Chapitre 4 : Matérialisme dialectique
et science de l’évolution
Analyses marxistes
du problème
« Karl Marx fut l’un de ces hommes exceptionnels
comme chaque siècle n’en produit que peu. Charles Darwin a découvert la loi de
l’évolution de
F.Engels. Allocution funèbre
à l’occasion de la mort de K.Marx.
17 mars 1883
Connaissant la riche contribution marxiste à l’histoire des sciences de
la nature, le mutisme des adversaires actuels du débat vis à vis des rapports
entre darwinisme et marxisme paraîtrait étonnant si on n’avait à l’esprit
l’extrême danger que représente le matérialisme dialectique pour la bourgeoisie
et sa science. Ce mutisme donne précisément du relief à la phrase d’Engels
« il suffit dans une certaine mesure de l’exposer pour la faire
reconnaître » !
Stratégie bourgeoise en deux temps ; 1) (ré)introduire plus ou
moins discrètement l’idéalisme dans le théorie darwinienne : cette théorie
sera donc plus métaphysique que « synthétique », 2) résumer la
contribution marxiste des années 1860 aux années 1970 à l’ « affaire
Lyssenko », objet d’attaques unanimes et caricaturales sur les plans
théorique et pratique, sur ses origines et ses conséquences
« criminelles » à tout point de vue… Aux scientifiques « mal intentionnés »
qui jugeront ces conclusions paranoïaques, on répondra ceci :
► Dans les
livres et dictionnaires d’histoire des sciences, les références au marxisme
sont abondamment citées et argumentées (par des philosophes bourgeois eux
mêmes) : Aujourd’hui (témoins les dictionnaires dirigés par P.Tort et par
D.Lecourt) mais surtout dans des publications plus anciennes[1],
jusqu’aux années soixante-dix des marxistes déclarés occupaient des chaires
universitaires dans de nombreuses disciplines scientifiques[2]…
En revanche, toute la presse scientifique, tous les livres, polémiques ou non,
concernant l’histoire de la science de l’évolution depuis une vingtaine
d’années, retracent l’histoire du néodarwinisme en omettant systématiquement
les polémiques qui opposèrent idéalistes et matérialistes, libéraux ou
fascistes et marxistes. Contraste éloquent…
► Il serait
imprudent de sous-estimer le criticisme montant qui influence l’ensemble de la
recherche contemporaine en biologie : Pour tout jeune biologiste, vierge
comme il se doit de la moindre formation en histoire des sciences, porter le
marxisme en biologie relève bien sûr du « totalitarisme » ; Le
marxisme est une « idéologie
totalitaire et dogmatique» ! Ce type de réflexion interdit
bien sûr toute critique de fond matérialiste contre un
déterminisme génétique qui, quoi qu’on en dise, se montre quant à lui de plus
en plus politisé[3]…
► Si
l’« affaire Lyssenko » fut fatale à l’histoire de la contribution
marxiste en biologie son instrumentalisation, qui dure encore aujourd’hui à
bien des égards[4] ne peut être que suspecte
aux yeux d’un marxiste : On ne s’oppose violemment qu’à un danger. La
route fut dés lors ouverte aux révisionnismes de tout poil pour accuser
désormais d’hérésie toute intrusion du matérialisme dialectique en science.
Résultat : La biologie, désormais insoupçonnable, devient on l’a vu, l’une
des principales cautions scientifiques du libéralisme, éventuellement du
fascisme, et les savants matérialistes qui prennent aujourd’hui le relais de la
critique anti-néodarwinienne sont eux mêmes des libéraux (Kupiec et
Sonigo) !
On citera parmi ces révisionnistes deux courants[5].
L’un, trotskiste, exprimant, très superficiellement du reste, une haine
toujours vivace pour Engels, ne suscitera que peu d’intérêt[6].
L’autre, plus profond, fut porté par L.Althusser et ses élèves (D.Lecourt en
particulier) : Nous nous y attarderons dans ce chapitre. Indiquons
simplement que cette tendance appartient à un courant plus vaste,
particulièrement intéressant en ce qu’il marque l’extrémité récente de la
contribution marxiste, sous une forme très spéciale ; celui du
structuralisme en général et de sa version « cybernétique » en
sciences expérimentales en particulier.
► Pour
terminer, on jugera, à la lecture du chapitre 7, que la biologie actuelle, dans
un contexte historique où la réaction anti-marxiste se borne à quelques clichés
sur Lyssenko, tend spontanément et inconsciemment, sans y parvenir bien
entendu, à ré-expliciter une série de thèses matérialistes dialectiques (leur
unification reste bien sûr impossible sans pratique marxiste). Ce qui tient
encore Marx à distance de la biologie, à l’heure où la lutte idéologique de
classe semble sans enjeu et désuète, se résume à l’ignorance des savants vis à
vis de sa doctrine : S’ils avaient de l’histoire des sciences une
connaissance plus objective, non-épurée, il y a fort à parier que les nouveaux
programmes de lycée en Sciences de
A. Marx et Engels face à Darwin
Une lecture de la correspondance entre Marx et Engels des années 1850
aux années 1870 montrera à ceux qui doutent de l’intérêt de Marx pour la
biologie qu’au contraire, la question de l’évolution biologique faisait l’objet
d’une attention particulière et commune.
« L’ensemble
d’interventions, d’opinions et de recherches de Marx sur ces questions (…) va à
l’encontre de la thèse assez répandue opposant d’un côté un maître-Marx
contraint par ses travaux, les évènements et sa santé à se défaire des sciences
de
H.Lefebvre. Préface de « Lettres sur les sciences de
C’est à cette époque, dans la deuxième moitié du XIXe siècle,
que s’impose en géologie, en biologie, en paléontologie, la notion d’évolution,
chère à Marx et capitale dans sa recherche d’une base scientifique à sa
conception du monde. Marx et Engels ont eu le double mérite de distinguer dans
la théorie darwinienne la part d’ombre –le malthusianisme- et la part de
lumière –le transformisme libéré d’une téléologie anti-matérialiste-. Les
historiens bourgeois se plaisent toujours à dire que Marx a
« manqué » Darwin, que les marxistes ont usurpé la bannière du
« darwinisme vrai » tout en le dépouillant de sa substance, le couple
hasard / sélection. Marx et Engels n’auraient pas « compris » Darwin.
Ils l’avaient au contraire trop bien compris…
a. Les germes idéalistes du darwinisme
« Ce qui m’amuse
chez Darwin, que j’ai relu, c’est qu’il déclare appliquer aussi la théorie de Malthus aux plantes et aux animaux, comme si
l’astuce chez Monsieur Malthus ne consistait pas précisément en ceci que la
théorie n’y est pas appliquée aux plantes et aux animaux, mais
uniquement à l’Homme –avec sa progression géométrique- par opposition aux
plantes et aux animaux. Il est remarquable de voir comment Darwin reconnaît
chez les animaux et les plantes sa propre société anglaise, avec sa division du
travail, sa concurrence, ses ouvertures de nouveaux marchés, ses
« inventions » et sa malthusienne « lutte pour la
vie ». »
Marx à Engels, 18 juin 1862
Darwin est d’abord perçu comme un savant bourgeois, enfermé dans des
points de vue de classe et construisant ses concepts à partir d’eux. Le
malthusianisme, qui est l’un des piliers idéologiques du libéralisme, entre
objectivement dans le champ de la biologie avec la notion de « lutte pour
l’existence » (Struggle for life). Il est amusant de constater que
ceux qui s’indignent devant les incursions illégitimes du marxisme en science,
trouvent naturelle une telle incursion tonitruante de l’économie politique
bourgeoise au cœur même de la théorie de l’évolution ! Jean Rostand dira
en hommage à Malthus : « C’est, je crois bien, la seule dette que
la biologie ait contracté envers l’économie politique ». Si c’est la
seule, elle n’en est pas moins énorme ! La célèbre phrase d’Engels est on
ne peut plus claire à ce sujet :
« Dans la
doctrine de Darwin j’accepte la théorie de l’évolution, mais je n’admet sa
méthode de démonstration (lutte pour l’existence, sélection naturelle) qu’en
tant que première expression, provisoire et imparfaite, d’une réalité
nouvellement découverte. »
Engels à Lavrov, 17 novembre 1875
Les notions de sélection naturelle et de lutte pour l’existence ne sont
pas repoussées catégoriquement, contrairement à ce qu’affirment caricaturalement
les historiens bourgeois, mais au contraire admises à titre provisoire.
Nous verrons comment une véritable théorie marxiste de l’Evolution n’admet la
sélection naturelle qu’au titre de « vérité relative », en stricte
conformité avec la formule d’Engels et sans nihilisme gauchiste (chapitre 6).
C’est le lien logique et unilatéral établi par Darwin entre ces deux catégories
que Marx et Engels jugent antidialectique. En ce lien (matérialisé sous la
forme « la base de la sélection naturelle est constituée par le combat
intra- et interspécifique[7] »,
D.Buican, Histoire de
« Monsieur
Lange est l’auteur d’une grande découverte. Toute l’histoire peut se ramener à
une seule grande loi naturelle ; la « lutte pour l’existence »
(ainsi appliquée, l’expression de Darwin n’est plus qu’une formule creuse) et
le contenu en est la loi de surpopulation de Malthus. Au lieu d’analyser les
manifestations historiques de cette « lutte » dans ses diverses
formes sociales, il ne reste plus qu’à substituer à toutes les luttes concrètes
la phrase « lutte pour l’existence » et à cette dernière la fantaisie
malthusienne sur la population. Convenons-en, cette méthode est très
convaincante… pour l’ignorance suffisante et emphatique qui se donne des airs
et pour la paresse intellectuelle. »
Marx à Kugelmann
En ce qui concerne le hasard, volet « mystérieux » du diptyque
darwinien, on trouve dans la correspondance de Marx une lettre qui montre son
adhésion de principe à des éléments hétérodoxes de la théorie de l’évolution,
très actuels dans le débat scientifique, et proches de la synthèse que nous
exposerons dans les chapitres 5 et 6 :
« Il y a un
ouvrage très important que je t’enverrai dès que j’aurai pris les notes
nécessaires : Origine et Transformations de
l’Homme et des autres êtres de P.Trémaux (1865). Malgré tous ses défauts,
qui ne m’échappent pas, il représente un progrès très important par rapport à
Darwin. Les deux principales propositions sont : que ce ne sont pas les
croisements qui, comme on le croit, produisent les différences [:Mutationnisme],
mais à l’inverse l’unité de type des espèces [:contradiction dialectique].
En revanche la formation de
Marx à Engels, 7 août 1866
Du livre de Trémaux, théoriquement très faible voire fantasque, ce sont
les arguments saltationnistes et déterministes qui retiennent l’attention de
Marx… Arguments que le courant néo-mutationniste aura bien sûr entre temps
expurgé des notions de progrès et de nécessité.
b. Le socle matérialiste du darwinisme
« Le livre
de Darwin est très important et me convient comme base de la lutte historique
des classes. (…) Malgré toutes ses insuffisances c’est dans cet ouvrage que,
pour la première fois, non seulement un coup mortel est porté à la
« Téléologie » dans les sciences de la nature, mais aussi que le sens
rationnel de celle-ci est exposé empiriquement. »
Marx à Engels, 18 juin 1862
En juxtaposant cette citation de Marx à la précédente, les uns crieront
à la schizophrénie, les autres admireront la clairvoyance qui lui permit de
séparer l’ « inséparable » : Téléologie et Evolution
nécessaire. On ne saurait dés lors réconcilier le « finalisme » de
Marx (tout effet admet une cause) des différentes formes de finalisme exposées
dans le chapitre précédent, qu’elles soient vitalistes ou mécanistes. Qu’est-ce
donc qu’être darwiniste pour Marx et Engels ? En voici les points
importants :
► En
montrant l’apparentement des espèces actuelles, Darwin prouve le transformisme,
dont Lamarck et ses prédécesseurs étaient déjà adeptes.
