/MDM2 et transposons agissent   contre   les   mutations   génétiques  (ils  les empêchent  ou  les  compensent)   tout  en  créant positivement les conditions d’une innovation génétique lorsque le besoin s’en fait sentir. La cellule n’a d’autre issue que d’évoluer, de changer, sous l’effet de cette contradiction, et ceci parce qu’elle lutte pour la conservation de sa structure, en cas de stress dangereux pour elle. On voit que la cellule, « bien que vivante », ne déroge pas à la thèse 6.a, bien au contraire.

On peut sans trop anticiper, mettre en avant la thèse 9.a : Sa vocation étant de se conserver autant que faire se peut, elle évoluera en conservant les caractères nouveaux dont l’accumulation la transforme finalement !

 

Deuxième contradiction

 

On a choisi de présenter la division cellulaire comme une forme de lutte contre la mort, pour la conservation dans le temps. Elle est une innovation évolutive autant qu’un processus relatif à l’hérédité : Nous en indiquerons ultérieurement les modalités. Ajoutons que ce processus a collatéralement un avantage pour la conservation cellulaire .

La division cellulaire, considérée nécessairement comme une prolifération cellulaire, produit des populations de cellules, susceptibles de mener à bien une lutte « extérieure » de l’ensemble pour la conservation de chacune (coopération cellulaire, bien connue des écologistes). La coopération intercellulaire n’est plus un processus temporel mais un processus spatial (division du travail, effet de groupe). La division produit donc pour la cellule une superstructure (coopération cellulaire) favorisant de l’extérieur sa conservation.

Par suite, la superstructure cellulaire associée à l’évolution structurale cellulaire inéluctable, va permettre aux cellules de « s’auto diriger » (pas de finalisme), toujours du seul fait de cette tendance auto-conservatrice auto-dynamique (pas de vitalisme), vers une structure nouvelle, plus complexe, pluricellulaire à spécialisation ; l’organisme. La question de la conservation des propriétés conservatrices concerne l’hérédité ; elle sera traitée dans le chapitre suivant.

Admettons ici que les caractères de spécialisation apparaissent par innovations génétiques. Nous considérerons que l’organisme pluricellulaire est une matière vivante plus complexe, susceptible d’assurer une conservation plus efficace des cellules qui le composent. Du reste il existe de nombreuses formes coloniales non spécialisées (un seul type de cellule pour tout l’organisme : les thalles végétaux –algues, champignons, lichens- et quelques animaux comme Volvox) qui attestent de la transition historique vie unicellulaire / vie pluricellulaire. Ces colonies sont parfois composées de cellules capables de retrouver plus ou moins leur autonomie dans certaines conditions favorables (lichen, certains champignons, Volvox).

Pour conclure, les conditions extérieures accélèrent ou freinent l’évolution cellulaire, mais celle-ci évolue en dernière instance par auto-dynamisme, suivant des processus dirigés [thèse 6.c], tendanciellement cycliques sans pouvoir l’être absolument.

 

-          Contradiction antagoniste secondaire : Pour lutter contre la désorganisation dans le temps, la cellule prolifère (reproduction conforme), mais cette prolifération rend possible dans l’espace le passage qualitatif du niveau structural de la cellule à celui de l’organisme pluricellulaire ; passage qui est un résultat opposé à la conservation structurale cellulaire (polymorphisme) [Thèse 9.a].

-          Contradiction antagoniste principale : Pour lutter contre la désorganisation génétique au cours du temps, la cellule dispose de processus compensateurs, lesquels, en milieu changeant (il l’est d’ailleurs par définition), finissent par accélérer une évolution génétique [résultat opposé] sans laquelle elle ne pourrait survivre [voir annexe « Variabilité génétique et structures compensatrices »].

 

B.   Deuxième niveau structural, l’organisme

 

On objectera que les espèces pluricellulaires forment une minorité quantitative et qualitative au sein du monde vivant, majoritairement composée aujourd’hui d’espèces unicellulaires telles que les bactéries et les eucaryotes unicellulaires. Cette marginalisation des espèces pluricellulaires, très récente en science, argument favori des saltationnistes qui s’opposent radicalement à la notion de complexification dans l’évolution et qui prétendent qu’en définitive nous ne sommes jamais sorti de l’« ère des bactéries », est évidemment anti-dialectique puisqu’ils considèrent – c’est étonnant pour des évolutionnistes -  que  si  les unicellulaires sont restés majoritaires en nombre d’espèces mais aussi en biomasse, c’est qu’ils ne passeront jamais à l’avenir au stade pluricellulaire : Argument objectivement fixiste !

C’est nier le rôle des échelles de perception humaine du temps dans l’approche de l’histoire évolutive (premier écueil), c’est également oublier la nécessaire inégalité de développement des espèces actuelles (deuxième écueil) : S’il faut un monde vivant dont toutes les espèces évoluent ensemble au même rythme –alors que les interactions entre elles et avec leurs milieux sont nécessairement hétérogènes- pour qu’un biologiste adhère à la thèse de la complexification [thèse 9.a], il adhèrera du même coup à la thèse peu matérialiste du miracle ![8]

Prenons donc l’organisme pluricellulaire comme nous avons pris la cellule, tel qu’il se présente à nous, comme un « tout-complexe déjà donné » selon l’expression consacrée : Tout d’abord, il est mortel. Mais il n’est pas mortel parce que ses cellules sont mortelles (elles le sont) mais parce qu’il est vaincu par la désorganisation de ses cellules. Ainsi il n’est pas rare de voir survivre à un cadavre certaines de ses cellules (pour un certain temps bien sûr), témoins par exemple, les cellules cancéreuses. De même qu’on ne dira pas qu’une cellule meurt parce que ses molécules meurent, on ne dira pas non plus que l’organisme meurt parce que ses cellules meurent, mais parce que celles-ci ne fonctionnent plus ensemble (ne concourent plus à la conservation structurale de l’organisme). On dira donc que la mort de certaines cellules de l’organisme provoque la mort de celui-ci, que la mort de l’organisme provoque à terme la mort de toutes ses cellules [thèse 7.b]. Le passage de la cellule à l’organisme est bien une transformation qualitative [thèse 9.b]. Une stratégie de lutte de l’organisme contre sa mort en tant qu’organisation matérielle : La reproduction. Celle-ci accomplit une conservation de la qualité de la matière vivante au niveau pluricellulaire, malgré la mort individuelle. Nous connaissons de nombreux cas de reproduction végétative ; la sporulation, le bouturage naturel, la scissiparité, … Mais c’est la reproduction sexuée qui, en dernière instance, supplante toutes les autres. Qu’elle soit sexuée ou asexuée, la reproduction correspond toujours à une reconstruction ontogénétique à partir d’un cellule, ou d’un nombre restreint de cellules.

Notons qu’à la différence de la reproduction cellulaire conforme, il faut être deux pour accomplir la reproduction sexuée. Les deux qualités n’en restent pas moins comparables dans le cadre de leur résultat (conservation structurale dans le temps), en signalant que la reproduction sexuée est une innovation imputable aux unicellulaires autant qu’aux pluricellulaires : Les unicellulaires pratiquent dans leur immense majorité la reproduction conforme et la reproduction sexuée au cours de leur cycle de développement. Il faut envisager cette dernière comme une stratégie supplémentaire de lutte pour l’existence dont le statut initial sera le même pour les uni- et les pluricellulaires.