► Il fonde
par là même le caractère historique de l’évolution organique. L’histoire de la
vie, dont la paléontologie fournit une description aussi fidèle et précise que possible,
englobe celle de l’Humanité. L’histoire de la vie appartient elle même à
l’histoire de
► Contre
Lamarck, dont le transformisme est fortement teinté de vitalisme, Darwin place
la variabilité intraspécifique au centre des mécanismes de la spéciation. Cette
variabilité est un argument anti-téléologique dans la mesure où, cause mais
aussi effet de l’évolution, elle s’oppose à d’hypothétiques volontés interne ou
externe aux organismes (préméditation), sans ôter le caractère nécessaire de
l’évolution biologique. Cette variabilité correspond à une base matérielle à
travers laquelle la vie est capable d’évoluer, formant son histoire propre.
L’évolution est en deuxième instance guidée, orientée par la sélection
naturelle.
La doctrine de Darwin est incomplète pour les néodarwiniens[10],
elle est provisoire pour Marx et Engels. N’ayant proposé aucune théorie
de l’hérédité, hors de laquelle nul moteur de l’évolution ne peut être
envisagé, Darwin n’a fait que désigner le couple hasard / sélection sans
l’élucider scientifiquement. Que ce couple constitue le moteur de l’évolution
relève du néodarwinisme, non de la doctrine même de Darwin. Il est un mécanisme
relatif à une vérité plus large ; autrement dit, il est une vérité provisoire
de celle-ci. On peut dès lors se réclamer de Darwin sans pour autant accepter
le statut privilégié du
couple hasard / sélection dans la théorie de l’évolution, autrement dit
en recherchant au delà de ce couple les interactions objectives entre matière
vivante et matière non-vivante et ce qui à travers ces interactions, induit une
évolution nécessaire et réciproque de ces deux matières.
En bon métaphysicien, le
néodarwiniste s’évertuera à séparer du mieux possible variabilité d’une part,
sélection naturelle de l’autre. L’une aura ses lois propres, celles de la
génétique moléculaire, que l’autre conserve ou non son statut malthusien. Le
marxiste au contraire travaillera à leur unification dialectique… En ce qui
concerne le statut malthusien de la sélection naturelle, rappelons au passage
la remarque d’Engels : « Toute la doctrine darwiniste de la lutte
pour la vie est simplement la transposition de la société dans la nature
animée, de la doctrine de Hobbes sur la guerre de tous contre tous et de la
doctrine économico-bourgeoise de la concurrence, jointes à la théorie
démographique de Malthus » : Même sans Malthus, La sélection
darwinienne relève encore de Hobbes et conserve son statut économico-bourgeois.
On mesure l’importance de cette précision devant le rejet implicite, voir
l’oubli pur et simple, de Malthus, jugé excessif pour le credo
mendélo-morganiste sous sa forme actuelle : ce dernier travaillant à la
modération idéologique de la théorie de la sélection naturelle.
En revanche il est possible de
conserver le concept descriptif (Darwin ne fit pas autre chose) de sélection
naturelle en le réinvestissant d’un nouveau contenu scientifique (à la lumière
des principes de la théorie marxiste de la connaissance ; cf. 2. Lénine
face à Bogdanov) :
« De même que la
loi qui régit la salaire ouvrier a conservé sa valeur – même quand depuis
longtemps étaient périmées les arguments malthusiens sur lesquels Ricardo
s’appuyait -, de même la lutte pour l’existence peut également avoir lieu dans
la nature sans aucune interprétation malthusienne. ».
Engels Anti –Dühring
Comment peut-on tout à la fois proclamer le statut
« synthétique » de la théorie de l’évolution (forme unifiée du
néodarwinisme depuis les années 1940) et veiller opiniâtrement à ce que tous
les concepts néodarwiniens restent cloisonnés les uns par rapport aux autres
(métaphysique) ? Grâce à une forme raffinée de l’idéalisme se présentant
comme une conciliation entre idéalisme et matérialisme; le néopositivisme.
Cette version néo-kantienne du positivisme d’Auguste Comte (début du XIXe
siècle) encore nommé positivisme logique, empirisme logique, Cercle de Vienne,
ou encore empiriocriticisme, n’inspira pas plus d’estime à Marx que plus tard à
Lénine :
« J’étudie
aussi Comte en ce moment, puisque les Anglais et les Français font tant de
bruit autour de ce type. Ce qui les aguiche, c’est son côté encyclopédique, la synthèse. Mais c’est lamentable comparé à Hegel (même si Comte, en
tant que mathématicien et que physicien lui est de par sa profession supérieur,
je veux dire supérieur dans le détail, Hegel demeurant, même ici, pour
l’ensemble, infiniment plus grand). »
Marx à Engels, 7 juillet 1866.
B. Lénine face à Bogdanov
« Matérialisme et empiriocriticisme » cristallise sous
la plume de Lénine (1908) l’histoire d’une lutte idéologique menée par Engels,
Plékhanov, puis par lui même contre les multiples infiltrations de l’idéalisme
dans les sciences de la nature à la fin du XIXe. Dans le contexte de
la « crise de la physique » (crise dont elle n’est toujours pas
sortie ; aucune théorie unifiée n’a pu encore voir le jour entre mécanique
quantique et relativité par exemple), le positivisme refait surface sous des
formes variées, des idéalistes déclarés tels que Mach aux
« matérialistes » se réclamant du Marxisme tels que Bogdanov.
La théorie de ce dernier, l’empiriomonisme, variété de
l’empiriocriticisme échafaudé par Mach[11],
fait l’objet d’une attention particulière de la part de Lénine ; Face aux
problématiques ouvertes aux chapitres précédents, elle rouvre un débat
fondamental au cœur du marxisme, celui du relativisme (et implicitement celui
de la question des « deux sciences »).
En intervenant au moment où la crise de la physique était l’objet de
toutes les préoccupations, Lénine ne s’est pas penché sur la biologie. Sa
contribution est pourtant fondamentale ici, si on la transpose à une autre
« crise », actuelle, celle de la science de l’évolution. Bien que
tardive – la biologie est beaucoup plus jeune que la physique – cette crise
semble s’ouvrir avec les mêmes caractéristiques que celles que traverse la
physique depuis cette époque, témoins les multiples tentatives actuelles de
conciliation entre matérialisme et « émergentisme » (selon la formule
vitaliste de Cabanis « le cerveau sécrète la pensée comme le foie
sécrète la bile » reprise par Bogdanov hier, par Mayr aujourd’hui en
biologie avec un théorie forte de l’émergence). Bogdanov cherche en
effet à compromettre le marxisme dans des solutions agnostiques à des problèmes
épistémologiques contemporains bien réels.
Faisant référence à la célèbre formule d’Engels « A chaque
découverte qui fait époque dans le domaine des sciences naturelles, le
matérialisme doit modifier sa forme », Lénine porta (contre Bogdanov)
une accusation qui devait plus tard rester malheureusement d’actualité :
« La
révision de la forme du matérialisme d’Engels, la révision de ses principes de
philosophie naturelle, n’a rien de « révisionniste » au sens consacré
du mot ; Le marxisme l’exige au contraire. Ce n’est pas cette révision que
nous reprochons aux disciples de Mach, c’est leur procédé purement
révisionniste qui consiste à trahir l’essence du matérialisme en feignant de
n’en critiquer que la forme »
Lénine, Matérialisme et E.criticisme
Remarque d’actualité : Si l’émergentisme de Mayr feint de ne
réviser que la forme du matérialisme, celui de Kupiec et Sonigo en trahit
finalement l’essence ouvertement…
a. La question du relativisme
L’empiriocriticisme complète l’empirisme de Hume[12]
mais prétend en déloger le scepticisme : Attaque contre la distinction
« métaphysique » de la matière et de l’esprit ; Matière et
esprit seraient de même essence (tous deux sont des « complexes de
sensations » neutres !). La question du primat de la matière sur
l’esprit, ou de l’esprit sur la matière ne se pose plus, idéalisme et matérialisme
s’en trouvent réconciliés dans un
« monisme » d’inspiration darwinienne : position
anti-métaphysique et anti-cléricale du « matérialisme des sciences de
la nature ». Il s’agit d’un
matérialisme prétendument anti-métaphysique (au sens où Hume
l’entendait : L’objectivisme étant une prétention métaphysique !)
mais pour lequel « la matière disparaît » (Lénine), pour lequel la
« chose en soi » ne peut en aucun cas susciter par le travail
scientifique la « chose pour nous ».
S’opposant à ce qu’il appelle l’« objectivisme bourgeois »,
pour Bogdanov, il n’existe que des « vérités d’époque » :
« La science est l’expérience collective de travail organisé ».
Ainsi « la pensée scientifique ne se différencie [de la pensée
ordinaire] que par un côté plus organisé, c’est à dire en rejetant tout ce
qui est contradictoire ». Partant d’un militantisme anti-métaphysique,
voici une thèse on ne peut plus anti-dialectique ! Dans cette notion
d’« expérience de travail », Bogdanov met en fait l’accent sur le
terme « expérience », finissant par nier le primat marxiste de la
pratique sur la théorie. L’absence de dialectique renvoie tout matérialisme
spontané à la faillite théorique (passage à l’idéalisme), comme le démontre
Lénine…
Tout d’abord, en niant la possibilité d’une vérité absolue,
Bogdanov nie du même coup l’existence d’une vérité objective
(indépendance de ce qui est reflété vis à vis de ce qui reflète, à savoir la
pensée). Partant, toute vérité peut être indifféremment établie en toute
légitimité, en tant que « forme organisée de l’expérience humaine »
(par exemple la vérité chrétienne comme la vérité scientifique !). Le
relativisme de Bogdanov (de longue tradition depuis Kant et Hume et passant par
Mach et Avenarius) est la base de sa théorie de la connaissance : Il pose
l’impossibilité de reconnaître l’existence d’une vérité absolue.
Au contraire le relativisme marxiste est une situation dynamique fondée
sur la dialectique et implique son contraire, l’objectivité :
« La
dialectique (…) intègre comme l’un de ses moments, le relativisme, la négation,
le scepticisme, mais ne se réduit pas au relativisme (…). Elle admet la
relativité de toutes nos connaissances non point au sens de la négation de la
vérité objective, mais au sens de la relativité historique des limites de
l’approximation de nos connaissances par rapport à cette vérité »
.
Lénine, Matérialisme et E.criticisme
La vérité absolue est l’intégration de vérité relatives, une vérité
relative étant une vérité qui, sortie de son cadre nécessairement limité, perd
sa validité absolue (vérité « approximative ») :
« Chaque
étape du développement des sciences intègre de nouveaux « grains » à
cette somme de vérité absolue, mais les limites de la vérité de toute
proposition scientifique sont relatives, tantôt élargies, tantôt rétrécies, au
fur et à mesure que les sciences progressent ».
Lénine, Matérialisme et E.criticisme
Lénine parle alors d’une ligne de démarcation entre vérité absolue et
vérité relative « tout juste assez vague pour empêcher la science de
devenir un dogme au mauvais sens du mot, une chose morte, figée,
ossifiée ; mais assez précise pour tracer entre nous et le fidéisme,
l’agnosticisme, l’idéalisme philosophique, la sophistique des disciples de Hume
et de Kant, une ligne de démarcation décisive et ineffaçable ».
Dans quelle mesure doit-elle être vague, c’est à dire dynamique ?
Lénine cite Engels, pour qui ni la connaissance de la vérité absolue, ni la
pensée souveraine « ne peuvent être réalisées complètement sinon par
une durée infinie de la vie de l’Humanité » (Anti-Dühring).
Cette ligne de démarcation repose donc sur une « inépuisabilité » de
la matière, non sur son « inconnaissabilité ».
Enfin, c’est sur le critère de la pratique que repose la théorie
marxiste de la connaissance. « La pratique, dit Lénine, est la
meilleure réfutation de l’agnosticisme de Kant et Hume ». La pratique
théorique procède dialectiquement parce que la pensée, auteur de cette pratique
théorique, appartient à la matière et que la matière procède elle même
dialectiquement. D’où la légitimité du matérialisme dialectique dans cette
pratique théorique, en tant que « moyen de production » des
connaissances concrètes :
« La seule
conclusion à tirer de l’opinion partagée par les marxistes, que la théorie de
Marx est une vérité objective, est celle-ci : en suivant le chemin tracé
par la théorie de Marx, nous nous rapprocherons de plus en plus de la vérité
objective (sans toutefois l’épuiser jamais) ; quelqu’autre chemin que nous
suivions, nous ne pourrons arriver qu’au mensonge et à la
confusion ».
Lénine, Matérialisme et E.criticisme
b. La question des « deux sciences »
L’intérêt de cette question apparaît dans une double
problématique ; La distinction science bourgeoise / science prolétarienne
est d’abord proposée par Bogdanov qui, rappelons le, se croit marxiste, elle
est reprise plus tard par Lyssenko dans un cadre différent, directement relatif
à la biologie cette fois.
A partir de sa définition de la vérité comme « forme organisée de
l’expérience collective », Bogdanov distingue donc deux sciences, bourgeoise
et prolétarienne. Pour lui, la science se réduit à un agencement
progressivement perfectionné des seuls éléments matériels des forces
productives (technique), oubliant d’y inclure les rapports de production !
On revoit surgir à travers le perfectionnement progressif des forces
productives, une forme d’adaptation darwinienne de l’Homme au milieu. Le moteur
de l’histoire n’est plus la lutte des classes mais le développement de la
technique… Dans la science bourgeoise, le lien naturel entre science et travail
(expérience collective) est rompu : Elle se morcelle en disciplines
distinctes, individualistes et volontairement ésotériques. La science
prolétarienne doit rétablir ce lien entre science et travail, et
« socialiser » le savoir scientifique…
En l’état, nous ne pouvons que rejeter une telle définition : On a
montré en quoi notre « science bourgeoise » évolue malgré elle en
absorbant spontanément des éléments dialectiques qu’elle devrait rejeter avec
dégoût. De plus, la rupture dont parle Bogdanov apparaît aujourd’hui peu
crédible : Le XXe siècle est le siècle du triomphe de la
technique et l’interdisciplinarité progresse incontestablement, malgré le grand
retour de la métaphysique en philosophie des sciences.
Lénine quant à lui, ne fait pas cette distinction. Mais il ne l’attaque
pas non plus chez son adversaire. Il parle au contraire d’un matérialisme
spontané des savants, au niveau de la pratique scientifique en tant que
travail intellectuel partant de l’expérience, et accuse 1) l’infiltration de l’idéalisme
dans la théorie de la connaissance, c’est à dire au niveau idéologique, 2) le
caractère anti-dialectique d’une élévation de ce matérialisme spontané au
niveau théorique (Lénine cite le biologiste Haeckel dont les positions
matérialistes s’exposent à la métaphysique par excès de mécanisme).
Avançons l’analyse suivante : L’erreur de Bogdanov ne se tient pas
dans la distinction entre deux sciences mais dans le contenu qu’il donne de
chacune d’elles.
« Dire que le caractère de classe de la
science réside dans la défense des intérêts d’une classe donnée, ce n’est qu’un
argument de pamphlétaire ou une falsification pure et simple. En réalité, la
science peut être bourgeoise ou prolétarienne par sa « nature » même,
notamment par son origine, ses conceptions, ses méthodes d’étude et
d’exposition. Dans ce sens fondamental, toutes les sciences, sociales ou
autres, y compris les mathématiques et la logique, peuvent avoir et ont
réellement un caractère de classe ».
Bogdanov, La science et la classe ouvrière
Une telle réflexion découle du problème qu’a Bogdanov vis à vis du
relativisme. Le critère de la pratique avancé par Marx n’est pas une thèse
empiriste : La pratique scientifique produit des faits scientifiques
exprimables, au moyen de concepts ; elle produit des connaissances
concrètes à partir de connaissances abstraites au moyen d’un système théorique
plus ou moins organisé. Un tel travail résulte de l’usage de moyens (technique
en évolution) et de « rapports » scientifiques de production
(directement soumis à la lutte des classes au sens large dans la mesure où la
science doit répondre aux besoins matériels –mais aussi idéologiques- de la
bourgeoisie dans la société capitaliste) lesquels sont parasités par
l’idéalisme.
La notion de science bourgeoise permet de mettre à jour une
contradiction antagoniste aujourd’hui manifeste en biologie par exemple :
En ce qui concerne l’évolution biologique, la science bourgeoise contient un
noyau de vérité absolue qui, du fait de l’élargissement naturel des limites
d’investigation, se change en vérité relative (le mendélo-morganisme ne répond
plus aux questions scientifiques posées par l’embryologie, l’immunologie, etc.)
que seule l’évolution des rapports de production scientifique pourra dépasser.
C. Lyssenko face à Zavadovski
On a vu à quel point l’évocation de l’« affaire Lyssenko »
appelle de toute part les haines anticommunistes les plus vivaces… Négligeant
toutes les calomnies et caricatures concernant la personne de Trofim Lyssenko,
et considérant que la biologie est mûre pour une analyse rétrospective
objective, notre travail est de dégager à la lumière de la crise actuelle de la
science de l’évolution, la légitimité des conceptions lyssenkistes mais aussi
ses erreurs gnoséologiques.
La session de l’académie Lénine des sciences agricoles de l’URSS voit
triompher au cours du mois d’août 1948 le courant mitchourinien, dont Lyssenko
est le chef de file, face au courant mendélo-morganiste. Cette session clôt un
combat acharné que se sont livrés les deux courants depuis les années trente.
La date de cette session est importante, à la croisée de trois moments
historiques :
► L’Union
soviétique triomphe. Elle sort victorieuse d’une guerre épouvantable lancée par
Hitler contre le bolchevisme. Le prestige que la patrie du socialisme tire de
sa victoire contre la bête immonde est un véritable camouflet à l’arrogance des
bourgeoisies occidentales. Le socialisme tient bon. Mieux ; il se propage
« dangereusement » en Europe… Mieux encore ; L’URSS, considérablement
éprouvée, ruinée par cette guerre qu’elle a menée seule jusqu’en 1944, se hisse
bientôt au rang de grande puissance. Nous sommes au début de la guerre froide.
Les pays capitalistes s’efforcent dés lors de saper le régime et de mettre le
pays à genoux. Pour l’URSS c’est une guerre de tous les instants, à l’extérieur
comme à l’intérieur, contre les tentatives incessantes d’infiltration…
►
L’agronomie tient une place essentielle dans la reconstruction rapide du pays.
Depuis les années trente, les techniques agronomiques établies par Lyssenko et
Williams sur la base de résultats scientifiques complétant ceux de Mitchourine
et de Timiriazev, remportent d’incontestables succès [voir annexe « Les
techniques agrobiologiques de Lyssenko »]. Au même moment la génétique
mendélienne stagne, en occident comme en URSS : Pratiquement mais aussi
théoriquement, elle est incapable d’apporter à l’agronomie les nouvelles
variétés plus rentables de plantes cultivables et de bétail dont l’Union
Soviétique a besoin dans le cadre de son redressement économique (la génétique
ne prendra son essor qu’à partir des années soixante avec le développement de
la cytologie et de la biochimie). Reconnu pour ses succès pratiques en
agronomie, Lyssenko est proclamé Héros de L’URSS en 1945.
► Au niveau
théorique, la lutte fut, depuis les années trente, beaucoup plus acharnée qu’on
ne le croit aujourd’hui. Il suffit de rappeler que le nazisme était abondamment
nourri de la littérature raciste et sélectionniste d’« héritiers » de
Darwin tels que Haeckel, Spencer, Weisman, Wilson… La théorie mendélienne de
l’hérédité fut une manne dont la plupart des néodarwiniens s’empressa
d’exploiter l’essence idéaliste (courant de la sociobiologie ou
« darwinisme social »).
En URSS, qui avons-nous face à cet infâme Lyssenko, ce « charlatan
dogmatique et paranoïaque » ? Des généticiens renommés
internationalement tels que Filiptchenko, Muller, Schmalhausen, Poliakov,
Vavilov. Il s’agit de biologistes marxistes, c’est à dire de savants qui se proposent
d’exploiter le mendélo-morganisme autrement que ne l’ont fait les généticiens
bourgeois en occident. Pauvres savants marxistes, si honnêtes et si
rationnels !… Nombre d’entre eux ont fini par rejeter le marxisme, avant
1948, s’exiler puis contribuer en tant que généticiens militants aux courants
les plus extrémistes de l’eugénisme élitiste occidental. Filiptchenko, puis
Muller[13]
notamment se joignirent à Haldane et Morgan dans ce courant à connotation
nettement fasciste…
Quoique puissent en dire les historiens bourgeois, l’existence d’un
courant éminemment réactionnaire chez les généticiens soviétiques ne fait aucun
doute. C’est donc dans ce contexte tourmenté 1) que la question des deux
sciences refait surface, 2) que l’URSS tire parti d’une science dont la théorie
est pour la première fois ouvertement matérialiste dialectique. Ces deux
problématiques sont indissociables : Nous verrons comment elles sont
abordées par le mendélo-morganiste Zavadovski d’une part, par Lyssenko lui-même
d’autre part, lors de la session de 1948.
a. Justesse et déviation de Zavadovski
Zavadovski est qualifié de mendélo-morganiste à son insu. Il précise sa
position au cours de la session de 48 dans un long discours.
A l’exception de son attitude vis à vis de ses confrères
mendélo-morganistes, l’ensemble de ses propos plaide pour son attachement au
marxisme et à sa méthode : Elève de Timiriazev, Zavadovski est avec
Lyssenko l’un des premiers savants soviétiques à s’élever contre la
« génétique formelle » issue de Mendel et Weismann. Opposant à ce
courant, il rappelle son chaleureux soutient à la doctrine mitchourinienne. Son
livre « Le délire raciste du fascisme allemand » expose en
conséquence et de façon assez clairvoyante son rejet catégorique du
« darwinisme social » (aujourd’hui la sociobiologie). La carrière de
Zavadovski est de ce point de vue insoupçonnable. C’est semble t-il sa prise de
position, même critique, en faveur de ses confrères mendélo-morganistes, et en
particulier en faveur de Schmalhausen[14]
qui lui vaut la sévère critique de Lyssenko.
Pourtant le discours de Zavadovski apparaît en ce qui concerne sa
position idéologique, tout à fait conforme au matérialisme dialectique et même
plus fine, plus pertinente que celle des lyssenkistes : Pour lui, la
science agrobiologique ne se divise pas en deux camps (correspondant à un
niveau supérieur à la division science bourgeoise / science prolétarienne)
comme ses adversaires le prétendent, mais en trois camps :
► Le
courant néodarwinien (autogenèse), condamné par Lyssenko sur le plan
pratique pour sa stérilité en agronomie et sa négation du rôle du milieu, comme
sur le plan idéologique pour ses implications antidialectiques et idéalistes.
► Le
courant néolamarckien (ectogenèse) qui nie l’autogenèse au point
d’attribuer au milieu un rôle exclusif de l’évolution et aboutit, comme courant
« extrémiste » à un matérialisme mécaniste idéologiquement douteux.
Les lyssenkistes entrent implicitement dans ce courant.
► Le « Darwinisme
conséquent », selon sa formule, qui consiste en un darwinisme corrigé
dans certaines implications théoriques de second ordre par la dialectique.