Mais l’organisme doit également lutter contre la désorganisation au cours même de son existence. Désorganisation d’origine à la fois interne et externe à l’organisme, qui a pour résultat ce que nous appellerons usure ou vieillissement. Au final et conformément à ce qui vient d’être dit, la mort de l’organisme peut aussi bien résulter d’une dégénérescence (morts cellulaires) que d’une prolifération anarchique des tissus (cellules cancéreuses à extension spontanée sur l’ensemble de l’organisme), puisqu’elle consiste en une désorganisation triomphante : A ce niveau, la lutte consiste donc elle même à limiter la mort des cellules mais aussi leur prolifération anarchique. Cette dernière est comprise comme une désorganisation non-totale des propriétés conservatrices au niveau cellulaire ; la spécialisation cellulaire disparaît, la reproduction conforme subsiste : Le cancer est une régression (désorganisation) des cellules du stade de conservation pluricellulaire au stade moins évolué de conservation strictement cellulaire. On situera la lutte contre l’usure sur trois niveaux de régulation (en citant des exemples connus pour notre espèce) :

 

-          Propriétés régénératrices (hémostase-cicatrisation, régénération d’organes ou de tissus, minéralisation osseuse, renouvellement cellulaire),

-          Propriétés homéostatiques (maintien de la température interne, de la glycémie, des équilibres hydriques, salins et acido-basiques, sous l’effet d’interactions neuro-hormonales et hormonales),

-          Propriétés immunitaires (dirigées contre les agressions –vivantes ou non- de l’environnement mais aussi contre la désorganisation interne –cancéreuse par exemple).

 

La conjonction de ces trois propriétés physiologiques assure le maintien tendanciel de la structure pluricellulaire. Cependant, comme on s’en doute, l’organisme trouvera dans ces processus dégénératifs / prolifératifs contre lesquels il lutte des aspects concourrant à la conservation. En d’autres termes, il retournera contre la désorganisation ses propres armes : Contre la dégénérescence des tissus, la prolifération (mouvement de conservation) ; contre le fléchissement de certaines conditions physico-chimiques internes, la surproduction régulatrice (mouvement de compensation) ; contre l’attaque d’un pathogène, la prolifération des cellules immunitaires et le destruction des cellules infectées (mouvement de protection) ; contre les déformations létales (au niveau des cellules tissulaires) liées à l’interaction dynamique organisme – environnement, la prolifération cellulaire –à valeur adaptative à l’échelle de l’organisme- telle que les callosités cutanées, le « bronzage », le renforcement musculaire (mouvement d’adaptation).

 

            Voici donc, pour récapituler, cinq processus spécifiques du niveau pluricellulaire (fig.3). Deux processus désorganisateurs : Le vieillissement (par dégénérescence ou par prolifération) et la mort. Deux processus conservateurs : L’activité physiologique au sens large et la reproduction sexuée. Plus un processus désorganisateur externe, indistinct dans le cadre d’une telle généralisation, des processus désorganisateurs internes.

 

Première contradiction

 

Les mécanismes de stabilisation oeuvrent dans le sens d’une lutte contre les morts cellulaires et les proliférations anarchiques en favorisant (en contrôlant) des proliférations cellulaires mais aussi des morts cellulaires locales. Deux exemples.

L’acquisition d’une aptitude à distinguer les molécules du soi des molécules du non-soi (éventuellement pathogènes) passe par une destruction des cellules immunitaires auto-réactives préalable, notamment au niveau du thymus.

Les formes de l’organisme apparaissent au cours de l’embryogenèse : Par exemple la main humaine embryonnaire est d’abord un « moufle » avant que les doigts ne se dégagent du fait de la mort des cellules intercalaires, les futurs oviductes et spermiductes coexistent avant de dégénérer sélectivement, conformément au  sexe génétique. 

Constatation simple : Ces mécanismes s’opposant à la désorganisation en utilisant les mêmes armes qu’elle, contribuent de fait à faire changer structuralement l’organisme pour qu’il soit mieux protégé des fluctuations du milieu : Evolution de la morphologie en fonction de l’activité physique, évolution du phénotype immunitaire, etc.

 

Deuxième contradiction

 

La reproduction est l’occasion pour l’organisme de perpétuer sa structure à travers le temps et contre la mort individuelle. Là encore un avantage collatéral se déclare…

La reproduction, sexuée ou non, est également une modalité spatiale dans le sens où elle est « l’origine » des populations de même espèce coexistant dans un même milieu. En tant que superstructure, l’ensemble des relations sociales entre individus de l’espèce est une modalité externe à chaque organisme, favorisant l’intégrité structurale de chaque organisme. Citons le cas limite de la Physalie, méduse très complexe dont nul ne saurait dire si elle correspond à une colonie d’individus spécialisés (gastrozoïdes, cystozoïdes, gonozoïdes, …) et formés par reproduction asexuée, ou à un organisme unifié composé d’organes spécialisés !

On distingue bien sûr plusieurs niveaux d’évolution de cette superstructure, des espèces à individus quasiment isolés[9] (modalité quasi-absente) aux espèces « sociales » (modalité évoluée au plus haut degré chez les insectes sociaux[10]).

La superstructure proposée crée les conditions d’un changement qualitatif du niveau de l’organisme au niveau plus complexe de la société d’organismes. Sachant que le cannibalisme[11] est dans la nature un phénomène particulièrement rare (même  si les  néo-darwiniens surenchérissent souvent sur ces anecdotes si facilement transposables à l’économie de marché !), indiquons ici que les écologistes parlent indistinctement d’effet de groupe et de coopération pour les populations uni- et pluricellulaires.

De plus, il est tout à fait finaliste –et anthropocentriste !- de considérer la ruche ou la fourmilière comme la forme sociale en puissance de la future Humanité ! Du point de vue marxiste, il serait hâtif de saisir l’ensemble des espèces vivantes sans tenir compte de l’histoire particulière de chacune. En l’occurrence, nous verrons que l’Humanité échappe partiellement aux niveaux d’organisation supérieurs pour des raisons qui tiennent à son histoire, notamment à ce que Patrick Tort appelle « l’effet réversif de l’évolution » : Notre étude n’a pas du tout pour but de formaliser une évolution nécessaire de toutes les formes de vie mais au contraire de mettre à jour les processus évolutifs objectifs qui rendent possibles les histoires nécessaires et nécessairement différentes de chaque forme de vie.

-          Contradiction antagoniste secondaire : Pour lutter contre la disparition imminente de sa structure, l’organisme se reproduit. La reproduction sexuée est corrélativement la condition de la formation d’une population spécifique partageant les mêmes caractères et tirant bénéfices mutuels de leur superstructure : La conservation produit donc une non-conservation : Transformation qualitative organisme – espèce.

-          Contradiction antagoniste principale : Pour lutter contre sa désorganisation ante-mortem, l’organisme dispose de propriétés régulatrices basées non sur l’inertie, mais sur le terrain même de la désorganisation cellulaire. On peut d’ores et déjà remarquer qu’à ce stade ;

·         La modalité de reproduction, fondée sur des mécanismes cellulaires (donc d’ordre inférieur) impose, et c’est nouveau, une ontogenèse produisant la structure par un certain type de coopération cellulaire, avant d’avoir à la conserver (mouvement) : La structure pluricellulaire , apparue dans le contexte d’une conservation plus efficace des structures cellulaires, finit par nier cette tendance initiale « au profit » de sa propre auto-conservation (prolifération et/ou dégénérescence cellulaire).