C’est la position que défend Zavadovski et à laquelle appartiendrait son maître
Timiriazev.
Pour l’académicien, la science soviétique doit mener une lutte
« sur deux fronts », à l’image du parti à un niveau supérieur contre
les déviations de droite et de « gauche », comme le préconisait avant
lui Timiriazev. Cette position est manifestement pertinente en ce sens
qu’aujourd’hui, faute de « darwinisme conséquent », deux camps
(autogenèse et ectogenèse) continuent de s’affronter (chapitre précédent)… Il
prolonge dans une certaine mesure la lutte idéologique menée par Lénine :
« Dans les
conditions du socialisme victorieux il n’y a qu’une seule ligne, la ligne
générale de notre parti, celle du marxisme-léninisme. La tâche de la lutte sur
deux fronts demeure entière : Contre les déviations de droite et de gauche
hostiles au parti, contre les erreurs scientifico-philosophiques, d’une part, contre
la vulgarisation mécaniste du marxisme et, d’autre part, contre
l’idéalisme menchévisant, le formalisme et la métaphysique. Une tâche de
responsabilité nous incombe : Aider les théoriciens et les praticiens de
la science biologique et agronomique à passer du matérialisme primitif des
sciences naturelles au niveau de la dialectique matérialiste consciente. »
En ce qui concerne la théorie mendélienne, Zavadovski rappelle fort
justement 1) que Timiriazev distinguait Mendélisme (qui contient dans sa
théorie restreinte un « noyau sain ») et Mendélianisme
(théorie réactionnaire forgée par les néodarwiniens à partir d’une extension en
lois générales des lois de Mendel), 2) que Mitchourine admettait la validité
restreinte de ce qu’il appelait ironiquement la « lois des petits
pois » (il cite un passage éloquent du livre de Mitchourine
« Soixante années de travaux ») :
« Y a t-il
contradiction dans les déclarations de Mitchourine lorsque, d’une part, il
parle des lois de Mendel comme de « lois des petits pois » et que,
d’autre part, il reconnaît la possibilité de les utiliser dans certains
cas ? Je pense qu’il n’y a pas de contradiction dans ce que dit
Mitchourine. Lorsqu’il parle des « lois des petits pois », il entend
les cas où l’on veut faire passer les lois de Mendel pour des lois générales de
la nature. »
Ajoutons encore à son crédit qu’il défend la notion de lutte intra
spécifique au sens où Engels l’entendait (voir A. Marx et Engels face à Darwin)
C’est à dire dans la mesure où elle n’est pas conçue comme loi universelle et
que sa position vis à vis de l’hérédité des caractères acquis paraît
aujourd’hui assez raisonnable; Il l’admet chez les végétaux (absence de lignée
germinale), pas chez les animaux (processus érigeant une démarcation
soma/germen) quoique provisoire [voir annexe « les techniques
agrobiologiques de Lyssenko »]
Quelles sont donc les erreurs de l’académicien Zavadovski ? D’une
position juste, celle de la lutte « sur deux fronts », il passe
objectivement, en accusant Lyssenko de l’ignorer ou de pervertir le débat, à la
défense des adversaires de ce dernier, c’est à dire des néodarwiniens
déclarés ! Nous assistons d’une part à la transformation d’une ligne juste
a priori (lutte contre deux déviations) en une « troisième voie » dissimulant
des concessions faites à l’un des camps contre l’autre :
« Lénine et
Staline nous enseignent que les contradictions entre deux courants doivent être
résolues non pas par la conciliation et la recherche d’une troisième orientation
intermédiaire, mais par une lutte de principe, aiguë et déclarée. »
Intervention de l’académicien lyssenkiste Démidov lors de la session
Les anti-bolcheviques (de droite ou de « gauche » adeptes du
« ni…ni ») crieront au scandale, au triomphe du dogmatisme !
Nous réagirons autrement… en affirmant qu’une position peut être juste ou
erronée au sens tactique du terme, selon le contexte historique où elle se
tient.
La position scientifique de Zavadovski est objectivement juste,
cependant que sa position idéologique du moment est erronée et témoigne d’un
manque de confiance dans le matérialisme dialectique… Zavadovski n’a pas
l’intention délibérée de trahir la science soviétique, bien au contraire. Mais
dans le contexte d’après guerre, où on le comprend, le relativisme idéologique
n’est pas de mise, la position de Lyssenko est idéologiquement juste bien que
scientifiquement partiellement erronée[15] :
Il était nécessaire de mener contre les mendélo-morganistes une lutte sans
merci. Fort de ses résultats pratiques, malgré ses
faiblesses théoriques, le lyssenkisme était le seul courant
historiquement constitué en URSS capable de mener une telle lutte. Il était
donc objectivement nécessaire en tant que marxiste et quelque soient ses
réserves à l’égard du lyssenkisme, de se rallier à ce courant contre le
mendélo-morganisme, jusqu’à ce que ce dernier soit totalement discrédité. On
aurait vu alors, et alors seulement, surgir chez les vainqueurs un courant
marxiste susceptible de mener une lutte juste contre la déviation mécaniste du
darwinisme soviétique.
Par le jeu de séductions, fort compréhensibles du reste (puisque le
mendélo-morganisme contient un « noyau sain » lui aussi), Zavadovski
se trouve au contraire contraint d’entrer dans le camp historiquement constitué
des adversaires de Lyssenko.
b. Duplicité de l’orientation lyssenkiste
La formation du courant lyssenkiste naît 1) d’une exploitation de la
doctrine fondée par Mitchourine et Timiriazev (théorie de l’hérédité opposée à
celle de Mendel), 2) de nombreux travaux couronnés de succès [voir annexe]
depuis les années trente, sur le plan pratique, 3) d’une extension matérialiste
dialectique de la théorie darwinienne. Ce courant bénéficie comme on l’a vu,
d’une légitimité historique indéniable qui explique sa large approbation en
1948 de la part des académiciens mais aussi et surtout de la part des
cultivateurs et agronomes travaillant dans les kolkhoses et les sovkhoses
partout dans le pays.
Cependant cette théorie apparaît aujourd’hui comme un système dont les
concepts sont justes mais dont l’agencement est erroné. Ce défaut provient du
rejet systématique des concepts issus de la génétique mendélienne. On notera
qu’un tel rejet s’explique par la gravité des lacunes que comportaient à
l’époque la théorie de Mendel[16].
Lyssenko nie catégoriquement l’hérédité chromosomique, la théorie cellulaire,
la réfutation de la génération spontanée et oppose le concept de métabolisme
contre celui de gène (il rejette à ce titre la nature particulaire de la
matière au nom du renouvellement de toute chose [continuisme]). Chez Darwin, il
nie les notions de hasard et d’autogenèse (il explique la variabilité intra
spécifique par l’hétérogénéité du milieu) et la lutte intra-spécifique.
Il apparaît dès lors plus lamarckien que darwinien, même s’il conserve
de Darwin la notion fondamentale de sélection, même s’il rejette le vitalisme
de Lamarck. Le problème vient du caractère catégorique de ces négations :
Hasard et lutte intra-spécifique doivent être admises dans l’analyse
dialectique en tant que lois limitées, « réduites » aux lois
dialectiques et opposées en ce sens à leurs contraires (nécessité et lutte
interspécifique) : Ce sont des faits scientifiques objectifs mais ils ne
constituent pas le moteur de l’évolution. Sa théorie de l’hérédité conserve, à
juste titre la notion d’hérédité-fusion (que la génétique a totalement banni
aujourd’hui), mais propose un modèle qui, s’il ne l’élucidait pas lui-même du
point de vue biochimique, reste non élucidable aujourd’hui encore…
Lyssenko réfute la notion de hasard comme intrusion de
l’ « inconnaissable » en biologie – ce en quoi il n’a pas tort –
sans chercher à savoir si, à travers la notion de hasard justement la
dialectique peut réfuter ce caractère inconnaissable (idéaliste).
Tous les textes de Lyssenko expriment, malgré ces interprétations plus
ou moins erronées de l’hérédité, une argumentation impeccable contre
l’idéalisme mendélo-morganiste et le caractère profondément réactionnaire du
néodarwinisme qui l’englobe. En ce qui concerne sa position philosophique, nous
sommes face à une ambiguïté profonde vis à vis du matérialisme dialectique.
Ainsi sur le plan théorique, notre académicien s’expose aux accusations
de « rousseauisme » en récusant la notion de lutte intra-spécifique
au profit de celle d’entre aide comme loi biologique universelle. Cette faille
ouvre la voie de l’idéalisme dans sa conception générale de la vie. Sur le plan
pratique, il s’expose (par anticipation bien sûr) aux accusations de maoïsme,
en se déclarant pour la « science des champs » contre la
« science de laboratoire »[17].
Mais l’accusation la plus grave, semble t-il, serait celle de
bogdanovisme, au sens où il aborde la question des deux sciences sous un angle
équivoque : Cette question est en effet particulièrement complexe, et le
contexte historique de la lutte interne à la science soviétique n’arrange rien.
On a vu comment chez Bogdanov l’histoire des sciences est marquée par un
évolutionnisme de type spencérien. Voici ce qu’en dit D.Lecourt, élève
d’Althusser :
« Dans son
tableau du monde [celui de Bogdanov], ce n’est
plus, comme chez Marx, la lutte des classes qui apparaît comme le moteur de
toute l’histoire, mais le développement de la technique. Pour Bogdanov, comme
plus tard pour Staline, « la technique décide de tout ». La division
en classes de la société n’apparaît en conséquence que comme un obstacle
transitoire et inessentiel au développement harmonieux de la société sur le fil
d’un temps continu, homogène et intérieurement finalisé par l’ombre portée de
son origine ».
Dictionnaire d’histoire et philosophie des sciences
Force est de constater qu’en Union Soviétique à l’aube de la guerre
froide, la dictature du prolétariat est plus nécessaire que jamais tandis que
la lutte des classes s’intensifie… alors que la bourgeoisie locale a sinon
disparu, du moins subi un tel assaut qu’elle s’en trouve dans une certaine
mesure inopérante !
Rappelons les termes dans lesquels il est possible de considérer, avec
Lénine et contre Bogdanov, la question des deux sciences et du relativisme. La
définition fournie par T.Desanti dans son article « La science, idéologie
historiquement relative » (1948) sera ici d’une grande utilité :
« Qu’il y
ait une science bourgeoise et une science prolétarienne fondamentalement
contradictoires, cela veut dire avant tout que la science est elle aussi
affaire de lutte de classes, affaire de parti. (…) Si la science est œuvre de
classe, comment comprendre l’unité, certaine, de son développement ? La
science est le fruit du travail humain et dans ce travail l’Homme détermine la
nature telle qu’elle est en elle même. Transformer la chose en soi en chose
pour nous, cela veut dire : s’attaquer à la nature brute au moyen des
outils que l’on forge à son contact et, par ce travail, apprendre à la dominer.
Or cette
transformation n’est pas le fait de l’Homme isolé ; elle utilise des
outils, elle s’exerce dans le travail. Elle est donc le fruit de la société
toute entière : dans la manière dont elle s’exerce se reflète l’état des forces
productives qui soutiennent tout l’édifice social ; se reflètent donc
aussi les intérêts de la classe dont
l’activité sociale porte en avant les forces productives et soutient la forme
d’organisation du travail. Le contenu de la science doit donc retenir l’unité
dialectique de deux termes de cette transformation : le travail humain
d’un côté, la nature de l’autre. Cette unité est proprement ce que Lénine
appelle « la chose pour nous », ou, en d’autres termes, le secteur de
la nature déjà dominé par la pratique humaine.
Cette relation
dialectique doit se retrouver aussi dans le développement de la science.
Ce développement
a toujours un contenu social : comme tel il est toujours relatif à l’état
des forces productives, toujours lié aux luttes de classes (souvent par des
liens éloignés), toujours expressif des intérêts et de la conscience d’une
classe. Mais ce développement exprime par là même le degré de maîtrise et de
domination qu’une société donnée a réalisé sur la nature. Il contient donc et
utilise, même lorsqu’il l’élargit, le secteur déjà dominé de la nature.
Par là s’explique
que la science soit une dans son développement et cependant lié d’un lien
nécessaire aux luttes de classes ; par là s’explique que le contenu de la
science soit objectif et cependant exprime le point de vue de la classe
ascendante ou dominante ».
En conséquence, le schéma général sera le suivant :
► La
matière évolue suivant des lois dont la science doit élucider la nature et les
rapports particuliers.
► Sur un
premier niveau, la pratique scientifique des savants consiste à examiner,
expérimenter (grâce à des moyens techniques ayant eux même un niveau de
développement historique, donc dépendant de la lutte des classes – c’est à dire
des besoins ponctuels de la classe dominante -) et abstraire (« pratique
théorique ») les processus qui animent cette matière sous ses différents
aspects.
► Sur un
deuxième niveau, la pratique théorique des savants contribue à l’élaboration de
théories scientifiques, en correspondance directe (reflets) avec les faits.
Rappelons que cette pratique théorique est soumise 1) inférieurement à une
philosophie matérialiste spontanée des savants, qui postulent l’existence
objective de la matière qu’ils étudient (philosophie que Lénine appelle
« matérialisme des sciences de la nature »), 2) supérieurement à une
idéologie plus ou moins idéaliste, directement livrée par la classe dominante
pour les besoins de sa lutte idéologique (contre le matérialisme en général).
Il serait métaphysique d’opposer ces deux niveaux.
► De ce
processus, doublement aliéné aux intérêts de la bourgeoisie, naît un corpus de
connaissances scientifiques. Ce corpus subit une double évolution
gnoséologique :
► Il est
d’abord objectif, produit par une science répondant aux nouveaux besoins de la
bourgeoisie accédant au pouvoir, puis de plus en plus relatif à mesure que le
champs de la pratique scientifique s’élargit (sous l’influence du matérialisme
spontané des savants et malgré l’idéalisme qui le travestit
idéologiquement). Ce développement scientifique s’expose alors nécessairement à
la formation d’une nouvelle théorie scientifique redonnant au corpus (saut qualitatif)
son statut objectif en le complétant ou en l’amputant comme système plus large.
Or ce développement n’est nécessaire en soi que dans une société sans lutte de
classes (évoluant sous l’effet d’une contradiction non antagoniste).
► Dans le
cadre d’une lutte des classes au niveau supérieur, la nécessité de ce
développement scientifique est couplé à celui du terme de la domination
bourgeoise sur la société : Contre la relativisation du corpus jadis
objectif mais paré d’une présentation idéaliste servant ses intérêts
idéologiques, la bourgeoisie s’efforce de lutter du mieux qu’elle peut... Pour
ce faire, elle dispose de deux armes redoutables : Blocage du
développement des techniques[18]
(contre la relativisation de la science bourgeoise), intensification de la
lutte idéologique (contre la « ré-objectivisation » de la science,
désormais prolétarienne).
En Union Soviétique, la bourgeoisie internationale, en connexion avec
les vestiges de la bourgeoisie locale, ne dispose plus de la
première arme (blocage du
développement technique) mais
joue encore sur
la deuxième, dans la mesure où les savants soviétiques entretiennent des rapports
plus ou moins étroits avec leurs confrères occidentaux, et dans la
mesure où l’encerclement capitaliste retentit idéologiquement autant que
pratiquement sur le développement de l’URSS.
Lyssenko a donc raison de mener une telle lutte sur le plan
idéologique : La relativisation de la science bourgeoise ne peut que mener
à un blocage discréditant le mendélo-morganisme. Cependant il commet
l’imprudence de rejeter tous les instruments théoriques exploités par la
science bourgeoise, dans la mesure où c’est à partir d’eux que la
relativisation se développe. C’est surtout à partir d’eux qu’une nouvelle
science objective peut se construire à un niveau supérieur, et non sur
un plan diamétralement opposé.
D. Althusser face à Monod
Les années soixante voient l’essor de la génétique moléculaire, dont
Jacques Monod et François Jacob sont parmi les chefs de file, le désaveu total
du lyssenkisme et bientôt celui de toute intervention marxiste en science. En
France, le débat qui touche les problèmes soulevés ici, oppose à cette époque
Monod, biologiste très renommé, dont « Le hasard et la nécessité »
orne ses résultats d’une « philosophie naturelle » complètement
idéaliste, à Louis Althusser, philosophe marxiste tout aussi renommé auprès des
intellectuels de son temps pour avoir tenté de « régénérer » Marx…
Indiquons que Monod est un anticommuniste virulent. D’autant plus virulent
qu’à la « grande époque de la classe ouvrière », c’est aussi dans les
milieux intellectuels la « grande époque du marxisme », un marxisme
en vogue, sur lequel nous reviendrons. Toute suggestion de l’idéalisme se
devait (ce n’est plus le cas aujourd’hui !) de contenir une offensive
préalable contre le matérialisme dialectique. En tant que telle, l’offensive de
Monod se révèle particulièrement ténue : L’unanimité du discrédit depuis
l’affaire Lyssenko lui évite de trop coûteux développements.
Plus intéressante est la position d’Althusser dans ce débat… Brillant
philosophe, il perçoit à sa juste valeur l’ensemble des thèses idéalistes de
Monod sur le nouvel objet de la génétique moléculaire, il désigne en ce dernier
un continuateur des luttes idéologiques contre le matérialisme en science
(Kant, Husserl, Mach), il sent enfin la nécessité d’une contre-offensive
marxiste sur son terrain, conscient qu’il existe objectivement une lutte
historique de classe sur le plan des idéologies.
Cependant la spécificité des positions critiques d’Althusser par rapport
à celles des autres marxistes français, en premier lieu vis à vis des
« leçons » tirées de l’expérience soviétique (affinités et désaccords
avec Elleinstein, Garaudy, Mury…) rend sa contre-offensive particulièrement
délicate et périlleuse, lorsqu’il se retourne sur d’authentiques anti-marxistes
bourgeois : Elle fera l’objet d’un discours du plus haut intérêt publié
sous le titre Philosophie et philosophie spontanée des savants, où sont
abordées implicitement la question des deux sciences, et explicitement la
question des relations souhaitables entre marxisme et sciences. C’est
d’ailleurs au fil d’interventions de ce type que s’est construit et développé
l’Althussérisme, dont on sait aujourd’hui qu’il est loin d’avoir accompli la
mission qu’il s’était assignée, à savoir cette fameuse
« régénération » du marxisme.
a. Critique du matérialisme mécaniste de Monod
Dans Philosophie et philosophie spontanée des savants, Althusser
actualise et développe la position léniniste vis à vis de l’exploitation
idéaliste des sciences avec l’exemple type de Monod, précise le processus
inhérent à cette philosophie spontanée pour expliquer comment ce dernier passe
d’une position matérialiste à des conceptions inconsciemment mais purement
idéalistes.
Tout d’abord, l’auteur annonce qu’il « pratique la
philosophie », discipline qui, contrairement à la science, n’a pas
d’objet. Il s’emploie par conséquent à distinguer non pas le vrai du faux (il
n’y a pas de vérité propre à la philosophie) mais le juste du non-juste
(justesse), énonçant non des « lois » mais des « thèses »
(signifiant pour lui « positions »).
Considérant l’Histoire de la philosophie d’une part, l’Histoire des
sciences d’autre part, il constate que la philosophie entretient vis à vis de
la science des relations d’« exploitation ». Celles ci prennent des
formes plus ou moins avouées de l’idéalisme (lutte contre le matérialisme en
science) ; Stimulant ou au contraire limitant le développement
scientifique selon la conjoncture (lien « lointain » avec la lutte
des classes) : Exploitations théologique, spiritualiste, criticiste
(limitation des « droits » de la science à exister ou à se
développer), exploitations successivement mécaniste (Diderot), empiriste
(Hume), positiviste (Comte), néopositiviste (Mach) comme formes de matérialisme
libérant le développement scientifique.
La pratique scientifique contient donc un élément idéologique,
particulièrement difficile à distinguer du scientifique pur sauf en
période de « crise » scientifique (crise des irrationnels dans les
mathématiques grecques, crise de la physique moderne à la fin du XIXe
siècle, crise des mathématiques modernes avec la théorie des ensembles au début
du XXe siècle, …). C’est en effet pendant de telles crises, agissant
comme des « révélateurs », qu’on voit se partager les savants en
trois catégories ;
-
Ceux qui persistent à travailler
avec leurs anciennes méthodes, convaincus d’assister à une simple « crise
de croissance » (Lénine) de leur science.
-
Ceux qui profitent de l’occasion
pour rejeter tout ce qu’ils ont appris et se livrent corps et âme à la
philosophie idéaliste antiscientifique.
-
Ceux enfin qui accusent la
philosophie matérialiste qui les animait inconsciemment (spontanément) et
cherchent pour la remplacer une meilleure philosophie de la science (celle de
Mach par exemple…).
Ainsi en chaque savant, il y a un philosophe qui sommeille…
Le problème d’une distinction claire de l’idéologique et du scientifique
vient du fait qu’en tant que pratique philosophique, cette distinction s’opère en
elle même (le domaine de
C’est sous cet angle qu’Althusser distingue dans un premier temps chez
le savant 1) sa conception du monde, sous sa forme générale, 2) sa philosophie
spontanée (relative à sa pratique scientifique). Il distingue par ailleurs à
l’intérieur de cette philosophie spontanée 1) un élément 1,
intra-scientifique et matérialiste, ayant un rapport direct avec son activité
scientifique et 2) un élément 2, extra-scientifique et idéaliste,
importé et relatif au champ contemporain de la philosophie.
Dans ce rapport dialectique, l’élément 2 domine l’élément 1. Althusser
affirme que l’intérêt des savants (développement de la science) est d’inverser
ce rapport (domination de l’élément 1 matérialiste), mais que cette inversion
ne peut être effectuée par le savant seul ; il lui faut
l’« assistance » de philosophes matérialistes (capables de distinguer
pour lui ce qu’il y a d’idéaliste dans sa pratique scientifique). Il ajoute
qu’historiquement les philosophes matérialistes qui ont contribué (avec les
savants ou en tant que savants) au développement scientifique, n’ont inversé le
rapport de domination élément 1 / élément 2 qu’en apparence ; En accédant
au statut d’élément 2, le matérialisme passe à l’idéalisme en pêchant soit par
mécanisme (finalisme externe ou interne à la matière), soit par empirisme
(sensualisme ou croyance en l’objectivité des seuls sens, sans théorie), soit
par positivisme (croyance évolutionniste finaliste en une Vérité positive, à
connotation morale), soit enfin par néopositivisme (croyance en l’efficacité
empirique et morale des sciences malgré l’inconnaissabilité de la matière). En
définitive, seul le matérialisme dialectique est susceptible d’aider le savant
sans réintroduire subrepticement l’idéalisme dans sa pratique, son travail
étant justement de démasquer ces tendances philosophiques.
Monod est cité à titre d’exemple type pour sa démonstration. Althusser
explique en quoi celui-ci passe d’un élément 1 matérialiste (anti-vitalisme[20],
émergentisme112 des systèmes vivants fondé sur un support matériel,
l’ADN) et même dialectique (anti-finalisme, présence de notions implicites[21]
de la dialectique telles que le saut qualitatif) à un élément 2 finalement
idéaliste pour deux raisons :
-
En sortant de l’objet, Monod devient
spiritualiste en utilisant les termes de biosphère puis de
« noosphère » immatérielle (néologisme désignant l’émergence, au
terme de l’évolution biologique, d’un « royaume des idées et de la
connaissance »).