·         La population, en tant que superstructure du niveau de l’organisme individuel, favorise la conservation de chaque organisme, mais peut finir par la nier pour assurer sa propre auto-conservation (le « sacrifice » et plus généralement la tendance à étendre par le peuplement le territoire occupé selon sa structure) : Nous changeons alors de niveau…

 

 

 

Fig.3

Processus conservateurs et évolutifs liés à l’organisme pluricellulaire :

Ve ; modifications du milieu ou variations environnementales, Vi ; modifications internes, Ci ; constance infra-structurale, Ce ; Constance externe ou ultra-structurale.

 

C.   Troisième niveau structural : Le groupe spécifique

 

L’enjeu fondamental de la biologie de l’évolution est depuis toujours celui de mettre à jour les mécanismes de la spéciation, c’est à dire de la création des espèces. Nous arrivons donc ici au cœur du problème.

Depuis quelques décennies, on a coutume de distinguer sans doute à raison deux procès de spéciation: 1) la radiation à partir d’un type ancestral spécifique d’un certain nombre d’écotypes, de variétés, de races, de sous-espèces et consécutivement la transformation phylétique d’une espèce ancestrale en un buisson d’espèces typologiquement apparentées (même genre, même famille) correspondent à ce qu’on appelait la spéciation darwinienne, en référence à ses travaux sur les différentes espèces de pinsons des îles Galápagos, et qu’on appelle aujourd’hui micro évolution. 2) Tout processus d’émergence historique d’un plan d’organisation totalement nouveau à partir d’un plan ancestral comme les filiations poissons – batraciens, reptiles – mammifères, etc. se rapporte en revanche au concept de macro évolution.

Conceptuellement, la question de la définition de l’espèce a une histoire complexe ; elle est loin d’être résolue aujourd’hui… La question se résume à ceci : L’espèce a t-elle une réalité objective (discontinuisme) ou n’est-elle qu’un concept trompeur imputable à notre vision subjective du monde ? On pourrait penser le problème soluble par l’expérimentation, ce n’est pas le cas. Position communément admise ; une espèce est un ensemble d’individus interféconds (deux individus qui ne sont pas interféconds appartiennent donc à deux espèces distinctes, même s’ils partagent un phénotype quasi-similaire).

A l’évidence, si cette distinction passe nécessairement par la reproduction sexuée, qu’en est-il donc de deux mâles de même espèce ? Qu’en est-il des individus stériles ? Qu’en est-il des espèces qui ne pratiquent que la reproduction asexuée ? Qu’en est-il enfin des espèces données comme distinctes alors qu’elles sont encore interfécondes in vitro ?

La théorie synthétique, dans sa formulation récente, modère fortement cette définition, mais pour lui préférer une définition pour le moins vague et problématique, de l’aveu même de leurs auteurs. La raison de ce hiatus est simple : Historiquement le discontinuisme est un argument fixiste, celui de la typologie. Chaque espèce connue correspond à un type précisément défini, il n’existe pas de populations intermédiaires, hybrides, en dégradé, entre deux espèces connues, donc le transformisme n’est qu’une séduisante abstraction. On remarquera que la théorie synthétique tend néanmoins à se départir de ses positions traditionnellement continuistes (elles étaient celles de Darwin) au profit d’un nouveau discontinuisme proposé par les saltationnistes cette fois[12].

Vue la position adoptée ici, celle d’une distinction qualitative qui existe objectivement entre une cellule et une autre, entre un organisme et un autre, posons que des distinctions qualitatives objectives existent entre les espèces que l’Homme du reste distingue spontanément depuis toujours. Partant, 1) la thèse idéaliste voudra que chaque espèce ayant son type propre distinct des autres, possède une essence immuable, trop parfaitement adaptée à son milieu pour que le moindre changement  ne  soit  pas  mortel, 2)  la  thèse  matérialiste  discontinuiste  avancera  ceci :  Une  espèce

rassemble  continûment, sur  la  base de  la  reproduction sexuée,  des  races  inter-fécondes  d’origine commune ; micro évolution  unanimement reconnue,  même  par  les  fixistes actuels, ces derniers ne critiquant que la macro évolution. La distinction (barrière reproductive[13]) ne peut être qu’un événement (saut qualitatif) et non un fait surnaturel et permanent, survenant dans le prolongement de la raciation. Cherchons donc dialectiquement la clef d’un tel événement.

Au préalable il convient de remarquer, toujours à l’appui de notre conception, qu’à l’instar de la cellule au sujet de laquelle nous assistions au passage du caractère fortuit des modalités fondamentales de conservation à leur caractère secondairement actif, téléologique, raffiné [voir annexe « variabilité génétique et  structures  compensatrices »],  nous  assistons  ici  encore, en apparence,  au  passage  du

caractère contingent de la raciation au caractère nécessaire,  activement  conservateur de la  spéciation : des mécanismes assureraient l’émergence des barrières interspécifiques[14] ; Mais dans quel but ? La transformation d’un type spécifique en un autre serait-elle une modalité de la conservation du type ?

 

Double contradiction

 

Conformément à la démonstration exposée pour les stades antérieurs (c’est à dire pour les structures inférieures), considérons l’espèce comme une entité vivante, c’est à dire comme une structure assiégée par l’inéluctable mouvement de modification du type (ensemble des caractères anatomo-physiologiques communs aux individus de l’espèce) et luttant contre lui par un mouvement conservateur (perpétuation du type dans le temps).

Les données premières sont les suivantes : Une espèce naît, se maintient pendant quelques dizaines de millions d’années en moyenne, puis s’éteint. On s’intéressera d’abord à la manière dont l’espèce se maintient pendant cette durée, se renouvelant de génération en génération par reproduction sexuée, conformément à son type.

Chacun sait qu’une population artificielle de clones (ensemble d’individus tous identiques génétiquement) s’avère extrêmement fragile face à la moindre fluctuation de l’environnement : Pour ne citer qu’un exemple, un champs de plantes issues d’un même clone sera instantanément exterminée par la première infection virale.. Tout lycéen apprend en biologie qu’une espèce déterminée par un ensemble de caractères spécifiques se compose d’individus aux formes variées, autrement dit et pour employer le terme consacré, que toute espèce est polymorphe. Pour chaque caractère on trouve au sein de la population un certain nombre de formes (par exemple pour le caractère pigmentation des yeux, chez l’Homme, on connaît plusieurs formes ; les couleurs).

Le polymorphisme d’une espèce ne remet pas en cause son type, il consiste au contraire à produire le plus de versions possibles du type sans le remettre en cause, c’est à dire à produire une variabilité maximale de potentialités fonctionnelles (de survie en conditions changeantes) à partir d’un type donné. Par exemple, la diversité des teintes de coquilles chez une espèce d’escargots permet a priori une adaptation potentielle plus  grande (camouflage)  à  des  environnements  différents (supports colorés comme le sable,  l’humus, etc.). Très  clairement, l’avantage  du  polymorphisme  est  de  favoriser telle ou telle forme représentée a priori lorsque le milieu change, donc d’assurer autant que faire se peut la perpétuation de l’espèce malgré les fluctuations du milieu : Il constitue une lutte « conservatrice » contre les macro mutations « monstrueuses » viables.

Précisons au passage que le concept de type est entendu ici non comme essence cachée de l’organisation anatomo-physiologique mais comme cette organisation elle même, contenant en germe sa propre négation.

On pensera d’abord que cette modalité conservatrice au niveau de l’espèce résulte des mutations génétiques, c’est à dire d’évènements fortuits. Cette hypothèse est en partie vérifiée : Toutes les versions

(allèles) d’un gène résultent effectivement  d’une accumulation historique de mutations rares. Cependant  le polymorphisme apparaît comme un processus actif, ayant pour base les mutations, intervenant au niveau  de  la   reproduction sexuée[15] et   réitérée   à  chaque  génération,  contre  une   homogénéisation éventuelle en milieu « non-changeant » (à notre échelle de perception du temps).