-
Sa définition de
l’« émergence » des systèmes vivants juxtapose propriétés de
reproduction et de création en se contentant de régler toute question
théorique par la toute puissance de l’ADN.
Si le premier point (Noosphère) est particulièrement voyant et frôle
même aujourd’hui le ridicule, la critique du second point quant à elle résonne
particulièrement juste : On verra dans le chapitre suivant qu’à la manière
de Monod qui s’autorise pour lutter contre la « téléologie » à
employer le néologisme « téléonomie », nous nous autoriserons pour
avancer une définition nouvelle, à employer le terme de « matière
vivante » pour mieux lutter contre le vitalisme… Notre définition
aura du moins le mérite d’éviter cette juxtaposition gratuite pour réintroduire
la causalité dialectique qui « manquait » à Monod.
b. Matérialisme « critique » contre matérialisme
« ontologique »
Il s’agit de comprendre à la fois 1) pourquoi Althusser évite soigneusement
de repérer ce qu’il y a d’idéaliste non pas dans la transposition des notions
émergentistes de la génétique moléculaire au monde des idées
(« noosphère ») mais précisément au
cœur même de cet émergentisme, dans la matière, 2)
pourquoi il n’intervient dans le débat scientifique que pour suggérer à Monod
qu’il est trop idéaliste et dans l’espoir que ce dernier devienne matérialiste
dialectique.
La réponse à cette double question, qui concerne le cœur même de la
philosophie d’Althusser, expliquera du même coup, dans une certaine mesure,
pourquoi ce dernier interrompt brusquement l’histoire de la contribution
marxiste au débat scientifique.
► Tout
d’abord, Althusser prétend que si le matérialisme historique a fait ses
preuves, le matérialisme dialectique – c’est à dire la « philosophie
marxiste » - est un champ ouvert où « tout » reste à construire[22].
Parmi les critiques marxistes du « phénomène stalinien » par exemple,
il s’oppose à Elleinstein (« c’est un ensemble de réponses fausses à des
questions toujours bien posées ») en affirmant au contraire que
« c’est parce qu’elles étaient mal posées qu’elles ont reçu des réponses
erronées ».
Althusser attaque le dogmatisme du matérialisme dialectique officiel
(donc « ossifié ») de l’URSS… Révisionnisme ? A nous de
juger :
« [La philosophie
marxiste] était à ce point compromise, et visiblement compromise dans
l’épisode Lyssenko, que l’analyse de cette erreur eût dû mettre à l’ordre du
jour son examen de fond. On eût
pu voir alors
qu’une certaine
vision, disons ontologique, de la philosophie marxiste s’était imposée depuis des
années en URSS, qu’elle avait été codifiée par Staline dans son fameux chapitre
de L’histoire du PCbUS et qu’elle était devenue dominante en URSS et dans tous
les partis communistes ». Althusser poursuit, et c’est de plus en plus
intéressant : « On eût pu comprendre que certaines contradictions
antérieures de la philosophie marxiste, qu’on peut déceler jusque dans la
lettre des textes de Marx et Engels, avaient permis après d’autres à Staline de
la précipiter dans l’ontologie. »
Althusser. Préface de « Lyssenko » (D.Lecourt)
Pour analyser d’un point de vue marxiste les erreurs de Lyssenko,
Dominique Lecourt, son élève, précise dans le détail ce qu’Althusser entend par
matérialisme « ontologique ». Cette précision est extrêmement
importante : C’est elle qui justifie 1) son intervention
« non-révolutionnaire » dans le débat scientifique, 2) l’impasse
théorique de cette philosophie marxiste vis à vis de la science moderne
idéaliste.
« Dans ses
notes sur
D.Lecourt. Lyssenko
Althusser veut à tout prix éviter de retomber dans cette impardonnable
erreur de croire que la pensée est le reflet de la matière et qu’elle procède
comme cette dernière c’est à dire dialectiquement ! Il opposera donc
à ce matérialisme ontologique stalinien, source de tant de maux (même si de son
propre aveu sa substance est lisible chez Marx et Engels eux même !), un
matérialisme « critique et révolutionnaire », dont la confrontation à
Monod soulignera l’obscurité…
► Ainsi,
pour Althusser, les lois de la dialectique ne sont pas des vérités absolues.
L’évolution des concepts althussériens en fait clairement état : Ce qu’il
appelait « pratique théorique » dans Pour Marx devient
« pratique philosophique » dans Philosophie et philosophie
spontanée des savants, « petit » changement syntaxique par suite
duquel il s’autorise une critique de la philosophie spontanée des savants mais
en s’interdisant du même coup toute intervention dans la pratique
scientifique elle même. Par conséquent le matérialisme dialectique n’est pas
une théorie mais une philosophie, cette philosophie n’est donc pas un système
de « vérités » constituées, comme l’est par ailleurs n’importe quelle
théorie scientifique ! Implicitement, force est de constater qu’Althusser
ôte au marxisme toute scientificité ou qu’il oppose métaphysiquement sciences
humaines (où le marxisme serait une science) et sciences « exactes »
(où il ne le serait pas)… Ce qu’il nous propose, c’est un matérialisme
« honteux » de sa dialectique, subjectiviste au sens où il ne formule
plus de lois (« ontologiques » c’est à dire inhérentes à la matière)
mais des « positions » (il n’y a pas de vérités ou d’erreurs en
« philosophie ») ; sa tâche, enfin, n’est plus d’intervenir sur
les théories d’appropriation des connaissances scientifiques mais simplement
d’aider les scientifiques à faire la part du matérialisme et de l’idéalisme
dans leur travail (matérialisme « critique »).
Il va de soi que la question des deux sciences revêt elle aussi un caractère
hautement ontologique et que Monod, par exemple, n’en saurait être qualifié de
« savant bourgeois ». Althusser ne va pas jusqu’à dire que l’histoire
des sciences est déconnectée de la lutte des classes (puisque sa tâche est
d’expliciter dans la philosophie spontanée des savants le caractère idéaliste),
ce lien est simplement « lointain » :
« Toute pratique
scientifique est inséparable d’une « philosophie spontanée », qui
peut lui être, selon la philosophie en cause, matérialiste une aide, et idéaliste
un obstacle ; cette philosophie spontanée renvoie, « en dernière
instance », à la lutte séculaire qui se déroule sur le champ de bataille
de l’histoire de la philosophie, entre les tendances matérialistes et les
tendances idéalistes ; et les formes de cette lutte sont elles mêmes
commandées par d’autres formes plus lointaines, celles de la lutte idéologique
(entre les idéologies pratiques ou en leur sein), et celles de la lutte de
classe. »
Althusser. Philosophie et philosophie spontanée des savants
► Il a donc
raison de reconnaître le caractère objectif des découvertes de Monod sur la
génétique moléculaire, mais tort de ne dénoncer l’idéalisme de ce dernier que
dans l’exploitation de ces découvertes à un humanisme « biologique »
extérieur à sa discipline : L’idéalisme est présent au niveau même de sa
théorie scientifique (construction d’un système fini à partir de faits
objectifs) : Emergentisme vitaliste, génétique instructionniste-idéaliste
(dénoncé par Sonigo, qui est pourtant loin de s’avouer proche de
Lyssenko !), théorie de l’information…
Partant, le but de Philosophie et philosophie spontanée des savants
est clair : Le philosophe matérialiste s’adresse aux savants pour leur
prouver qu’il est de leur côté et qu’il les aidera grâce au matérialisme
dialectique « critique » à désidéaliser leur science…
D’une part, toute volonté d’effectuer une « synthèse »
dialectique en biologie sera donc accusée du péché « ontologique »
(ce sera pourtant notre tâche dans les prochains chapitres !). D’autre
part, toute tendance à confirmer la validité des lois dialectiques à travers
l’évolution naturelle de la science (et cette tendance résiste encore dans le
discours même d’Althusser sur Monod !) sera forcément illusoire[23]…
Avec une lutte idéologique des sciences si éloignée de la lutte des
classes, avec une science elle même si objective, avec enfin une philosophie
matérialiste dialectique si matérialiste et si peu dialectique, on comprend
qu’Althusser conçoive son intervention comme une aide plutôt que comme une dénonciation
des théories scientifiques de son époque : Pour lui, la science peut
indifféremment épouser le matérialisme dialectique (pour peu que celui ci ne
soit pas ontologique !) sans qu’une révolution ne renverse la domination
bourgeoise dans la société[24].
C’est à ce titre qu’elle se montre « non-révolutionnaire ».
Si l’Althusser de Philosophie et philosophie spontanée des savants
se départit du caractère révolutionnaire de la philosophie marxiste pour ne
construire son matérialisme dialectique qu’en opposition à celui qui a guidé
l’URSS, sa conception antérieure, exposée dans Pour Marx contenait en
revanche une théorie de la connaissance digne d’intérêt, dans la mesure où 1)
le marxisme n’était pas conçu comme une idéologie mais comme une Théorie, 2) sa
pratique n’était pas encore conçue comme une pratique philosophique mais comme
une pratique théorique, 3) légitimement, il intervenait en tant que tel au cœur
de la pratique scientifique.
Suivant le schéma indiqué dans Pour Marx, on part de concepts
généraux abstraits, déjà donnés, nommés GI (issus de nouveaux faits
scientifiques ou de pratiques idéologiques antérieures ou d’ex-GIII). Par une
pratique théorique, ces concepts GI sont transformés en connaissances
scientifiques concrètes (« concret-de-pensée » reflet du
« concret-réalité », son objet, toujours extérieur à la pensée)
nommés GIII. Cette transformation de GI en GIII s’opère au moyen d’une pratique
théorique dont la substance est une Théorie (corps de concepts plus ou moins
organisés, plus ou moins contradictoires ; « moyens de
production » théorique) nommée GII.
Ce schéma montre à quel point le matérialisme dialectique n’est pas
qu’une simple inversion de la dialectique idéaliste hégélienne. En effet pour
Hegel, GI (chose en soi) auto-engendre GIII (chose pour nous) par un
« mouvement de l’idée » dans lequel il y a confusion idéaliste GI/GII
(« GI est par nature inadéquat à l’essence des objets dont l’abstraction
devrait l’extraire »). Nous verrons au cours des deux chapitres suivants
qu’une telle méthode évite la confusion GI/GII non pas parce que le
matérialisme dialectique (GII) ne décrit pas objectivement la matière (GI),
mais parce que la science bourgeoise présente des faits qui contiennent sous
leur forme intellectualisée (GI) une part de « vérité absolue » et
que celle ci ne peut être explicitée (GIII) qu’au moyen d’une théorie juste
(GII), la théorie matérialiste dialectique.
E. Conclusion
Qu’ils finissent par le rejeter comme courant idéaliste fardant les
« sciences fausses » d’une scientificité illégitime (Althusser[25])
ou qu’ils en regrettent certains écueils anti-dialectiques (Garaudy[26]),
des nombreux marxistes se sentent malgré tout en affinité avec le
structuralisme, très en vogue dans les années soixante-dix.
Cet « -isme » qui fut bien éphémère, comportait en effet un
aspect positif stimulant le développement de la science (aspect matérialiste)
et un aspect négatif affirmant le primat de la structure sur le processus
(aspect mécaniste anti-dialectique). Il y a dans ce courant transdisciplinaire,
dont la composante relative à la biologie portait le titre de
« cybernétique », un piège évident tendu aux marxistes avides de
trouver dans la science bourgeoise de leur temps une confirmation de
« La cybernétique, comme théorie générale
des propriétés des systèmes auto-régulateurs, en s’exerçant constamment au
pastiche de l’organisme vivant, est la meilleure voie de recherche d’une raison
dialectique.