Tous les néodarwinistes s’accordent à dire que le polymorphisme est la base minimale de l’évolution des espèces, au sens où il permet la formation de groupes distincts par leurs formes, variétés, races puis espèces distinctes.

Puisque les variations sont endogènes et autonomes (mutations), comment expliquer que les espèces soient dans leur structure typologique si bien adaptées à leur environnement ? C’est là en général qu’intervient la sélection naturelle. Les néodarwinistes lui donnent la définition suivante : L’individu porteur d’une mutation « favorable » (avantage sélectif) sera plus fécond que ses congénères ; ainsi ce gène muté, ce nouveau gène, ne finira par dominer dans la population qu’après de nombreuses générations (reproduction sexuée). Au passage, nous sommes aujourd’hui bien loin de la notion tautologique de « survie du plus apte »[16] dont le « bons sens » a commis les ravages idéologiques que l’on sait. Cependant le concept, qu’il faut semble t-il conserver coûte que coûte, reste bien mystérieux, aux yeux même des néodarwiniens : Comment un changement de couleur des yeux peut-il conférer à leur propriétaire une fécondité plus grande (augmentation du nombre de descendants) ? A l’évidence la sélection naturelle est le talon d’Achille du néodarwinisme, tous leurs dissidents ne se sont pas privés de le dire. Mais c’est précisément en tant que « moteur de l’évolution » que la sélection naturelle porte préjudice à la solidité du néodarwinisme !

Laissons de côté ce concept si agréable aux matérialistes mécanistes [voir annexe « la question de l’hérédité des caractères acquis »] et revenons au problème du polymorphisme. Forcé  de  la considérer comme le résultat d’un phénomène actif plutôt que comme l’état passif d’une population assiégée par des mutations accidentelles permanentes, tout savant sait que son origine est la méiose.

Une fois encore, la méiose est un processus nécessaire dont la vocation première n’est pas à première vue le polymorphisme de la population mais la fécondation formant une cellule-œuf, raison d’être de la reproduction sexuée. En marxiste, remettons les choses à l’endroit. Considérée au niveau de l’unicellulaire ou de l’individu pluricellulaire, la reproduction sexuée n’a absolument aucun avantage conservateur sur une reproduction asexuée : Les deux types de reproduction résolvent semblablement le problème de la perpétuation dans le temps… Ce qui est « neuf » dans l’œuf, c’est la combinaison particulière des formes, non les formes elles-même, qui existent déjà dans la population isolément les unes des autres : Diversifier  les combinaisons   sans   changer   les   formes,   c’est,   nous   l’avons   dit,   protéger  le  type  général   des

fluctuations du milieu dans lequel il est adapté[17].

Alors qu’on nous apprend que la méiose est une condition permettant aux espèces diploïdes[18] de pratiquer la reproduction sexuée, avançons au contraire que la diploïdie est une condition permettant aux espèces de pratiquer une  reproduction  sexuée (dont  la méiose  fait  partie  intégrante),  c’est  à  dire  de pratiquer une diversification favorisant sa conservation en tant que type. Les généticiens des populations nomment cette propriété « avantage du poly-allélisme »…

On peut souligner ainsi le raffinement du processus méiotique : Il s’agit de produire à partir d’une combinaison donnée de versions géniques (génotype d’un individu, identique pour toutes ses cellules) une « infinité » de cellules sexuelles génétiquement différentes (nombre maximal de combinaisons différentes de ces versions géniques appelées allèles) : C’est un tri qui retiendra pour chaque gène du génotype parental une version sur deux (l’ensemble de ces versions se retrouvant ensemble dans une cellule sexuelle correspondra à une combinaison quasi unique statistiquement). Chaque cellule sexuelle est haploïde (une seule version de chaque gène, puisque chaque chromosome n’y est plus présent qu’en un unique exemplaire (maternel ou paternel), de sorte que lors de la fécondation, la réunion dans la cellule-œuf des deux noyaux rétablira la diploïdie de l’espèce : Le cycle de développement de l’espèce est bouclé.

Problème : Les gènes ne sont pas matériellement libres les uns des autres dans le noyau d’une cellule. Ils sont liés les uns aux autres en un certain nombre de groupes de gènes, les chromosomes. Chaque chromosome existant en double exemplaire dans la cellule diploïde (2 fois 23 chromosomes = 46 chromosomes chez l’être humain par exemple) : La disjonction des chromosomes homologues au moment de la méiose (formation de cellules haploïdes à partir d’une cellule diploïde) permet déjà de produire potentiellement un grand nombre de combinaisons chromosomiques haploïdes différentes (brassage inter-chromosomique) : Plus le caryotype d’une espèce contiendra de chromosomes, plus la diversité génétique des gamètes sera grande.

A ce brassage simple et déjà avantageux pour la variabilité des gamètes s’ajoute un brassage beaucoup plus raffiné, connu sous le nom de brassage intra-chromosomique. Il s’agit de lever le problème résiduel de la liaison physique des gènes qui sont situés sur un même chromosome. Avant de se disjoindre, deux chromosomes homologues s’enjambent en plusieurs points aléatoirement, puis s’échangent des segments entiers d’ADN ; Des versions génétiques différentes situées initialement sur des chromosomes homologues distincts peuvent donc se retrouver en fin de méiose sur le même chromosome recombiné. La diversité des combinaisons géniques s’en trouve considérablement augmentée au niveau des cellules sexuelles.

Nous n’entrerons pas dans les détails moléculaires très complexes d’un tel processus de brassage intra-chromosomique. Etonnons nous simplement, une fois de plus, du raffinement extrême de cette « stratégie » de diversification !

Le discontinuisme impose qu’une barrière reproductive (mécanismes cellulaires perfectionnés empêchant par exemple la fécondation d’un ovule par un spermatozoïde d’une autre espèce) s’érige à un moment donné entre un groupe d’individus et sa population d’origine (spéciation). Ce moment n’a jamais été observé, du moins pour les espèces actuelles, et les mécanismes éventuels du processus même restent énigmatiques[19]. Citons seulement des cas de processus actifs d’incompatibilité spécifique entre de nombreuses plantes à fleur et du pollen d’espèce distincte : Le rejet du pollen incompatible est ici effectué non par l’ovule à féconder mais par le pistil (organe reproducteur contenant les ovules). En ce sens, on voit à quel point les enjeux de cette barrière reproductive se situent moins à l’échelle cellulaire qu’à l’échelle pluricellulaire.

Les mécanismes, sans doute tout à fait perfectionnés, d’isolement reproductif, s’inscrivent donc en creux dans notre analyse, en particulier pour le règne animal (les incompatibilités semblent chez eux beaucoup plus complexes, mais se situent sans doute autant sinon plus au niveau inter-individuel – phéromones, désynchronisation des périodes de reproduction entre espèces, incompatibilités anatomiques -  qu’au niveau intercellulaire – non-reconnaissance ovule/spermatozoïde, non développement de l’œuf en cas de fécondation accidentelle - ). Les enjeux ne font quant à eux aucun doute : La raciation est la négation de la conservation typologique, positivement préparée par cette dernière (polymorphisme), la spéciation est la négation de cette négation (une barrière reproductive réinstalle le processus conservateur sur un type nouveau).

Effet collatéral évident de ce mécanisme : La multiplication des espèces crée les conditions de formation de structures d’ordre supérieur, les écosystèmes. Que l’écosystème, structuré par des symbioses, des relations trophiques, des coadaptations, régulant quantitativement et qualitativement les populations qui le composent, soit à l’évidence et de l’avis même des écologistes une structure conservatrice (même si elle évolue souvent par stades sur plusieurs siècles : exemple typique des tourbières), légitime à son niveau cette négation de la négation qu’est la spéciation au niveau inférieur (distinction d’espèces qualitativement différentes pour que des relations trophiques puissent avoir lieu entre elles, en vue de maintenir les écosystèmes).

 

-          Contradiction antagoniste secondaire : La reproduction sexuée et, à travers elle la méiose, permettent aussi une lutte contre l’extinction de l’espèce par inadaptation collective aux conditions changeantes du milieu, l’espèce conserve son type en le rendant le plus polymorphe possible. Ce polymorphisme est pourtant la base d’une micro-évolution éloignant progressivement les populations successives du type moyen. Pourquoi cet éloignement ? Parce que le type n’est justement pas une essence ! Loin de nous donc l’idéalisme typologique du XIXe siècle.

-          Contradiction antagoniste principale (fig.4: La reproduction sexuée contribue à travers toute une série de processus raffinés, de la méiose conservant le caryotype à la barrière reproductive en passant par les mécanismes d’histo-compatibilité limitant les risques d’autogamie, à entraver l’apparition de formes trop différenciées les une des autres. Pourtant ces différenciations  peuvent aboutir à des distinction phénotypiques avantageuses pour la survie de l’espèce (dimorphisme sexuel chez la plupart des animaux, castes des insectes sociaux, division du travail, etc.), autant qu’à des macro mutations profondes et négatrices ; les phénomènes de néoténie, d’apomorphose, etc., liés aux remaniements chromosomiques et impliquant des bouleversements ontogénétiques, assez fréquents dans la nature (voir Les horloges du vivant, Jean Chaline).

 

 

Fig.4

Processus conservateurs et évolutifs liés au groupe spécifique :

Ve ; modifications du milieu ou variations environnementales, Vi ; modifications internes, Ci ; constance infra-structurale, Ce ; Constance externe ou ultra-structurale.

 

D.   Quatrième niveau structural : La biosphère

 

C’est une discipline assez jeune, l’écologie, qui a élaboré la notion de biosphère. Notion dont les vertus explicatives sont en apparence restreintes au champ de l’écologie ; Il n’est jamais question de biosphère en matière d’évolution darwinienne, mais il est question d’évolution (au sens large) en matière d’environnement.

On cherche à montrer en particulier, pour des raisons de prévention écologique, que l’environnement est aujourd’hui en équilibre fragile, que cet équilibre résulte d’une interaction entre histoire de la Vie et histoire de la Terre.

Définition courante : La biosphère correspond à la totalité de la matière vivante (aquatique et aérienne, animale et végétale, uni et pluricellulaire) couvrant la surface terrestre, sorte de pellicule de vie plus ou moins continue, en interaction avec l’hydrosphère, l’atmosphère (échanges gazeux) et la lithosphère (actions directes ou indirectes sur l ‘érosion, la formation des calcaires et des combustibles fossiles, …).

Paradoxalement, ce sont les géologues et les climatologues qui ont forgé ce concept, en dehors du champ de la science de l’évolution. Il est pourtant clair que cette biosphère a une histoire ; L’histoire de la Vie ! Cette histoire est du reste assez bien documentée par les paléontologues. Il s’agit d’un scénario comportant six grandes étapes :

► Formation de matière organique océanique (molécules « pré-biotiques »), encore appelée « soupe primitive ». L’atmosphère est initialement très riche en dioxyde de carbone (gaz à effet de serre) et totalement dépourvue de dioxygène.

► Apparition des premières cellules vivantes, qui consomment ces molécules pour 1) renouveler leur propre matière organique (= matière première), 2) produire de l’énergie utilisable par fermentation (= carburant). La vie aérienne est impossible (trop d’ultraviolets, trop de dioxyde de carbone favorisant un puissant effet de serre).

► Les molécules organiques de la soupe primitive viennent à manquer, mais la biosphère, exclusivement unicellulaire, aquatique et extrêmement ténue, subsiste grâce  à une innovation de grande

importance : La photosynthèse. De nombreuses espèces finissent par se passer de la matière organique de l’environnement (hétérotrophie) et deviennent autotrophes : elles consomment du dioxyde de carbone et de l’eau (comme matière première), de la lumière (comme source d’énergie) et rejettent massivement un déchet métabolique (inutile pour elles) ; le dioxygène. Les océans puis l’atmosphère s’appauvrissent en dioxyde de carbone (l’effet de serre baisse, le climat s’en trouve modéré) et s’enrichissent en dioxygène (dont une partie forme dans la haute atmosphère une couche d’ozone, ou trioxygène, absorbant une grande partie des ultraviolets).

► L’enrichissement atmosphérique en dioxygène plafonne lorsque les cellules s’arment d’une nouvelle innovation de taille, beaucoup plus rentable que la fermentation en matière de production d’énergie, la respiration cellulaire (consommation de dioxygène et rejet de dioxyde de carbone) : Les concentrations atmosphérique et hydrosphérique en dioxygène se stabilisent du fait d’une « régulation » entre les intensités globales de la photosynthèse et de la respiration biosphérique.

► La vie, toujours aquatique, innove en se compliquant. Les espèces coloniales puis pluricellulaires à différenciation apparaissent, dans le règne animal comme dans le règne végétal.

► La préexistence fortuite d’une couche d’ozone et l’extrême pauvreté de la teneur atmosphérique en dioxyde de carbone rend la vie aérienne possible. Seule difficulté ; le déficit hydrique des milieux aériens. Une partie de la biosphère sort de l’eau : Chez les végétaux, on passe des algues aux bryophytes (mousses, aériennes mais inféodées aux milieux humides) puis aux spermatophytes qui dominent aujourd’hui sur Terre. Les arthropodes végétariens semblent être les premiers invertébrés à conquérir la terre ferme. Chez les animaux vertébrés, on passe des poissons aux batraciens (aériens inféodés aux milieux humides) puis aux reptiles, oiseaux, mammifères (parmi les très nombreuses innovations délivrant ces animaux des problèmes liés au déficit hydrique, citons celles de l’homéothermie, de la ventilation pulmonaire, de l’œuf à coquille puis de la viviparité).

L’image d’Epinal marquant les esprits dans ce scénario est celle du premier « poisson à pattes » sortant un jour de l’eau pour habiter un désert aride… Quoi de plus absurde ? La conquête du milieu aérien est inconcevable à notre échelle (d’individus), pourtant elle a eu lieu. Ce ne sont ni quelques individus, ni même quelques espèces qui sont « sortis » de l’eau, mais des écosystèmes, seules entités capables d’une certaine autonomie vis à vis du biotope (conditions physiques du milieu) [autonomie et indépendance n’ont pas la même signification !]. Il y a fort à parier que ces derniers aient d’ailleurs été précédés non d’écosystèmes océaniques mais d‘écosystèmes continentaux d’eau douce (étape intermédiaire, requerrant des adaptations propres).

Pourquoi insister sur cette notion d’écosystème ? Parce que nous changeons ici de niveau structural. Une seule espèce et encore moins un seul individu ne peut déterminer les sauts qualitatifs de l’histoire biosphérique. Voilà pourquoi la notion de biosphère revêt ici plus qu’une vertu descriptive, cantonnée à la climatologie ; Sa valeur concrète, objective, achève notre exposé par un stade, ultime certes, mais toujours en mouvement, celui de la macro-évolution.