D’abord parce que
la notion fondamentale de « rétroaction » donne un contenu concret à
la dialectique de la contradiction : Un système auto-régulateur est un
système dans lequel toute variation est cause de sa propre négation. Le
servomécanisme est une réalisation technique de la contradiction externe,
puisqu’il tend à s’opposer (au moins dans certaines limites) aux variations du
milieu, et de la contradiction interne puisque cette résistance aux variations
implique une réaction sur l’ensemble du système, lui permettant un
fonctionnement invariable grâce à l’inversion constante de ses relations avec
l’environnement[27].
Un deuxième trait
de la dialectique implicite du modèle cybernétique c’est qu’elle intègre à la
logique le temps, sous la forme de relations irréversibles : Lorsqu’une
machine électronique, comme par exemple la tortue de Grey Walter, imite
l’acquisition de réflexes conditionnés, accumule des corrections au
comportement et évoque un apprentissage, elle nous contraint à la penser comme
nous devons penser la vie elle même, c’est à dire non pas de manière
analytique, comme constituée d’éléments interchangeables et indépendants les
uns des autres, mais d’une manière synthétique, comme un ensemble de relations
située dans un temps concret et hiérarchisées selon un ordre de complexité
croissante. »
R.Garaudy.
Marxisme du XXe siècle. 1966
Et encore ;
« Il ne faut
pas s’étonner si l’on a peu étudié les rapports entre ce mode de pensée et
d’action qu’est le matérialisme dialectique, et les sciences naguère bannies
des pays où il est le plus en honneur. Comme de la cybernétique, il en fut
ainsi par exemple, d’une part de la génétique et aussi de la
psychanalyse. »
Guillaumaud, Cybernétique et dial.1965
« En fait,
il est intéressant de remarquer que, d’une certaine manière, notre situation
n’est pas sans analogie avec celle dont est
issu le matérialisme dialectique.
L’évolution contemporaine de
la physique, la découverte
du rôle constructif de
l’entropie, a imposé à l’intérieur des sciences de la nature une question depuis
longtemps posée par ceux pour qui comprendre la nature,
c’était la comprendre capable de produire les Hommes et leurs sociétés. Nous
avons décrit une nature que l’on pourrait qualifier d’« historique »,
capable de développement et d’innovation, mais l’idée d’une histoire de la
nature a été affirmée depuis longtemps par Marx et, de manière plus détaillée,
par Engels, comme partie intégrante de la position matérialiste.
A l’époque où
Engels écrivait Dialectique de
Nous savons
aujourd’hui que les découvertes des sciences de la nature du XIXe
siècle n’ont pas suffi à transformer les principes de ces sciences. Non pas que
la science classique se soit révélée capable de les assimiler : L’ensemble
des interprétations subjectivistes de l’entropie, et la négation de la
singularité des processus irréversibles qu’elles impliquent constituent au
contraire une sorte de confirmation de l’accusation bien connue selon laquelle
le mécanisme implique un idéalisme plus ou moins avoué. Mais le matérialisme
dialectique s’est, quant à lui, trouvé confronté à cette difficulté
majeure : Quels sont les rapports entre les lois générales de la
dialectique et les lois tout aussi universelles du mouvement réversible ?
Ces dernières « cessent-elles » de s’appliquer à partir d’un certain
point, ou bien sont-elles fausses ou incomplètes ? Comment, et nous
retrouvons notre question, articuler le monde des processus et le monde des
trajectoires ?
Cependant, pour
répondre à cette question, nous disposons désormais de deux atouts
supplémentaires. D’abord, nous savons que la question n’est pas tellement celle
de l’articulation de deux types de lois universelles, mais celle de la limite
des lois universelles. La thermodynamique, au moment où elle a découvert le
domaine des processus auto-organisateurs, a aussi découvert qu’elle ne pouvait
plus déduire universellement les réactions d’un système à un changement de ses
conditions aux limites, mais devait explorer la stabilité des structures
singulières qu’engendrent les processus irréversibles dans certaines
circonstances. Ensuite, parallèlement à l’évolution de la thermodynamique, se
sont produites d’autres transformations conceptuelles fondamentales. La
situation de la dynamique classique au sein de la physique n’est plus
aujourd’hui celle que connurent Boltzmann, Poincaré et Lénine. Ce que nous
pouvons décrire, en ce qui concerne la fin du XIXe siècle, comme un
« océan » de différence entre dynamique et thermodynamique, entre le
monde de l’être et le monde du devenir, s’est aujourd’hui rétréci jusqu’à
n’être plus qu’une « rivière » : Trop large encore pour être
ignorée, mais assez étroite pour qu’un pont puisse être construit qui la
franchisse, un pont entre la science de l’être et celle du devenir. »
I.Prigogine, La nouvelle alliance. 1986.
On appréciera de la part d’un tel savant bourgeois (l’un des leaders de
la cybernétique) qui commence par critiquer le mécanisme quasiment à la manière
d’Engels lui même, une n-ième tentative de conciliation entre
matérialisme et idéalisme (précisément entre dialectique et mécanique),
s’ajoutant à celle de Mach (entre matérialisme empiriste et criticisme
kantien), à celle de Mayr (entre matérialisme et émergentisme vitaliste),…
A cette époque il existe entre idéologie politique et théories
scientifiques ce qu’on appelle proprement une interaction. L’histoire de cette
interaction mériterait une étude autrement plus approfondie…
On s’en tiendra à quelques pistes fort éloquente. La cybernétique est
objectivement une théorie matérialiste, dont la méthode est étonnement proche
de la dialectique. Son évolution ultérieure montrera pourtant clairement qu’une
synthèse dialectique ne peut surgir et s’imposer qu’une fois la domination
bourgeoise battue. Fortement liée à l’« intelligence artificielle »,
la cybernétique est provisoirement anti-vitaliste et anti-finaliste. Elle se
propose de ré-investir les concepts de structure (système), de complexité,
d’émergence et d’information. Dès lors deux courants vont diverger, conservant
certaines parentés théoriques mais s’opposant de plus en plus radicalement.
JP.Dupuy, épistémologue idéaliste ouvertement déclaré, décrit complaisamment
dans son livre l’errance de telles formes de matérialisme (nous sommes en
2001 ; le problème du matérialisme dialectique y est par ailleurs tout simplement
négligé !) : Deux étapes…
► La
« première » cybernétique, ouvertement mécaniste et incarnée par Von
Neumann, ouvrira la voie à une nouvelle transposition des lois de
« Cette
conjecture de Von Neumann sur la complexité a ouvert la voie à un matérialisme
non réductionniste fort différent de ceux que j’ai déjà mentionnés (le
fonctionnalisme computationnel et représentationnel propre au cognitivisme,
d’une part, le monisme anomal de Davidson, d’autre part). Elle rend par exemple
non contradictoires les deux propositions suivantes : 1) des mécanismes
physico-chimiques sont capables de produire la vie, 2) la vie est (infiniment)
plus complexe que les mécanismes physico-chimiques qui l’ont engendrée. Il est
cohérent d’embrasser une ontologie tout à la fois non substantialiste (ici non
vitaliste) et non réductionniste. Cette conclusion est remarquable si l’on note
que les ontologies non réductionnistes sont très généralement substantialistes,
et les ontologies non substantialistes presque toujours réductionnistes.
Il n’est pas
difficile d’imaginer les conclusions que Von Neumann pouvait tirer de ses idées
sur la complexité en ce qui concerne la philosophie de la modélisation. Lorsque
les neurophysiologistes lui reprochaient de ne pas assez faire la différence
entre les automates naturels et les automates artificiels, il répliquait que
cette distinction irait de plus en plus en s’affaiblissant. Bientôt,
prophétisait-il, le constructeur d’automate serait aussi désarmé devant sa
création que nous le sommes devant les phénomènes naturels complexes. Le modèle
qui était hiérarchiquement subordonné au réel qu’il ne faisait que mimer,
s’émancipe et devient l’égal de son référent. (…) c’est ainsi que la
neurophysiologie laisse place à l’intelligence artificielle. »
JP.Dupuy. Les savants croient-ils en leurs théories ?
Ce courant dont la théorie de Sonigo est manifestement une survivance
spiritualiste (réintroduction de la « valeur » indéterministe de
Liberté en biologie) suscitera l’intérêt de F. Von Hayek, fondateur d’une
théorie néo-libérale malheureusement bien connue de nos jours. Le souvenir de
la dette de Darwin à l’égard de Malthus nous évitera d’être trop surpris devant
celle de la cybernétique à l’égard de ce dernier…
« Historiquement,
maintenant, il se trouve que F. Von Hayek a été intimement mêlé à l’aventure
intellectuelle des sciences cognitives naissantes. Le futur prix Nobel
d’économie participa à l’une des conférences sur l’auto-organisation réunies
par Von Foestler au cours des années soixante, ainsi qu’au symposium Alpbach de
1968, « Beyond reductionism », organisé par A. Koestler, l’un des
grands moments de la pensée systémique. Ses « ordres sociaux
spontanés » sont devenus, dans les colloques interdisciplinaires
d’aujourd’hui, les compagnons des systèmes autopoiétiques de Maturana et
Varela, et des structures dissipatives de Prigogine. Mais j’insiste sur le fait
que c’est dans les ressources propres à la philosophie sociale que Hayek puisa,
bien plus que dans celles de la cybernétique ou de ses avatars. L’influence se
fit sentir, en fait, surtout dans l’autre sens. Ainsi, lorsque Rosenblatt
conçut son fameux « Perceptron », l’un des avatars de la machine de
Mc Culloch, il reconnut sa dette à l’égard de Hayek.
En vérité, Hayek
n’avait nul besoin de chercher ailleurs que dans la tradition libérale des
Lumières écossaises (celle de la « main invisible ») de quoi penser
ce qui est l’équivalent, dans l’ordre du social, de la conjecture de Von
Neumann sur la complexité. Cette tradition tient en effet pour non
contradictoire les deux propositions suivantes (configuration analogue à celle
que j’ai présentée plus haut au sujet de la vie et des processus
physico-chimiques qui la produisent) : 1) Ce sont les hommes qui
« agissent » sur leur société, 2) La société leur échappe, parce
qu’elle est (infiniment) plus complexe qu’eux. »
JP. Dupuy, id.
Voilà donc très clairement à quelles conceptions métaphysiques et
idéalistes aboutit l’émergentisme (la distinction qualitative s’opère de
l’Homme à sa société sans aucune interaction et d’un point de vue structural,
non procédural, non dialectique) sous des apparences très matérialistes et très
dialectiques (saut qualitatif). C’est une analyse particulièrement éloquente,
s’il en était encore besoin, des liens étroits (et non « lointains »
comme le prétend Althusser) entre théories scientifiques et idéologies
politiques (d’où la nécessité d’une distinction science bourgeoise / science
prolétarienne !).
► La
théorie de l’information inspira une scission anti-matérialiste à l’intérieur
du courant cybernétique, le « néo-connexionisme », dont les
répercussions sur la biologie moderne furent énormes (fondation de la génétique
moléculaire) :
« Le
rapprochement de la mécanisation de la vie et de la mécanisation de l’esprit
est ici inévitable. Même si le groupe cybernétique snoba la biologie, au grand
dam de Von Neumann, c’est une métaphore cybernétique, comme cela est bien
connu, qui permit à la biologie moléculaire d’établir son dogme central :
le génome fonctionne comme un programme d’ordinateur. Cette métaphore n’est pas
moins fausse, sans doute, que la métaphore analogue qui structure le paradigme
cognitiviste. Les théories de l’auto-organisation biologique, d’abord opposées
au paradigme cybernétique lors des conférences Macy, avant de constituer le
modèle principal de la seconde cybernétique, ont fourni, et fournissent encore
aujourd’hui, des armes décisives contre l’assimilation de l’ADN à un
« programme génétique ». »
JP Dupuy, id.