 

Première contradiction

 

Ce scénario tracé à grands traits peut être développé en chacune de ses étapes chronologiques grâce aux nombreux documents fossiles recueillis depuis plus d’un siècle : Il consiste, pour telle partie du monde où les fossiles se sont empilés chronologiquement dans les sédiments, en une succession discontinue de faunes et de flores différentes. On a coutume de citer, pour prendre l’exemple le plus connu, la succession Ere des reptiles et des conifères (Secondaire) – Ere des mammifères et des plantes à fleurs (Tertiaire). Succession discontinue parce que ponctuée par une catastrophe planétaire (météorite et/ou volcanisme intense) dont l’existence est communément admise –événement on ne peut plus contingent-. Cependant, on admet aussi communément aujourd’hui, que la diversité des reptiles du secondaire était en déclin bien avant l’instant de cette catastrophe.

De tels remplacements faunistiques et floristiques peuvent sembler très schématiques ou subjectifs (état dégradé des documents fossiles). Gardons-en néanmoins le cadre conceptuel, lui aussi communément admis ; Ces remplacements ponctués par ce que les paléontologues ont souvent appelé sans doute à tort des catastrophes, dont les modalités sont du reste rarement établies, sont nombreuses au cours de l’Histoire de la Vie. Des études quantitatives ont montré que ces « catastrophes » se caractérisent par une extinction massive (totale ou non, de plusieurs classes animales et/ou végétales : Citons les trilobites, les dinosaures, les rudistes, etc. pour les animaux) suivie d’une diversification « rapide » des espèces survivantes, réoccupant les niches écologiques alors vacantes. Quelle que soit la ou les causes « catastrophiques » de tels évènements, ils sont qualifiés aujourd’hui de crises biologiques.

On connaît de plus dans l’histoire de la biosphère un événement qui reste inexpliqué, que ce soit dans le cadre catastrophiste ou dans un autre (la théorie des extinctions de J.M.Raup par exemple, chapitre 3) : La « crise » cambrienne n’est marquée par aucune extinction massive mais par une diversification d’une puissance inégalée par la suite[20]. La succession des crises apparaît donc peu contingente.

A l’instar d’une espèce qui en produit d’autres, apparentées, avant de s’éteindre (conservation négatrice dans le temps), un ensemble d’espèces (en inter-relations) dominé par tel ou tel plan d’organisation anatomique produit de nouveaux ensembles, minoritaires et marqués par de grandes innovations avant de s’éteindre massivement. On préférera donc expliquer les crises par un mouvement dialectique (qualitatif et endogène) plutôt que par un mouvement mécanique (brutal, contingent et exogène) en remarquant 1) l’antériorité de l’émergence macro-évolutive sur l’extinction massive, 2) la fréquence des crises au cours de l’Histoire de la Vie, 3) la distinction conceptuelle micro-évolution / macro-évolution : La micro-évolution concerne la conservation d’un type spécifique général sous une forme légèrement différente, la macro-évolution concerne la conservation d’un macro-écosystème malgré une représentation en animaux et en végétaux différente.

L’étonnante communauté typologique d’une classe d’être vivants (par exemple : Tous les oiseaux possèdent un plumage, des ailes, des sacs aériens, un bec corné, …) impose une distinction qualitative entre micro-évolution (spéciation) et macro-évolution (émergence d’un plan d’organisation radicalement différent). Cette distinction, irritante pour les gradualistes, était un des principaux contre-arguments fixistes (voir Denton) ; Elle est à présent un argument évolutionniste dialectique.

 

Deuxième contradiction

 

Au cours de la période de domination d’une classe d’êtres vivants, c’est à dire avant la crise, conçue comme une désapdaptation inéluctable du plan d’organisation des classes coexistantes dans certains milieux (désadaptation ayant pour origine l’évolution de l’environnement et/ou  le  déficit  d’évolu-

tion de ces classes), celle-ci conserve son plan général d’organisation en favorisant la multiplication des versions originales de ce plan. Cette multiplication s’intègre à l’évidence dans le processus macro-évolutif : L’autruche et le pinson sont radicalement différents, bien qu’appartenant tous deux à la classe des oiseaux.

La macro évolution infra-classe diversifie un type de façon à multiplier les adaptations générales au milieu : de nombreux poissons comme l’anabas, le périophtalme, les dipneustes, sont ainsi adaptés à la vie aérienne en conservant leur appartenance à la classe des poissons. La conquête de nouveaux milieux par macro mutation infra-classe est un mode de conservation de la classe contre les excédents ou les manques relatifs à un milieu donné, saturé par la micro évolution. En se prolongeant dans le milieu conquis, la macro évolution dépasse sa vocation à conserver un type général et devient « super-classe », orientant le nouveau plan d’organisation dans le sens d’une meilleure adaptation au milieu : Les poissons forment ainsi le groupe ancestral des batraciens, les batraciens celui des reptiles, les reptiles celui des oiseaux et des mammifères, toujours dans le sens d’un indépendance de plus en plus marquée vis à vis du milieu aquatique (viviparité, homéothermie, ventilation pulmonaire, excrétion, …).

 

Voici donc deux contradictions étroitement associées (fig.5), visiblement fondées sur le même principe conservation/diversification. La macro-évolution super-classe est conçue à la fois comme l’échec de la macro-évolution infra-classe (conservation du type général de la classe en diversifiant ses familles, groupes, ordres) et comme la réussite de la conservation à un plus haut niveau de la représentation des êtres vivants sur Terre (biosphère).

 

            Avantage collatéral : Cette macroévolution qui réadapte le plan d’organisation des espèces en milieu changeant (conservation de la vie dans le temps) peut fortuitement adapter ce plan à un autre milieu contemporain du premier (extension spatiale de la biosphère) grâce à des innovations anatomo-physiologiques (complexification). C’est dans ce sens qu’on peut comprendre la colonisation de nouveaux milieux par la biosphère durant son histoire : On peut considérer qu’aujourd’hui la majorité des habitats, même les plus « hostiles » (fortes pressions, fortes températures, faibles températures, forte acidité, obscurité totale, aridité extrême, anaérobiose) est peuplée.

Perpétuée dans le temps (trois milliards d’années) et dans l’espace (la quasi-totalité de la surface terrestre), la biosphère est confrontée au changement global de la planète. L’avantage récemment mis à jour tient au fait que les diverses interactions régulatrices (stabilité des concentrations atmosphériques en dioxygène et en dioxyde de carbone par exemple) actuelles tendent à stabiliser l’environnement planétaire (toujours sans le pouvoir absolument !). Une certaine indépendance vis à vis du milieu se révèle (au niveau de la biosphère, pas à celui des structures inférieures), tendant à harmoniser (sans le pouvoir) les mouvements internes et externes à la matière vivante. L’écologiste constatera aujourd’hui, ce n’était pas le cas au début de l’histoire de la Vie, que l’environnement d’un être vivant est lui-même majoritairement vivant (ses congénères mais aussi les autres espèces avec qui il est en relation) à l’instar d’une cellule dont l’environnement se compose d’autres cellules, au niveau structural d’un organisme.

 

La diversité des espèces, se régulant quantitativement et qualitativement au sein d’un écosystème, tend à pérenniser chacune d’elles, sans le pouvoir à long terme (contradiction antagoniste) : On peut encore considérer l’écosystème (dont l’extension est la biosphère) comme une superstructure favorisant la conservation du niveau inférieur des groupes spécifiques mais aussi l’émergence d’une structure hautement complexe et douée de puissantes facultés conservatrices ; la biosphère.