Le hasard et la nécessite de Monod est
plein de ces références à la cybernétique, en procédant en
« matérialiste » à un retournement idéaliste sur la « théorie de
l’information » et sur un pseudo-finalisme très typique…
Refondre les concepts biologiques issus de ces deux courants
contradictoires (première et deuxième cybernétique) en une synthèse
matérialiste dialectique est un exercice plus que nécessaire aujourd’hui,
susceptible de séparer les faits objectifs incontournables des dérives
idéologiques qui, par des tours de passe-passe ingénieux, en exploitent
nécessairement la substance abstraite jusqu’à les présenter précisément pour ce
qu’il ne sont pas…
[1] Un exemple typique: « L’idéologie du
hasard et de la nécessité » de N.Barthélémy-Madaule, bergsonienne se
joignant à la critique d’Althusser contre Monod.
[2] De l’aveu de savants bourgeois tels que
Monod : « Parmi les idéologies scientistes du XIXe siècle, la plus puissante,
celle qui de nos jours encore [les années 70] exerce une profonde
influence bien au delà du cercle pourtant vaste de ses adeptes, est évidemment
le marxisme » (Le hasard et la nécessité, 1970).
[3] Voici un exemple typique parmi tant d’autres: « La
philosophe Catherine Malabou démonte la fausse analogie du fonctionnement
cérébral et de l’entreprise, en critique l’usage idéologique libéral et prône
une « libération neuronale » » (article de l’Humanité, 14
juin 2004). Dans son livre Que faire de notre cerveau ?
(2004), Cet auteur s’attaque à l’analogie controversée entre la plasticité
neuronale récemment mise en évidence et la flexibilité dans le monde du
travail .
[4] On dira indifféremment de quiconque s’oppose aux
dogmes de la génétique moléculaire qu’il est lyssenkiste ou intégriste
religieux : A la limite le discrédit sera d’autant plus lourd qu’on aura
choisi l’insulte « lyssenkiste » !
[5] On retrouvera dans le chapitre 8 une analyse plus
approfondie des courants trotskiste et althussérien qui entravent l’ontologie
matérialiste en science.
[6] Pour ne citer qu’un exemple, on trouve dans un
article du journal trotskiste italien « L’internationaliste »
concernant la dialectique marxiste, et indiquant d’abord les ouvrages de
référence (ceux de Trotski !), l’aveu suivant : « Les écrits
d’Engels connus sous le titre ‘Dialectique de
[7] Combat interspécifique ; combat entre les
espèces consommant par exemple les mêmes ressources. Combat intra
spécifique ; combat entre les individus d’une même espèce, par exemple
pour se reproduire ou pour se nourrir.
[8] « Moi aussi j’ai été frappé, à la première
lecture de Darwin, par la ressemblance frappante entre sa présentation de la
vie végétale et animale et la théorie de Malthus. Seulement j’en ai tiré une
autre conclusion que vous, savoir : que ce qu’il y a de moins glorieux
dans le développement bourgeois contemporain,
c’est qu’il n’a pas
encore dépassé le niveau des
formes économiques du règne animal. Pour nous, ce qu’on appelle les « lois
économiques » ne sont pas des lois
éternelles de la nature, mais des lois historiques, qui naissent et
disparaissent, et le code de l’économie politique moderne, dans la mesure où
l’économie l’établit vraiment de façon objective, n’est pour nous que le résumé
de l’ensemble des lois et des conditions qui seules permettent à la société
bourgeoise moderne de continuer à exister. » F.Engels. Lettre à F.Lange, 29 mars 1865.
[9] « Toute la doctrine darwiniste de la lutte
pour la vie est simplement la transposition de la société dans la nature
animée, de la doctrine de Hobbes sur la « guerre de tous contre
tous » et de la doctrine économico-bourgeoise de la concurrence, jointes à
la théorie démographique de Malthus. Une fois exécuté ce tour de passe-passe
(dont je conteste la légitimité absolue, notamment en ce qui concerne la
théorie de Malthus), on re-transpose ces mêmes théories de la nature organique
dans l’histoire et l’on prétend alors avoir démontré leur validité en tant que
lois éternelles de la société humaine. Le caractère enfantin de ce procédé
saute aux yeux, pas besoin de gaspiller les mots sur le sujet. Toutefois, si je
voulais aller plus dans le détail, je le ferais de façon à les présenter en
premier lieu comme de mauvais économistes, et en second lieu comme de mauvais
savants et de mauvais philosophes. » Engels à Lavrov, 17 novembre
1875.
[10] « La sélection naturelle permet à
l’évolutionnisme de sortir du modèle déterministe pour entrer dans un
probabilisme auquel la redécouverte des lois de Mendel et du mutationnisme
viendra s’ajouter [!] au commencement de notre siècle »
D.Buican, Histoire de
[11] Inspiré par Hume et Kant, Mach introduit dans les
sciences de la nature la vieille notion de l’inconnaissable, ajouté à
l’affirmation que « seule l’expérience nous est donnée » (les choses
sont des « complexes de sensations »). Sous cette forme spéciale
d’empirisme, la pratique scientifique est l’union de ces
« complexes » avec un autre « complexe de sensations », le
Moi. Mach prétend ainsi dépasser la division physique / psychologique. Toute
théorie scientifique n’est alors, dans le meilleur des cas qu’un « modèle
pour représenter les faits » sans prétention à atteindre la vérité
objective de la matière. De plus, application étonnante de Darwin, ces théories
seraient néanmoins des instruments de la lutte pour la survie de l’espèce
humaine… Quel savant bourgeois actuel ne se reconnaît pas dans une telle
philosophie ?!
[12] Pour Hume, conjonction constante n’implique pas
connexion nécessaire, du fait de l’impossibilité d’une démonstration
rationnelle : Seule l’habitude matérialise ce lien. Rien ne garantit donc
la conformation du futur au passé… Tous les philosophes des sciences n’ont
aujourd’hui qu’un mot à la bouche ; « inter-subjectivité » !
Puisque tous, condamnés à la subjectivité, perçoivent malgré tout les mêmes
choses, c’est l’intersubjectivité des Hommes qui « construit »
l’« objectivité » du réel dans lequel ils se tiennent !
[13] Pour mesurer l’ampleur des trahisons idéologiques,
l’exemple de Muller est très caractéristique : D’abord
« bolchevik », celui-ci s’exile aux USA, travaille en étroite
collaboration avec Morgan, obtient le prix Nobel en 1946, élabore une théorie
très polémique en génétique des populations (1950, elle ne sera désavouée que
très récemment) ; La théorie du « fardeau génétique », selon
laquelle si une population contient une élite à valeur adaptative élevée, elle
contient par ailleurs un ensemble d’individus moins adaptés retardant son
évolution globale (base de son engagement pour l’eugénisme élitiste).
Intéressant ; L’histoire de cette théorie qui subira plus tard les assauts
du neutralisme comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, est
complètement passée sous silence dans la plupart des ouvrages d’histoire des
sciences… C’est Muller qui crée, à la fin de sa vie, la tristement célèbre
banque de sperme de Nobel, destinée à former la future élite mondiale (banque
qui du reste n’a bénéficié d’aucun succès) !
[14] Schmalhausen est effectivement un adepte de la
génétique formelle, bien qu’il soit embryologiste et non généticien de
formation, donc de l’autogenèse idéaliste. Son parti pris juste contre
l’ectogenèse, celui d’attribuer la variation, dans un rapport réciproque de
l’organisme et du milieu, à l’organisme lui même plus qu’à son milieu, le
pousse néanmoins à épouser les points de vue idéalistes du néodarwinisme. Sa
théorie personnelle est la suivante : La formation des espèces et des
races fut à l’origine extraordinairement intense puis se serait ralentie voire
épuisée à mesure que se dépensait une « réserve de mutations »
survenue à l’aube de l’histoire de la vie, jusqu’aujourd’hui. Implications
hautement idéalistes (sur l’incapacité humaine par exemple à sélectionner
artificiellement de nouvelles espèces) et anti-dialectiques… A ce titre ses
propositions sont objectivement mendélo-morganistes, malgré ses vœux pieux en
faveur du matérialisme.
[15] Qui songerait à accuser de charlatans les savants
occidentaux qui, au cours de l’histoire des sciences, ont prolongé leurs
découvertes objectives de quelques élucubrations théoriques erronées ? Les
biographes bourgeois louent sans complexe Weismann, Wilson, etc. en excusant
voire en omettant volontairement leurs « malheureuses divagations »
racistes !
[16] Selon P.Tort (Dictionnaire du darwinisme et de
l’évolution) « Lyssenko met objectivement le doigt sur une lacune
de la génétique de l’époque qui ne savait pas interpréter le rôle du milieu
dans la formation du phénotype ». Si l’élucidation de ce rôle existe
aujourd’hui, alors elle est bien cachée !! Les polémiques à ce sujet sont
on l’a vu toujours aussi vivaces…
[17] Voir à ce sujet l’article de Patrick Tort sur
Lyssenko (Dictionnaire du Darwinisme)
[18] Mais ce blocage est doublé, nié par le développement
nécessaire des profits de la bourgeoisie, dépendant en partie du développement
technique dans le domaine économique.
[19] Althusser remarque à juste titre que Monod et les
généticiens moléculaires sont encore sous la coupe d’une philosophie mécaniste,
et n’ont de ce fait aucun scrupule à utiliser « Objet / Théorie /
Méthode ». Nous avançons que ceci s’explique par la « jeunesse »
de la biologie parmi les sciences de la nature, et sans doute par la volonté
qu’elle manifeste à se distinguer même épistémologiquement des autres sciences
expérimentales. Précisons qu’à travers la crise actuelle de la biologie, loin
d’être déclarée au moment où Althusser écrit, diverses formes de réactions,
néopositivistes et spiritualistes surtout, naissent des ruines du matérialisme
mécaniste.
[20] Rappelons que, contre Althusser, nous accusons
justement l’émergentisme de semi-vitalisme.
[21] Rappelons aussi, Althusser semble l’ignorer, que ces
notions sont implicites à tous les biologistes ; parce que la
nature procède dialectiquement. C’est la capacité à réaliser une synthèse de
ces notions qui témoignerait d’une vraie dialectique chez Monod…
[22] « La philosophie marxiste, fondée par Marx
dans l’acte même de la fondation de sa théorie de l’histoire, est en grande
partie encore à constituer. » Althusser, Pour Marx.
[23] C’est tout le problème du courant cybernétique à
propos duquel de nombreux marxistes tels que Roger Garaudy se montreront très
enthousiastes ! Nous y reviendrons en conclusion de ce chapitre.
[24] Althusser s’interroge même sur l’existence réelle
des « crises scientifiques » (blocage du développement scientifique),
puisque la science ne souffre pas intrinsèquement dans son développement
d’une domination idéologique de classe, déclarant qu’elles ont surtout
lieu « dans la tête » de « certains » scientifiques peu
sûrs de leur pratique.
[25] « L’exemple actuel le plus aberrant de
l’application extérieure d’une « méthode » (qui dans son
« universalité » relève de la mode) à un objet quelconque est le
structuralisme. Quand des disciplines sont à la recherche d’une « méthode »
universelle, il y a fort à parier qu’elles ont un peu trop envie d’afficher
leurs titres scientifiques pour les avoir mérités. De vraies sciences n’ont
jamais besoin de faire savoir au monde qu’elles ont trouvé la recette pour le
devenir. » L.Althusser (Philosophie et philosophie spontanée des
savants) : C’est bien mal connaître l’histoire des sciences
expérimentales !
[26] « Le structuralisme est ainsi un excellent
antidote contre le dogmatisme (bien que la notion de « structure »,
lorsqu’elle est interprétée dogmatiquement, conduise aisément à la
méconnaissance du sujet, de l’acte). » R.Garaudy, Marxisme du XXe
siècle.
[27] Nous verrons qu’une réelle synthèse (chapitres 5 et
6) intègre dialectiquement cette contradiction dialectique (et non
structuralement c’est à dire mécaniquement) !