 

-          Contradiction antagoniste secondaire : La macro-évolution super-classe est le processus grâce auquel la biosphère traverse ses « crises » biologiques en changeant ses formes dominantes. Elle rend également irréversible l’installation de la vie sur les milieux conquis par la macro-évolution infra-classe.

-          Contradiction antagoniste principale : La macro-évolution infra-classe équivaut à un « polymorphisme d’espèce » : Elle diversifie les familles et les ordres pour conserver le type de la classe (conjonction de caractères corrélés les uns aux autres[21]). Une telle diversification produit des versions efficaces mais aussi des échecs nécessaires (au sens où une forme plus complexe est un échec pour la conservation temporelle de la forme simple). Ces derniers, plans d’organisation radicalement nouveaux, caractérisant par exemple l’apparition d’une nouvelle classe ou d’un nouvel embranchement, sont susceptibles d’être à leur tour auto-conservateurs dans de nouveaux milieux terrestres.

 

 

 

Fig.5

Processus conservateurs et évolutifs liés à la biosphère :

Ve ; modifications du milieu ou variations environnementales, Vi ; modifications internes, Ci ; constance infra-structurale, Ce ; Constance externe ou ultra-structurale.

 

 

E. Conclusion

 

On le comprendra facilement, une telle synthèse ne peut être que schématique. C’est volontaire. Son but avoué est de montrer en quoi le matérialisme dialectique peut se loger légitimement et intégralement, sans distorsion, au sein des éléments actuels de la théorie de l’évolution, de montrer qu’il permet de penser les différents concepts connus des biologistes dans leurs rapports objectifs. Tout reste à découvrir à partir de ce modèle, lui même modifiable. Mais la description d’un phénomène n’est pas la connaissance de ce phénomène. C’est une mauvaise habitude de biologiste agnostique à laquelle il s’agit de tordre le cou…

On pourrait croire que la propriété conservatrice de la matière vivante ressemble fort à un postulat vitaliste. Mais la vie n’incarne pas une force surnaturelle « conservatrice » qui lui permettrait de survivre à toutes les aventures terrestres en évoluant. C’est son histoire elle-même qu’elle incarne. Et la propriété conservatrice qu’elle manifeste n’est pas la cause de cette histoire, c’en est à la fois la cause et la conséquence.

 

[Cause et effet] sont des concepts n’ayant comme tels une validité que s’ils sont appliqués à un cas particulier, mais dans la mesure où nous considérons ce fait singulier dans sa connexion générale avec la totalité du monde, (…) ils se confondent dans l’action universelle réciproque, où cause et effet permutent continuellement leur position ; Ce qui ici était effet devient ensuite cause et vice-versa.                                                                      

Engels. Dialectique de la Nature.

 

C’est à la lumière de cette citation qu’il faut comprendre le problème sous jacent à notre synthèse, celui de la conservation de la propriété conservatrice elle-même… La théorie de l’hérédité qu’il est nécessaire d’établir maintenant s’en trouve profondément compliquée, mais elle n’est pas inaccessible…

Indiquons, et c’est un résultat global de l’exposé, que c’est l’inefficience de cette conservation à un niveau donné qui détermine la possibilité d’une conservation du niveau qui lui succède, sur les bases procédurales non-perdues de conservation du niveau qui l’a précédé : Paradoxalement donc, la perte non totale des mécanismes conservateurs à un niveau (ceux des niveaux inférieurs persistent) –régression du mouvement conservateur- établit positivement l’émergence des mécanismes conservateurs suivant  le saut qualitatif à un niveau supérieur –complexification du mouvement évolutif-.

► L’échec de conservation architecturale de l’organisme pluricellulaire à différenciation (B) se traduit au niveau de ses gamètes par une non-conservation du génome (méiose), créant ainsi les bases du polymorphisme, dont le caractère conservateur a été mis en évidence au niveau supérieur C de l’espèce sur les bases des mutations génétiques et de la reproduction sexuée existant au niveau inférieur A de la cellule.

► L’échec de conservation typologique de l’espèce (C) se traduit par une micro-évolution (édification d’une barrière reproductive dont les mécanismes, encore peu connus, sont indéniablement relatifs à la physiologie de l’organisme –niveau inférieur B-, créant ainsi les bases d’une conservation d’un plan d’organisation sans type (macro-évolution infra-classe) pour lequel la loi de corrélation des organes reste valable au niveau supérieur D (ensemble des espèces « adaptées » les unes aux autres et à leur biotope ; écosystème).

► L’échec de conservation du plan d’organisation propre à une classe (D) se traduit par une macro-évolution super-classe, condition du dépassement des crises biologiques (conservation de la matière vivante au sens large) au niveau de la biosphère, sur la base du polymorphisme (niveau inférieur C de l’espèce).

 

Pour souligner la réalité de l’action de ce niveau structural inférieur C dans ce troisième point (espèce polymorphe, et non cellules) : Les gènes « architectes » sensés définir au moment de l’embryogenèse l’architecture générale de l’organisme (plan d’organisation), sont hautement conservés (quasiment aucune mutation au cours du temps) à travers la plupart des espèces animales : Par exemple les gènes architectes contrôlant la construction des yeux sont à quelques rares mutations neutres près, les mêmes chez la mouche et chez l’Homme (alors que leurs yeux sont absolument différents dans leur structure !). En revanche la position et le nombre de ces gènes diffère d’un phylum à l’autre.

Les recombinaisons de gènes semblent donc avoir un rôle déterminant sur leurs effets, au moins aussi important que celui des mutations intra-géniques dont on parle si souvent, qui sont d’ailleurs divers : Le même gène architecte contrôle chez l’Homme à la fois la construction de la main à cinq doigts et l’appareil uro-génital ! C’est un résultat peu orthodoxe aux yeux des néodarwiniens mais néanmoins unanimement accepté aujourd’hui. Or les processus relatifs au polymorphisme sont responsables de telles recombinaisons.



[1] « L’expérience fournie par l’usage social de la technique [est] la source vive où s’alimente chaque jour la science marxiste, et qui doit modifier sans cesse la forme du matérialisme » disait Engels

[2] Certains vitalistes n’hésitent pas à qualifier la Terre d’être vivant, pour citer un épisode récent dans le champs de la science . C’est l’ « Hypothèse Gaïa » de Lovelock (1970), affectionnée par nos « anti-vitalistes » Kupiec et Sonigo !

 

[3] La génération spontanée, c’est à dire l’acquisition ponctuelle mais nécessairement conservée de cette propriété conservatrice de la matière, a résulté de la conjonction de conditions matérielles particulières réunies à un moment donné de l’histoire de la Terre, avant que celles ci ne se désunissent du fait même des transformations environnementales causées par le développement de la vie. On peut dès lors considérer que l’apparition de cette propriété résulte d’un saut qualitatif dépassant une contradiction (mouvement auto-réplicatif spontané de certaines molécules pré biotiques grâce et malgré le mouvement des autres molécules) et non d’une opération aléatoire (émergentisme vitaliste) ou téléologique (finalisme vitaliste).

[4] Et non simplement « être vivant » : Une population elle même, qui lutte globalement pour son existence répondra au terme matière vivante, sans avoir pour autant une « essence » idéale.

[5] Il ne fait aucun doute que toute cellule est hautement complexe ; admettons simplement qu’un être pluricellulaire est par la force des choses plus complexe que l’une de ses cellules.

[6] Systèmes SOS/SRM : La Recherche 291, Système HSP90 : La Recherche 321, Système p53/MDM2 : La Recherche 283… Une précision : Quand une colonie de bactéries est privée du lactose qu’elles consomment exclusivement grâce à une lactase (enzyme digestive), placée dans un milieu contenant un autre sucre, les mutations s’accélèrent sélectivement au niveau du gène de la lactase, jusqu’à ce que celui-ci produise une enzyme modifiée, adaptée à la consommation du nouveau sucre (Cairns, Nature 1988)

[7] Les plasmides, petits ADN bactériens, autonomes et surnuméraires, contenant des gènes de résistance à un antibiotique par exemple, peuvent être activement échangés entre bactéries d’une colonie en conditions défavorables (conjugaison bactérienne), insérés dans le chromosome bactérien lui-même (transposition). Barbara Mc Clintock a découvert dans les années 80 l’existence de ces transpositions chez tous les Eucaryotes. On peut ajouter que les transpositions s’activent lors de stress environnementaux (expériences sur le Maïs sous UVb : Walbot, 1999. Nature, 397)

[8] Entendons nous ; l’évolution biologique n’est pas l’évolution technologique qui renvoie chaque invention au musée lorsqu’une nouvelle invention se fait jour. L’Histoire de la Vie a fonctionné par superposition de niveaux structuraux : Nous assistons effectivement à des remplacements transversaux jalonnant une complexification à l’intérieur de chaque niveau structural (les bactéries actuelles sont toutes bien plus sophistiquées que les premiers procaryotes, la domination des mammifères a succédé à celle des reptiles, les mammifères placentaires ont remplacés les mammifères marsupiaux -à viviparité partielle- aujourd’hui résiduels), mais la complexification verticale ne peut asseoir un nouveau niveau d’organisation sur l’élimination totale de l’ancien primitif tant qu’il en a encore besoin (en tant que ressource alimentaire par exemple).

[9] Ils ne peuvent l’être totalement puisqu’ils pratiquent la reproduction sexuée.

[10] Une expérience intéressante menée par l’éthologiste R. Chauvin montre que la longévité (conservation) d’une abeille isolée dépend fortement de la perception des phéromones émises par ses congénères (« Biologie de l’esprit » R.Chauvin). C’est un argument en faveur de notre liaison causale entre stratégies conservatrices de niveaux d’organisation différents.

[11] Nous ne sommes évidemment ni sur les positions de Nietzsche qui, par individualisme extrême, préconisait de prolonger par volonté sanitaire la sélection naturelle dans l’humanité, ni sur celles de Kropotkine qui, par anarchisme sentimental, découvrait partout dans la nature l’entre aide si chère aux humanistes [voir M. Prenant, Biologie et Marxisme. 1935]. Disons pour le moment, que si la reine abeille tue ses mâles « oisifs » après accouplement, c’est par mesure d’économie au service de la structure « ruche » et non par sélection naturelle (notion qui sera redéfinie plus loin).

[12] Proposition séduisante puisqu’elle s’apparente, non dans son mécanisme, mais au moins dans sa conception, à la loi de passage du quantitatif au qualitatif.

[13] Pour les généticiens confrontés au problème de la transmission du prion entre la vache et l’Homme (affaire de la maladie de la vache folle), la barrière d’espèce a une existence objective, puisqu’elle est contournée par le prion, mais elle est contrôlée par des gènes à neutraliser [exemple le gène PrP].

[14] Pour les néodarwiniens, c’est l’individu et non l’espèce (rang supérieur) ou la cellule (rang inférieur) qui subit la sélection naturelle. Par suite, la notion d’espèce peut être donnée comme subjective sans entacher la théorie darwinienne. Une sélection naturelle n’agissant qu’à notre échelle de perception (l’individu) relève de l’arbitraire, de l’anthropocentrisme, donc de l’idéalisme ! Nous admettrons que la notion d’espèce, tout en étant objective à l’échelle collective, ne peut avoir de valeur descriptive à l’échelle individuelle… Personne ne demande si un globule blanc et un neurone appartiennent à la même espèce ; Ils appartiennent simplement au même individu.

[15] Rares sont d’ailleurs les espèces qui ne pratiquent pas la reproduction sexuée : Ces espèces sont toujours primitives, l’absence de leur reproduction sexuée n’est jamais prouvée (espèces peu connues) et dans la mesure où elles ne pratiquent effectivement que la reproduction asexuée, il semble qu’elles aient plutôt « perdu » cette modalité au cours de leur histoire.

[16] La seule expérience concernant l’efficience de la sélection naturelle (Kettlewell, 1955) consistait à lâcher puis recapturer des Phalènes (papillons diurnes) noirs et blancs (camouflage) dans des forêts de bouleaux à écorce noire ou blanche, sur plusieurs générations, en vue d’un bilan statistique confirmant l’action du milieu (ici la prédation par les oiseaux). Elle est aujourd’hui fortement critiquée dans son principe et dans ses résultats par les néodarwiniens actuels.

[17] Une parenthèse concernant le statut idéaliste de la notion de gène : Les généticiens maintiennent, peut être pour longtemps encore, son caractère instructionniste: Chaque gène définit (donc fixe idéalement) un caractère de l’individu. Or tout caractère individuel est fluent (taille, couleur, etc.). L’idée que le polymorphisme produise du neuf par simple recombinaison de gènes « vieux » suggère, nous y reviendrons dans le prochain chapitre, qu’on ne peut jamais attribuer un caractère à un gène précis : La génétique est peut être ici sur la voie de sa guérison matérialiste !

[18] Rappel : Une cellule diploïde présente tous ses chromosomes (donc tous ses gènes) en double (maternel et paternel). Une espèce est diploïde parce que les individus qui la composent sont constitués de cellules diploïdes (sauf leurs cellules sexuelles, produites par méiose et destinées à se réunir pendant la fécondation pour rétablir la diploïdie).

[19] Les hypothèses quelque peu désuètes de spéciation sympatrique (spéciation consécutive à un « isolement » reproductif au sein même de la population d’origine) et de spéciation allopatrique (spéciation consécutive à un isolement géographique par rapport à la population d’origine) sont aujourd’hui supplantées par celle de spéciation péripatrique (spéciation dans les populations marginales, en lisière des zones de peuplement de la population d’origine, de faibles effectifs et plus ou moins isolées). La formulation de cette dernière hypothèse présente l’avantage naturellement involontaire de rapprocher par un lien de quasi-causalité l’aspect quantitatif (faible effectif) et l’aspect qualitatif (spéciation) !

[20] Se reporter à la riche et étonnante description des animaux « inclassables » (dans la classification zoologique actuelle) du point de vue de leur structure, fossilisés dans les schistes de Burgess et décrits par Gould (Le livre de la vie). Notons que cette crise est la première de l’histoire qui nous soit accessible (les 600 derniers millions d’années, contre une histoire totale de la vie de 3 milliards d’années) : Les sédiments plus anciens sont tellement métamorphisés qu’ils ne recèlent aujourd’hui plus aucun fossile. Cette diversité de plans d’organisation aujourd’hui disparus est un argument de plus en faveur d’un rapprochement conceptuel micro-évolution (remplacement d’une espèce ancestrale par une espèce dérivée) – macro-évolution (remplacement souvent partiel, mais potentiellement total, pour la faune de Burgess par exemple, d’embranchements ancestraux par des embranchements dérivés).

[21] Exemple typique : Tout chez l’oiseau contribue à la facilitation du vol (ailes, bipédie, allègement par absence de dents, par disparition d’un ovaire sur les deux, squelette pneumatique, bréchet au muscles pectoraux surdéveloppés, etc.). C’est la célèbre « loi de corrélation des organes », généralisable à tous les organismes, qui enfermait son éminent auteur, Cuvier, dans un fixisme « rationnel » au XIXe siècle.